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Par Elodie Dalloo
1 janvier 2023 13:42
Il y a de ces moments qui vous font remettre en question votre foi, ces épreuves où même les plus croyants voient leurs doutes se multiplier. Lorsque la souffrance nous ébranle, tant de questions sont soulevées : pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Est-ce juste ? Tellement d’interrogations qui restent sans réponse. Si perdre une personne de manière soudaine et/ou tragique peut être un choc très violent, en perdre plusieurs d’un coup est un sentiment indescriptible ; une douleur sur laquelle il nous est impossible de placer des mots. Ce cauchemar éveillé, des membres d’une même famille le vivent depuis le mercredi 28 décembre, après que la voiture à bord de laquelle se trouvaient leurs proches a fait une sortie de route mortelle. Le bilan est lourd, bien trop lourd : Clara Angelica Manuel, 35 ans, son fils José Angel Christ Jeannette, 14 ans, sa tante Marie Doris Catherine Armoogum, 50 ans, ainsi que son ami Fred Barret, un Réunionnais de 50 ans, y ont laissé la vie. Les deux rescapés, soit le conducteur – un habitant d’Albion de 72 ans – et Daniella Jeannette, la fille de Clara, âgée de 16 ans, sont, pour leur part, hospitalisés.
C’est dans une église bondée que se sont déroulées les funérailles de Clara Manuel, Angel Jeannette et Catherine Armoogum le jeudi 29 décembre. D’une voix brisée par le chagrin, se tenant debout en face du cercueil des trois membres de sa famille, Michael Manuel a livré un bouleversant témoignage à tous ceux venus leur rendre un dernier hommage. Se remémorant l’une des dernières paroles de sa défunte soeur, il a relaté à l’audience avec émotion : «Avant son accident, Clara avait envoyé un message sur le groupe WhatsApp de la famille, nous disant qu’il faudrait que nous nous retrouvions tous. Nous ignorions que ce serait pour des funérailles.» C’était, d’ailleurs, l’une des particularités de Clara. «Li ti kontan organiz program pou fer nou tou zwenn. Elle respirait la joie de vivre.» Très proche de ses frères et soeurs, Clara était également une maman exceptionnelle, aux petits soins pour ses deux enfants, Angel et Daniella. «Son fils Angel ne la quittait jamais. La preuve, il l’a accompagnée jusqu’au bout, même dans la mort. Notre seul soulagement est de le savoir auprès d’elle. Nous savons qu’ils ne sont pas seuls, que peu importe où ils se trouvent en ce moment, ils sont en paix.»
Issue d’une fratrie de neuf enfants – elle avait deux frères et six soeurs –, Clara était séparée du père de ses enfants depuis plusieurs années et vivait à Chebel avec son fils et sa fille. Gagnant sa vie comme caissière, elle travaillait depuis peu dans une supérette non loin de chez elle ; un poste qu’elle avait accepté pour pouvoir rentrer plus vite chez elle tous les jours afin de retrouver sa famille. Chérissant chaque moment passé avec son entourage, elle avait tout prévu pour cette période de festivités. «Pour le Nouvel An, nous avions tous prévu de nous réunir chez notre père. Nos fêtes familiales ont toujours été impressionnantes vu que nous sommes nombreux. Clara nous parlait aussi d’une sortie en famille en catamaran le 4 janvier», avance son autre frère François.
D’autant plus peiné par la disparition tragique de son neveu, qui était élève au collège La Confiance, il poursuit : «Li enn gro tristess. Angel ti enn dimoun dou, trankil ek debrouyar. Il était passionné par la cuisine et la musique.» Irie, son ex-enseignante, ne tarit pas d’éloges à son sujet : «Angel, un petit bout toujours souriant, enthousiaste, malgré sa timidité au premier abord. C’était un soleil dans ma classe avec ses grands yeux éveillés et curieux, son beau et et grand sourire. Il rougissait à chaque fois qu’il se faisait gronder mais faisait toujours de son mieux. Il s’appliquait toujours en classe. J’ai eu la chance de travailler avec lui et sa soeur ; des enfants très doux, gentils, serviables. Cette nouvelle m’a choquée. Quitter ce monde à 14 ans avec tellement de projets, de rêves qui resteront inachevés. Dans ce grand malheur, mes pensées et mes prières vont vers sa soeur, qui perd sa maman et son frère en même temps. Que Dieu lui donne le courage de surmonter cela, qu’elle garde la foi malgré cette énorme perte.»
