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Par Elodie Dalloo
14 février 2023 19:24
Les faits remontent au 24 décembre 2017, vers 2 heures du matin, lorsque des militaires ont constaté les mouvements suspects d’un hors-bord qui se dirigeait, tous feux éteints, vers le port de Ste-Rose, à l’île de la Réunion. Une fois l’embarcation à quai, six à sept colis enrobés de ruban adhésif marron ont été débarqués du bateau vers deux véhicules qui attendaient au ponton. Après le déchargement, les deux véhicules non-identifiés ont aussitôt quitté le port tandis que le hors-bord est reparti en direction de Maurice. Des intercepteurs ont permis aux enquêteurs d’analyser les échanges téléphoniques dans cette zone au moment des faits, qui ont mis en évidence des échanges entre deux cellulaires mauriciens et deux cellulaires réunionnais. Les mois suivants, les investigations ont conduit les enquêteurs jusqu’à celui qui avait acheté trois des cellulaires identifiés dans la région ce soir-là, soit un dénommé Laurent Mariaye, un Réunionnais demeurant à St-André, dont le numéro de téléphone apparaissait déjà dans une affaire similaire mettant en cause Mike Brasse en novembre 2016.
Lors d’une perquisition du domicile de Laurent Mariaye, quelques mois plus tard, les enquêteurs ont découvert un atelier de préparation et de conditionnement de cannabis. D’autres personnes identifiées dans l’organisation et l’alimentation d’un trafic international de stupéfiants ont aussi été appréhendées : Olivier Adras, Jena Daniel Calimoutou-Onien, Olivier Métanire, Jean Lindsay Florimond, Wanito Fleuricourt et Loris Rouget. Les perquisitions survenues au cours de cette opération ont permis la saisie d’une totalité de 141 kilos de cannabis, dont la valeur marchande s’élève à plus de 2,3 millions d’euros sur le territoire mauricien. L’analyse des interceptions téléphoniques ont démontré que Franklin avait prévu de se rendre auprès d’un dénommé Nono à Maurice, en avril 2018, pour récupérer des fonds. Ce dernier a, plus tard, été identifié comme étant Jérémy Désiré Décidé, un skipper mauricien. À savoir que ce dernier a aussi écopé, comme Franklin, d’une peine d’emprisonnement de sept ans dans l’affaire, bien qu’étant absent lors du procès.
C’est pendant sa garde à vue que l’accusé Mariaye est passé à table. Soumis à un feu roulant de questions, il a déclaré qu’il exportait du cannabis vers Maurice pour le compte de Franklin depuis 2017, alors que le transport était assuré par le complice de celui-ci, le skipper Jérémy Désiré Décidé, plus connu sous le nom de Nono. Il a expliqué avoir organisé cinq exportations de cannabis en 2017 et remis une glacière renfermant du cannabis à Nono lors de la sixième. Il aurait donné les directives et payé les cultivateurs de cannabis à la Réunion, aidé notamment des accusés Adras, Calimoutou-Onien et Métanire. Il a expliqué que les accusés Florimond – un Mauricien établi à la Réunion – et Fleuricourt l’aidaient dans le transport de la marchandise jusqu’au moment où ils ont pris les devants et fourni directement à Franklin depuis février 2018.
Il a reconnu avoir été en contact avec Franklin et Nono, qu’il a positivement identifié sur des photos, et a admis avoir orchestré une exportation de cannabis aux petites heures du 24 décembre 2017. Des quatre exportations de cannabis vers Maurice, trois auraient été pour le compte de Franklin et une quatrième pour un dénommé Rasta ; des exportations effectuées sur des bateaux fournis par les commanditaires. À deux reprises, soit en octobre/novembre 2017 et février 2018, Laurent Mariaye se serait rendu à Maurice pour récupérer des fonds, ajoutant que son co-accusé Fleuricourt se serait chargé des autres transports d’argent. À savoir que ce dernier est celui qui l’aurait mis en contact avec Franklin. Également questionné dans cette affaire, le beau-père de Mariaye a déclaré avoir séjourné dans le même hôtel que Franklin et l’avoir côtoyé lors d’un séjour de quatre jours à Maurice avec son gendre, en avril 2017. Il l’a également identifié sur des photos.
