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30 octobre 2017 22:02
Ils relatent un moment douloureux, amer. Un épisode effrayant resté longtemps enfoui, mis sous silence sans pour autant être oublié. «J’ai senti quelqu’un se coller à moi pour passer, m’attraper par la taille et me dire ‘‘sorry’’. Ma responsable était là et j’étais morte de peur et de honte, sans pouvoir dire un mot. Il ne l’avait pas fait innocemment, non.»Cette histoire est de Sévérine Hosseny, l’une des nombreuses Mauriciennes à avoir témoigné contre le harcèlement et l’agression sexuels.
Depuis quelques semaines, les témoignages de victimes sur la Toile se succèdent aux quatre coins du monde. Une vague de dénonciations faisant suite à l’affaire Harvey Weinstein, un producteur hollywoodien accusé par une cinquantaine de femmes, dont des stars, de harcèlement et d’agression sexuels. Depuis, les campagnes, lancées d’abord sur Twitter et sur d’autres réseaux sociaux à coups de hashtags, se multiplient, incitant les femmes et les hommes à briser le silence. Si en France, les victimes se livrent sous le mot-dièse #balancetonporc, en Amérique, c’est le #metoo. Le hashtag a même été traduit en plusieurs langues (#YoTambien en espagnol, #AncheIo, #QuellaVoltaChe en italien, #IchAuch en allemand, #أنا_كمانen arabe), ce qui a encouragé les victimes à se manifester et à raconter sans tabou leurs expériences.
À Maurice, c’est sous le hashtag shamethem que les victimes se livrent. Un mouvement lancé par Djemillah Mourade Peerbux, Anne-Lise Mestry et Sarah Jane Vingta, trois journalistes qui ont voulu faire bouger les choses pour que la honte change enfin de bord. Depuis sa création, la page #shamethem sur Facebook accueille de nombreux témoignages de jeunes filles, de femmes et d’hommes qui, à un moment ou un autre, ont eu à faire face à des regards insistants et lourds de sens, à des paroles déplacées et insultantes, à des mains baladeuses et même à des viols. Cela peut arriver à n’importe qui, n’importe où et n’importe quand : dans un bus, dans le bureau du patron, dans la rue, en boîte de nuit…
Si Séverine Hosseny a voulu s’exprimer publiquement, ce n’est pas par hasard. «Il y a eu l’histoire de cette fille récemment, filmée dans un autobus, qui se défendait seule alors qu’un homme lui avait attrapé les fesses. Cette histoire m’a mise hors de moi. Tant concernant l’acte du type que l’attitude des autres passagers.» Alors, plus question de se taire. «J’ai moi-même connu ça à plusieurs reprises, surtout dans les bus. Avant, je ne me défendais pas par peur mais aujourd’hui je ne me tais plus.» Marre que ces choses se produisent quotidiennement, elle a choisi de parler à cœur ouvert pour encourager d’autres femmes et jeunes filles à faire comme elle et «à dénoncer ces salauds quand ça arrive».
Comme Séverine Hosseny, l’artiste Henry Coombes a également raconté son histoire sans peur et sans honte. «Je devais avoir 11 ans. À un collège confessionnel. Tout nouveau. Un jour, on me fait savoir que le “frère directeur” veut me voir dans son bureau. J’y vais tout naïvement. Je cogne à sa porte, à l’étage, il me demande d’entrer, de fermer la porte derrière moi. Puis, il me demande de venir jusqu’à lui et me prend sur ses genoux. Il met une main sur mon sexe et je sens quelque chose de dur sous moi. J’ai tout de suite voulu descendre et partir, chose qu’il m’a laissé faire. Il m’a demandé si ça allait. J’ai dit oui. Je suis rentré en classe. Et j’étais changé à vie.»
Il a voulu parler de son expérience par solidarité avec tous ceux qui ont un jour été agressés et n’ont jamais osé en parler. «La peur et la honte doivent changer de camp. Ce mouvement peut aider, justement, à rassembler autant de témoignages possibles afin qu’on se rende compte de l’ampleur du problème et pour montrer aux victimes qu’elles ne sont pas seules et abandonnées. Et, peut-être aussi, à faire changer la mentalité et faire reculer la misogynie et le patriarcat.»
Aujourd’hui, estiment les trois journalistes derrière #shamethem, ce n’est plus aux victimes de «se sentir honteuses ou sales» mais plutôt à ceux visés par ces histoires de ressentir le poids et la honte que portent ces accusations. Bien plus qu’un simple hashtag, shamethem, soulignent Djemillah Mourade Peerbux, Anne-Lise Mestry et Sarah Jane Vingta, aide les gens à se libérer de leur peur, à sortir de leur mutisme et à dénoncer. «Nous avons ressenti le besoin de donner une plateforme, une voix, à ceux qui ont subi des violences sexuelles.
Shamethempeut aider en faisant prendre conscience de l’ampleur du problème, en montrant qu’il se trouve dans tous les milieux et que les violences sexuelles arrivent partout, même là où on ne s’y attend pas. C’est aussi mettre les agresseurs et les harceleurs devant les détails crus de ce qu’ils font subir à leurs victimes», explique Djemillah Mourade Peerbux. Dénoncer pour se libérer mais surtout pour conscientiser et sensibiliser les autres à ne plus accepter, à ne plus se taire devant l’inadmissible.
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