Aujourd’hui, ce qui inquiète le plus François Manuel, c’est la manière dont ses parents surmonteront cette douloureuse épreuve. «Notre père tâche de se montrer fort mais nous savons qu’il souffre énormément. Ma mère est, cependant, la plus affectée. Enn lamor deza difisil pou enn fami, me kan se trwa serkey ki pe sorti, pena mo pou sa soufrans-la. Nou touzour pa le krwar ki nou pe traverse.»
Catherine était dotée des mêmes qualités que sa nièce. Elle se sacrifiait pour sa famille, particulièrement pour son unique fils, Jordan ; encore plus depuis le décès du père de ce dernier (NdlR : son époux Jean Gilbert Lacharmante est mort à l’âge de 50 ans le 12 septembre 2019, soit quatre jours après avoir été renversé par une voiture alors qu’il circulait à vélo à Beau-Bassin). «Li ti enn bon dimounn, nou ti bien pros. La dernière fois que nous nous sommes parlés, c’était lundi. Nous n’avions pas pu nous voir à Noël et avions prévu de nous retrouver pour le Nouvel An. Li ti touzour zovial, bien korek, pena nanye de mal ki kapav dir lor li», avance Judex Armoogum, son frère aîné.
Son amour et sa bienveillance, elle ne l’avait pas seulement pour sa famille, mais pour tous ceux qui croisaient son chemin, comme en témoigne Annick Bigaignon, son ancienne voisine. «C’est une personne formidable avec un cœur en or qui s’en est allée. Nous l’avons côtoyée pendant plusieurs années et pouvons dire qu’elle est inoubliable. Son décès tragique est un vrai bouleversement pour nous tous, mais surtout pour ma benjamine, avec laquelle elle avait beaucoup d’affinités. Nous avons toujours pu compter sur elle. Elle était très serviable, prête à aider, généreuse et bienveillante. Elle sera toujours dans nos pensées.» La fille d’Annick, Angie, abonde dans le même sens : «Je connais Catherine depuis que je suis toute petite, vu qu’elle travaillait chez ma tante. Comme Dieu fait bien les choses, elle est devenue ma voisine après quelques années. Elle était une femme en or, très généreuse. Je lui suis très reconnaissante car lorsque ma mère voyageait, elle a pris soin de moi. Catherine m’a non seulement appris à cuisiner mais m’a aussi appris à avoir confiance en moi. Elle m’a toujours encouragée à prier et à suivre Dieu. Elle n’était pas juste une voisine, mais une maman tombée du ciel. Elle n’a pas eu une vie facile mais elle s’est toujours battue pour que son fils ne manque de rien. Je l’admirais pour cela.»
Le jour du drame, relatent les proches des victimes, le petit groupe s’était rendu à Casela en autobus. L’ami de Clara, le Réunionnais Fred Barret, ayant posé ses valises à Maurice quelques jours plus tôt pour des vacances qui devaient durer trois semaines, la petite famille avait prévu de lui faire visiter l’ile. «Il avait souvent séjourné à Maurice mais c’était la première fois qu’il avait l’occasion de passer du temps avec une famille mauricienne», relate François Manuel, le frère de Clara. Il poursuit : «Vu qu’ils n’allaient pas pouvoir prendre part aux activités qu’ils avaient prévues dans l’Ouest, ils ont changé leurs plans. Ma soeur m’avait contacté pour me demander de les récupérer mais j’étais occupé. C’est là qu’ils ont contacté un ami pour les conduire au Mahogany Mall, dans le Nord. Le conducteur fait presque partie de la famille. Il est à la retraite et a toujours répondu présent lorsque nous avons eu besoin de lui. Li pa bwar, li pa roul brite, li roule depi boukou lane. Nou pa kone ki kapav inn arive.»