L’accusé Fleuricourt a aussi évoqué le nom de Franklin lorsqu’il a été questionné. Il a expliqué avoir effectué neuf voyages – quatre en 2017 et cinq en 2018 – pour récupérer l’argent de la drogue auprès de Franklin, équivalant à un total de 55 000 euros. À la suite de problèmes de paiements, il aurait pris ses distances de Mariaye pour s’associer à Florimond pour l’exportation de cannabis pour le compte de Franklin ; des faits confirmés par Florimond. Durant son interrogatoire, ce dernier a précisé qu’ils auraient commencé leur propre trafic en janvier 2018. Il dit qu’en mars 2018, Franklin lui aurait déjà remis 47 000 euros, dont 23 000 avaient été saisis sur son frère par la douane, à l’aéroport. Des interceptions téléphoniques ont, d’ailleurs, confirmé que son frère avait bel et bien été envoyé à Maurice pour récupérer l’argent destiné au trafic. Lors de la perquisition de son domicile avant son arrestation, 19,8 kilos de cannabis avaient été saisis. Il a affirmé que cette marchandise était destinée à Franklin et qu’il avait négocié celle-ci à 2 500 euros environ le kilo.
Par ailleurs, l’accusé Rouget, appréhendé suite à des interceptions téléphoniques, se chargeait du transport des stupéfiants dans ses véhicules ou les prêtait à Mariaye. L’examen de son compte Facebook a permis d’établir qu’il était en contact avec Franklin. Néanmoins, ce dernier aurait été enlevé de sa liste d’amis le deuxième jour de sa garde à vue. Il serait aussi celui ayant fait le lien entre Franklin et Florimond pour récupérer des fonds. Un examen de son passeport a révélé qu’il s’est rendu à Maurice à plusieurs reprises durant les années précédentes. Il a dit s’être rendu à Maurice pour Mariaye en 2018, afin de récupérer de l’argent auprès de Franklin pour le trafic. Ce dernier, dit-il, l’avait attendu à l’aéroport .
Au vu des investigations et sur la base des témoignages reçus, les enquêteurs ont conclu que Franklin était celui qui orchestrait le trafic de stupéfiants depuis l’île Maurice avec la collaboration de l’accusé Mariaye ; faits que ce dernier a confirmé et qui ont été mis en évidence à travers les écoutes téléphoniques. Ce sont les raisons pour lesquelles le tribunal de Saint-Denis, de l’île de la Réunion, a déclaré Franklin coupable et l’a condamné à sept ans d’emprisonnement, bien qu’absent au procès et n’ayant jamais été interrogé dans l’affaire. Il en est de même pour le skipper mauricien Nono qui a écopé d’une sentence similaire, identifié comme étant celui qui organisait le transport des stupéfiants. Ils font, tous deux, l’objet d’un mandat d’arrêt.
Réagissant à la condamnation de Jean Hubert Célerine à la Réunion en 2021
Une requête pour une commission rogatoire internationale a été délivrée aux autorités mauriciennes depuis juillet 2021, indique le jugement du tribunal de Saint-Denis, de l’île de la Réunion. Néanmoins, rien n’a été fait jusqu’ici à Maurice, suscitant beaucoup d’interrogations. Réagissant finalement sur cette affaire, l’Attorney General Maneesh Gobin était face à la presse ce mercredi 8 février. Il a confirmé une coopération entre son bureau et la République française. Il a, toutefois, avancé que «la coopération se fait entre deux États. Que ce soit pour une extradition ou une commission rogatoire internationale, cela se fait selon les règles entre ces deux États, sous des conditions de confidentialité. Cela ne se fait pas dans la presse». Il a déclaré ne pas être en mesure de dire «ki reket mo finn gagne ek ki repons mo finn done», pour justifier ce manque de transparence. Il a ajouté que «la coopération avec la France est excellente, dans les deux sens, et cela continuera».
S’agissant de l’enquête sur le suspect Franklin en cours à Maurice, il a déclaré : «Comme vous l’avez constaté, la brigade anticorruption a appréhendé deux suspects (Ndlr : Franklin et Rikesh Sumboo, qui serait son prête-nom).» Il a, cependant, parlé d’amalgame après la parution de la photo du Premier ministre en compagnie du suspect Ritesh Sumboo. Questionné sur l’affaire par les journalistes présents, il n’a pas été en mesure de répondre, prétextant des conditions de confidentialité avec la France, avant de couper court à la conférence de presse. Rappelons aussi que le Premier ministre a, par le biais son avoué, Me S. Sonah-Ori, informé le public avoir pris connaissance d’une série de publications dans la presse (des photos de lui en compagnie de Rikesh Sumboo) visant à faire «un rapprochement malveillant entre sa personne et une affaire de blanchiment d’argent faisant l’actualité». Il déclare avoir entamé des consultations avec ses avocats pour poursuivre «ceux responsables de tels actes hautement condamnables et de ces propos mensongers et diffamatoires».
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