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Par Elodie Dalloo
22 février 2022 13:24
Il y a à peine quelques jours, son père et elle ont fabriqué un lit avec des palettes en bois. À côté de ses autres projets – peindre des tableaux et faire du body painting, entre autres –, Tania Calice, un petit génie de l’art de 23 ans qui touchait à tout ce qui se rapportait à sa passion, avait aussi promis de trouver du temps libre afin de confectionner un bar pour sa soeur Laura. Mais cette promesse, elle n’a pas pu la tenir car dans la nuit du mercredi 16 février, cette habitante de Balaclava a trouvé la mort dans des circonstances brutales, tragiques et inattendues ; un départ qui plonge sa famille dans un profond désarroi.
Sa dernière conversation avec sa fille, se remémore Nobert Calice, remonte à cette fameuse et funeste nuit où la jeune femme l’avait contacté pour lui dire qu’elle rentrerait un peu plus tard que prévu. «Son petit ami devait aller récupérer sa soeur pour la conduire chez sa mère, à Port-Louis, mais leur véhicule est tombé en panne.» Il ne se serait jamais douté que quelques minutes après ce premier coup de fil, son existence serait chamboulé à tout jamais. La voix de sa benjamine résonnait encore dans sa tête à ce moment-là : «J’ai reçu un deuxième appel du petit ami de Tania m’informant qu’elle venait tout juste d’être victime d’un accident et qu’elle était inconsciente. Il m’a ensuite rappelé pour me dire qu’elle n’avait pas survécu.» En une fraction de seconde, son monde s’est écroulé.
Le drame s’est produit vers 23 heures. La fourgonnette de Sheldon Nayadoo, le petit ami de la jeune femme, est tombé en panne à Alma, Quartier-Militaire. Le couple est alors descendu du véhicule et se tenait derrière celui-ci quand un van allant en direction de Saint-Pierre a percuté la jeune femme. Le choc de l’impact a été tel qu’elle est morte sur le coup. Son décès a été constaté par un médecin du Samu. Un alcotest a ensuite été pratiqué sur les deux conducteurs et s’est avéré négatif. «Quand nous avons appris la mauvaise nouvelle, c'était la panique. Nous avions demandé à mon beau-frère de nous conduire sur les lieux mais avant même que nous ayons le temps de nous déplacer, la police nous a contactés pour nous informer que son corps avait déjà été transporté à l’hôpital Bruno Cheong», explique son père, le coeur brisé d’avoir perdu son «rayon de soleil». Les funérailles de la jeune femme ont eu lieu le jeudi 17 février. Et sa mort a suscité une pluie d'hommages sur les réseaux sociaux.
Amoureuse de l’art, Tania avait tout pour réussir dans la vie. L’an dernier, elle avait complété ses études en Art and Fine Arts au Mahatma Gandhi Institute (MGI) et avait décroché son diplôme avec mention «Très bien». Nishal Purbhoo, qui l’a eue comme élève lorsqu’il a intégré l’université comme Lecturer à temps partiel, garde d’elle le souvenir d’une jeune femme exceptionnelle : «Elle travaillait dur et avait beaucoup de talent. Elle était ambitieuse, dynamique et débordait d’énergie. Elle était amicale, généreuse et serviable ; ces facettes de sa personnalité faisaient d’elle une élève vers qui les autres se tournaient. Elle était comme une mère, une soeur, toujours en train de se soucier des autres. C’est pour ces raisons qu’elle était aussi appréciée. Elle avait une âme pure.»
En tant qu’artiste, dit-il, Tania s’était tournée vers le body painting. «À l’époque, elle ne savait pas si elle allait dans la bonne direction en adoptant cette technique mais je l’avais encouragée et motivée pour qu’elle retrouve confiance en elle. Elle était vraiment douée et avait un style unique.» Récemment, dit-il, la jeune femme avait même participé à une exposition internationale en ligne – Unis pour L’Art – organisée par son professeur, à laquelle avaient participé 27 artistes locaux et 27 autres du Maroc. «Nous avons perdu une véritable artiste ; une pierre précieuse», regrette Nishal Purbhoo.
Le coeur sur la main, «Tania aimait aussi venir en aide à la société. Elle était tout le temps à la recherche de familles défavorisées dans sa région et leur apportait son aide avec le soutien de ses amis. Elle apportait sa contribution au projet Parenting Sustainable Education, mis en place par une ONG, dont le but est de fournir du matériel scolaire aux étudiants», confie son ancien professeur. La JKC foundation a aussi tenu à lui rendre hommage et l’a remerciée pour sa contribution dans une publication. «C’est avec une très grande tristesse que nous avons appris aujourd’hui le décès tragique de Tania Calice, jeune artiste brillante de 23 ans, élève de Nirveda Alleck au MGI qui avait collaboré avec la Fondation l’année derrière à travers des ateliers d’art ludiques pour les jeunes. Nous avions même fait une fresque géante avec les enfants de Camp-Levieux et le résultat nous avait convaincus que l’art demeure un vecteur puissant pour rassembler un peuple. Tous les samedis, Tania faisait une longue route depuis le Nord pour passer quelques heures dans notre fondation à St-Patrick et redonner de l’espoir et beaucoup d’amour à nos petits anges. RIP Tania et merci pour tant de générosité.»
