Publicité
10 avril 2023 19:59
«Kan mo get mo pei azordi, mwa osi mo plore. Tou dimounn kontan lape. Tou dimounn rod lape dan nou pei, me ki manyer kapav gagn lape dan enn demokrasi kan ena mank de respe pou la separasion de pouvwar, kan ena ki permet zot kritik desizion enn mazistra, enn DPP. Mo plore kan mo trouv lindepandans nou bann linstitision pe menase, kan nou trouv bann fondasion mem de nou demokrasi pe ebranle. Ki manyer kapav gagn lape dan enn kominote kan enn kominote pe insilte par enn sante ki meprizan ? Mo bizin dir mo tris. Mo inkie pou mo pei…» Dixit le cardinal Maurice Piat dans son sermon à l’occasion du dimanche des Rameaux, diffusé sur la MBC le 2 avril. Il s’est inspiré de l’image de Jésus qui pleure devant la ville de Jérusalem pour dire sa tristesse devant notre pays où «les fondations de notre démocratie sont ébranlées».
Il a aussi exprimé son inquiétude concernant la prolifération de la drogue et l’indépendance des institutions, et a appelé les Mauriciens à devenir des «acteurs et apporter une contribution pour la paix dans notre pays»... Ce message a immédiatement déclenché une vague de réactions – venant de personnalités et d’anonymes – à travers le pays. Certains approuvent les dires de l’évêque de Port-Louis, alors que d'autres pensent qu'il ne devrait pas prendre ce genre de position en tant que religieux. Mais pourquoi les mots du cardinal Piat interpellent-ils autant ? C'est la question que nous avons posée à des observateurs de notre société.
Jean-Luc Mootoosamy, directeur du cabinet Media Expertise, estime que tout ce que le cardinal a dit n’est pas nouveau pour la population. «Ce qui a surpris, c’est que cela vienne du chef de l’Église catholique, en une seule séquence, à la télévision. Beaucoup ont été pris de court et on se souviendra que le cardinal avait été censuré pour bien moins que ça à Noël 2021 à la télévision. Ceux qui ont été touchés par ses mots, son ton, ont ressenti une grande proximité avec leurs souffrances : “Je suis triste”, “je pleure”… Autant de termes qui montrent une douleur partagée. En fait, le cardinal Piat se place en pasteur. Il est dans son rôle du point de vue de l’Église et visiblement, cela ne convient pas à tous», nous dit-il, tout en évoquant la rencontre de l'évêque (une demande faite avant la diffusion du sermon en question) avec Pravind Jugnauth, le mercredi 5 avril.
«Le Premier ministre a dit au cardinal qu’un dialogue aurait permis d’éclaircir les choses. Mais si le cardinal s’est prononcé sur ces thèmes dans son enseignement de carême, c’est qu’entre les prises de position publiques du gouvernement et ses consultations régulières avec des gens de tous bords, rien ne fait sentir la possibilité d’une autre voie. Ce qui interpelle aussi, c’est ce cri du cardinal pour un réveil citoyen de la part des Mauriciens, pour rendre au pays sa dignité, pour refuser la corruption. Le cardinal fait de la politique et se place en opposant, disent ceux que ses mots chagrinent. Ces voix ne semblent cependant pas s’intéresser au contenu du message, qui devrait aussi les toucher. À moins que ces personnes ne se sentent pas concernées par cette liste d’inquiétudes pour la démocratie. Ce qui soulève d’autres questions.»
Pour Padma Utchanah, présidente du Ralliement citoyen pour la patrie, l’évêque de Port-Louis a surtout voulu éveiller les consciences. «À l’heure où l’intégrité et l’éthique politiques sont en perte de vitesse dans notre pays, où la drogue est en train d’engloutir notre pays dans l’abîme de l’enfer de Dante, un homme d’Église a voulu sonner le tocsin. Dans un pays où les hommes politiques n’arrivent pas à s’ériger en hommes d’État, il n’est pas étonnant de voir qu’une figure emblématique, une personnalité de la société civile, s’est appropriée le débat sociétal afin d’éveiller les consciences.»
