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23 novembre 2015 16:47
Vous n’êtes plus Ombudsperson pour les enfants. Mais est-ce que vous vous sentez toujours concernée par le bien-être des petits Mauriciens ?
Bien sûr, je ne suis pas qu’une simple observatrice. On n’arrête pas un combat si important juste parce qu’on n’est plus dans un poste spécifique. À moins d’y être par hasard. Mon intérêt pour les droits humains ne date pas d’hier. Je milite depuis plus de quarante ans en faveur des personnes à risques ou en situation de vulnérabilité. C’était le cas des femmes et des enfants. Mon premier discours au Parlement, en 1976, était consacré aux enfants, en particulier à ceux qui sont à l’âge maternel, c’est-à-dire qui ont moins de trois ans. Le préscolaire, tel que nous le connaissons aujourd’hui, était très rare et beaucoup de parents croyaient encore qu’il fallait que leurs enfants commencent dès cet âge précoce à apprendre la lecture et l’écriture. Je continue donc à suivre avec beaucoup d’attention tout ce qui se rapporte aux droits humains. Il m’arrive même d’apporter une petite contribution à la réflexion ou même à la définition d’une stratégie quand on fait appel à moi.
Avec le recul, quel regard jetez-vous sur la situation des droits des enfants à Maurice ?
Il y a eu beaucoup de progrès, mais on a aussi perdu beaucoup de temps. Pour revenir au préscolaire, on a fait des pas de géant, notamment grâce à l’aide de pays comme le Danemark. Le regretté Cyril Dalais a joué un rôle déterminant dans ce domaine. Certains pédagogues et heureusement certains responsables politiques aussi. Mais dans d’autres domaines, on a eu davantage de difficultés, surtout en ce qui concerne la maltraitance et la violence. Dans mes huit rapports annuels, j’ai montré à quel point la situation est douloureuse pour les enfants qui sont victimes de maltraitance de la part de leurs parents, ceux qui sont négligés ou abandonnés. J’ai fait d’innombrables propositions de mesures à prendre pour remédier à cet état de choses. Il est vrai que la Child Development Unit (CDU) n’était pas en mesure de répondre à la demande croissante dans ce domaine par manque de personnel qualifié et de moyens matériels. J’ai donc beaucoup insisté pour que l’on fasse de la prévention. Il fallait demander plus de ressources et réorganiser totalement ce service. Mais ça a pris beaucoup trop de temps. Il me semble que la concertation entre les différents services n’est pas encore tout à fait efficace.
La Journée internationale des droits de l’enfant a été observée ce vendredi. Quelle est l’importance d’une telle journée ?
Le 20 novembre 1989, la Convention relative aux droits de l’enfant a été adoptée. L’Organisation des Nations unies (ONU) a donc proclamé une journée universelle sur cette question. En cette date, tous les défenseurs des droits des enfants redoublent d’efforts pour sensibiliser le grand public. Je note avec satisfaction que le ministère collabore avec des ONG à cette occasion. Mais il faut aussi faire un bilan sans complaisance et rectifier le tir là où c’est nécessaire. De plus, il faut avancer sur tous les fronts en même temps. Par exemple, qu’en est-il du traitement accordé aux enfants victimes et témoins de la violence au niveau de la justice ? Je suis invitée par l’Organisation internationale de la Francophonie à participer bientôt au lancement d’un guide sur ce sujet et à une table ronde. J’espère revenir avec de nouvelles idées pour la ministre.
Les choses évoluent-elles dans le bon sens concernant la situation de nos enfants ?
L’Ombudsperson a un rôle majeur à jouer pour veiller à ce que chacun respecte les droits des enfants. Moi, je ne suis plus à ce poste. Mais je dirais que la bonne gouvernance concerne aussi le domaine social. Il faut voir si chacun a fait ce qu’on est en droit d’attendre de lui. C’est l’Ombudsperson qui doit faire ce travail de contrôle et d’évaluation. Je vois avec plaisir que la ministre a demandé à un Fact Finding Committee de présenter un rapport sur les shelters et qu’elle compte y mettre un bon ordre. Elle semble privilégier les familles d’accueil. C’est bien de «désinstitutionaliser» les enfants. Mais il faut aussi surveiller de telles familles. Encore une fois, cela demande du personnel et des moyens.
Quelle devrait être la priorité des priorités pour que les droits des enfants soient davantage respectés dans notre pays ?
Il faut que le Children’s Bill soit présenté à l’Assemblée nationale et que les députés de tous les bords se mettent à en débattre sans esprit partisan. Un consensus au sujet des enfants est indispensable. Cette loi est en préparation depuis dix ans. Il est temps de l’adopter en s’assurant qu’elle guidera correctement tous ceux qui sont concernés et qu’elle protégera véritablement les enfants. Il ne faut pas faire de compromis sur un sujet aussi important. Par ailleurs, il faut revoir la loi sur l’adoption locale et internationale, qui est aussi en panne depuis plusieurs années. Résultat : beaucoup d’enfants qui auraient pu être adoptés ne le sont pas. La confusion entre famille d’accueil et famille adoptive est aussi à éviter, sauf dans des cas exceptionnels. Les rôles sont différents et cela a un impact sur le traitement des enfants et leurs espérances.
Comment vous sentez-vous avec vos nouvelles responsabilités de présidente du Public Bodies Appeal Tribunal ?
J’y ai pris goût, même si on ne peut absolument pas comparer mes deux dernières fonctions. Mais comme je demeure dans le domaine de la justice, je suis à l’aise. C’est un poste peu compatible avec la médiatisation, ce qui explique pourquoi je suis discrète en ce qui concerne les appels des fonctionnaires devant le Public Bodies Appeal Tribunal.
Vous avez reçu la médaille de la Légion d’honneur, décernée par le gouvernement français. Qu’est-ce que cette distinction signifie pour vous ?
J’ai été très touchée, d’autant plus que c’est pour mon engagement civique aussi bien que pour mes activités professionnelles que j’ai été reçue dans l’ordre le plus élevé de la République française. On m’encourage à continuer dans cette voie.
Avec une carrière très riche, Shirin Aumeeruddy-Cziffra a été députée, conseillère municipale, mairesse de Beau-Bassin/Rose-Hill, ambassadrice de Maurice dans plusieurs pays, et a aussi été la première femme à occuper les postes d’Attorney General et de ministre des Droits de la femme, entre autres accomplissements.
Quelle actualité locale a retenu votre attention ces derniers temps ?
Comme je me tiens complètement à l’écart de la politique, je ne vais pas vous citer des sujets qui font la Une des grands médias. Je préfère parler de Jane Constance qui a montré par sa victoire au concours The Voice Kids que les enfants peuvent faire la fierté de leurs parents et de leur pays. Surtout quand ils ont des parents qui sont à l’écoute, qui respectent leurs droits, notamment en favorisant leur liberté d’expression. À ce moment-là, the sky is the limit.
Et sur le plan international ?
Je suis marquée, comme tout le monde, par les attentats de Paris. Il faut continuer à œuvrer en faveur de la paix dans le monde. Ce qui présuppose que nous nous engagions à éliminer toute forme de violence à l’égard des enfants, c’est-à-dire la maltraitance, la violence verbale, physique, psychologique, sexuelle et surtout l’humiliation. Cela détruit l’estime de soi et on fabrique des êtres frustrés, mal dans leur peau et pas toujours résilients. Il faut aussi songer à l’éducation civique et à l’éducation à la vie.
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