Il était environ 15 heures lorsque la voiture à bord de laquelle circulait la petite bande a fait une sortie de route sur la Nationale, à hauteur de Beau-Plan, et a percuté violemment un arbre. Fred Barret et Clara Manuel ont été tués sur le coup, alors que Catherine Armoogum et Angel Jeannette ont succombé à leurs blessures un peu plus tard à l’hôpital. Les membres de cette famille ont appris la mauvaise nouvelle après avoir eu un policier au bout du fil en tentant de contacter leurs proches. À l’heure où nous mettions sous presse, Daniella, toujours admise, n’avait pas encore été informée du décès de ses proches. «Elle pense qu’ils sont également hospitalisés et qu’ils se trouvent dans une autre salle», confie François Manuel. Bien qu’elle ait subi de graves blessures, «son état de santé est stable», affirment ses proches.
Cette terrible nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre à l’île soeur également, après que l’annonce a été faite par plusieurs médias. William Barret, le cousin de Fred, a encore du mal à se faire à cette idée. «Cela a été une nouvelle bouleversante pour nous, ses proches, mais encore plus pour son fils unique, Arnaud. Comme nous ne sommes pas encore en présence de sa dépouille, nous nous réservons le droit de croire à une mauvaise blague de fin d’année. Malheureusement, je crois que la réalité nous rattrapera très rapidement une fois qu’il sera revenu parmi nous.» Dans la soirée du jeudi 29 décembre, dit-il, le fils de Fred a pris l’avion pour Maurice afin d’entamer les démarches pour le rapatriement. «Un sentiment de colère face à la vie et face à lui nous a tous envahis.»
Depuis que ses proches ont appris la terrible nouvelle, ils ne cessent de se demander : «Qu’es-tu allé faire à Maurice, Fred ?» William Barret poursuit : «Même si nous savions qu’il voulait passer les fêtes de fin d’année avec des amis à Maurice, nous aurions aimé pouvoir remonter le temps pour que son histoire s’écrive autrement. La difficulté dans ce genre de situation est que nous ne sommes pas préparés à de tels évènements. C’est dur de perdre un proche qui pétait la forme, qui avait la joie de vivre et profitait de la vie comme lui le faisait. J’aurais dû insister ; il ne serait peut être pas parti à Maurice.» Séparé depuis plusieurs années, Fred Barret «a un fils pour qui il aurait décroché la lune s’il le pouvait. Son fils était son trésor, sa fierté».
La victime était chef cuisinier, précise son cousin : «Son parcours depuis qu’il s’est intéressé à la cuisine a été, pour moi, exemplaire. Dès qu’il touchait à une marmite, il en sortait quelque chose de bon à déguster, que ce soit en pâtisserie, plats créoles ou autres. Il maîtrisait son sujet.» «Tu vas nous manquer Fred. Si seulement je pouvais retourner l’horloge de la vie, pour que l’histoire ne s’écrive pas comme ça aujourd’hui. J’aurais préféré te retrouver avec nous, après tes vacances. Si seulement je pouvais lire dans l’avenir, je ne t’aurais pas laissé partir ou t’en aurais dissuadé quand on s’est vus la semaine dernière», se désole son cousin.
Conduit au poste de police après la tragédie, le conducteur de la voiture impliquée a été soumis à un alcotest, qui s’est avéré négatif. Questionné par les enquêteurs, il a déclaré qu’il roulait sur le slow lane en direction de La Croisette au moment des faits, lorsqu’il a soudainement perdu le contrôle de son véhicule et percuté l’arbre se trouvant du côté gauche de la route. Les lieux ne sont, cependant, pas couverts par les caméras Safe City. Admis à l’hôpital après avoir donné sa version des faits, il fera face à la justice lorsque son état de santé le permettra. Entre-temps, les forces de l’ordre tentent encore de faire la lumière sur les circonstances de ce terrible drame.
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