Padma Utchanah estime, de ce fait, que le cardinal a rempli son rôle. «Loin de supplanter le président de la République, le chef de l’État, quasi inexistant par ailleurs, le cardinal Maurice Piat a rempli son rôle en tant que gardien des valeurs sociétales. Au-delà de ses missions religieuses, il a exercé un magistère moral sur la situation chaotique de notre société. Notre pays avait tant besoin d’une autorité morale de référence face à la “démission” ou l’absence du chef de l’État lui-même. L’Église a transcendé l’Histoire de notre pays. Nous ne devons pas oublier que c’est l’institution la plus ancienne du pays et la plus implantée sur l’ensemble du territoire. C’est sa légitimité historique au-delà du rang de cardinal de Maurice Piat», déclare la présidente du Ralliement citoyen.
Alain Jeannot, acteur engagé de la société civile, a aussi suivi cette actualité et tout le débat autour. «La présence et la participation de l'Église catholique à la construction du pays et de la nation sont aussi anciennes que le peuplement lui-même. Le chef de l'Église (…) a toujours été un partenaire de l’État dans la recherche du bien commun. En tant que catholique engagé au sein de la Commission Justice et Paix, je suis sensible aux paroles du cardinal qui, par ailleurs, aurait pu être un potentiel prétendant à la papauté s’il était âgé de moins de 80 ans. C'est une personne qui est au-dessus de la mêlée politique et il serait très inapproprié d'instrumentaliser son cri de coeur à d'autres fins que la cause désintéressée du bien-être national. Au contraire, ses paroles devraient servir à calibrer notre diapason au bien suprême de la patrie à tous les niveaux», conclut-il, en parlant de ce sermon du cardinal qui a touché et interpellé…
Messe du Jeudi saint
Dans un message délivré pendant la messe du Jeudi saint, le cardinal Maurice Piat a évoqué son prochain départ en tant qu’évêque de Port-Louis. «Il se pourrait que ce soit la dernière messe chrismale que je présiderai, avec vous à la cathédrale, en tant qu’évêque de Port-Louis. Et je ne peux m’empêcher de faire mémoire de toutes ces années où nous avons marché ensemble comme une vaillante caravane, aux couleurs d’arc-en-ciel (…) J’ai été vraiment heureux de faire ce bout de chemin avec vous», a-t-il déclaré.
Le cardinal Maurice Piat et le vicaire général Jean Maurice Labour ont rencontré le Premier ministre, Pravind Jugnauth, ce mercredi 5 avril, au Bâtiment du Trésor. À l’issue de cet entretien, le père Labour a fait une déclaration à la presse : «Ce rendez-vous avait été demandé et obtenu une semaine avant le message du dimanche des Rameaux. Il s’agissait, pour le cardinal, d’aborder avec le PM deux dossiers qui font partie du partenariat de longue date entre l’Église et l’État. Des dossiers y relatifs et documentés ont été soumis au PM (...)»
Concernant la réaction du PM suite au sermon du cardinal, le père Labour a dit ceci : «Le PM a reproché à l’Église de réagir à partir de faits non avérés en soulignant qu’un dialogue aurait pu clarifier les choses. Mgr Piat, de son côté, a saisi l’occasion pour préciser sa crainte que les acquis démocratiques reconnus à notre pays depuis l’Indépendance ne se perdent. Il a également souligné la grande souffrance du peuple devant la prolifération du trafic de la drogue.»
D'autres personnalités ont également commenté les propos du cardinal Piat. «Li finn koz avek so leker, avek so lafwa. Kardinal finn swazir sa moman-la pou dir sertenn verite dan seki pe pase dan pei», a déclaré Patrick Assirvaden, le président du PTr. Arvin Boolell, chef de file du PTr au Parlement, s'est aussi exprimé : «Kardinal inn dir le 4 verite.» Le leader de l'opposition, Xavier-Luc Duval, a, lui, souligné : «Le cardinal pense qu’une crise sociale se profile à l’horizon. Cela interpelle tout le monde.»
Publicité