Benjamine d’une fratrie de trois enfants, Tania entretenait une relation fusionnelle avec ses soeurs Laura, 28 ans, et Cathy, 27 ans. «Au-delà du fait que nous soyons soeurs, nous étions des amies avant tout. Se premie lamitie for ki nou finn kone. Même si Tania était bien plus jeune que nous, nous l’emmenions toujours avec nous. Sa ti fer li koumans gagn mem manier ek nou», confie Laura. Toutefois, c’est son amour pour la peinture qui lui a permis de déployer ses ailes. «Grâce à son art, elle est devenue indépendante émotionnellement. À travers la peinture, elle a appris à extérioriser ses émotions. Elle se laissait envahir par son environnement. Elle était têtue et voulait toujours que nous voyions les choses à sa manière. Elle nous a d’ailleurs appris à partager son amour pour la nature. Elle avait un autre regard et une perception différente des choses.» Elle était aussi une optimiste inconditionnelle : «Notre ami Darren lui disait toujours qu’elle devait partager la joie et l’amour. Elle avait adopté ce mode de vie. Tou dimounn ti fini trouve ki li ti ena enn lot vibe.»
À l’instar de sa meilleure amie, sa soeur de coeur, Tasha Jugloll, qui lui vouait une admiration sans bornes. «C’est comme une partie de moi qui s’en va. Je suis toujours en état de choc et n’accepte toujours pas ce qui s’est passé.» C’est au MGI que les deux jeunes femmes ont fait connaissance il y a quelques années. «Dès le premier jour, les autres élèves ont cru que nous nous connaissions depuis longtemps car nous avions tout de suite accroché. Depuis, nous ne nous sommes plus quittées. À la naissance, j’ai perdu ma jumelle. Mais lorsque je l’ai rencontrée, j’ai eu l’impression d’avoir retrouvé la soeur que j’avais perdue. C’était le genre d’amie dont tout le monde rêve.» Sa meilleure vie, dit-elle avec nostalgie, elle l’a vécue aux côtés de Tania. «C’est elle qui m’a appris à nager, m’a emmenée faire mes premières randonnées ou des sorties à la cascade. Je lui ai, pour ma part, appris à jouer à la guitare. Elle était sincère, honnête, loyale, fidèle et n’avait peur de rien. Nous partagions la même passion pour l’art, la musique et les jams.»
Tasha Jugloll se souvient que quand on la questionnait, «Tania disait toujours que l’art c’est un partage, c’est la vie». C’est sans doute pour cette raison que «vivre de son art était son désir ultime. Elle voulait fonder une école d’art pour les enfants n’ayant pas les moyens. Elle voulait que son art impacte la société. Elle offrait souvent des tableaux en cadeau. Bosseuse à toute épreuve, elle ne lâchait rien, elle donnait toujours le meilleur d’elle-même dans sa passion, dans ses projets, ainsi que sur le plan relationnel. Elle voulait toujours évoluer et découvrir de nouvelles choses. C’était, pour moi, l’une des meilleures artistes de l’île et une vraie patriote. Elle aimait son pays plus que tout et disait toujours qu’on a tant à découvrir ici».
Exploratrice dans l’âme, «Tania avait un véritable lien avec la nature ; toujours à l’aise pieds nus, dans la boue. Elle aimait observer les petits détails de la nature, qui l’inspiraient quotidiennement dans son art», raconte encore Tasha Jugloll. Ce qui l’a marquée, c’est que sa meilleure amie lui répétait souvent que «bizin profit letan ki nou pase ansam parski pa kone ki kapav arive demin». Mais elle était loin de se douter, à l’époque, que ces paroles prendraient tout leur sens dans un futur aussi proche.
Les bons moments, Tania en a aussi énormément partagés avec sa soeur Cathy. Celle-ci en garde des souvenirs impérissables : «Je n’oublierai jamais ces journées où nous prenions le scooter pour nous rendre à la plage avec les chiens ou encore lorsque nous marchions pour aller à la rivière. Ce sont des moments qui m’ont marquée à jamais. Mo ser inn touzour la pou mwa kan mo ti bizin li. Li ti bien spiritiel. Li ti pe servi bann eleman natirel pou apez so lam. Li ti pe dir mwa asiz anba enn pie, respire ek ranpli mo poumon avec seki Bondie finn kre. Li ti pe konsol li avek tou seki ti ena de natirel. Seki artifisiel pa ti ena valer pou li.» C’était une jeune femme «originale et hors du commun. Elle était différente des autres. Elle avait une âme libre, qui voyageait beaucoup». Bien que totalement bouleversée par le départ tragique de sa petite soeur, elle concède que «Bondie kone ki linn fer».
Cathy ajoute avec beaucoup d’émotion : «Si Dieu nous l’a enlevée, c’est parce qu’il s’est rendu compte qu’elle avait déjà tout compris de Ses créations divines, de la vie. Elle était en paix avec la nature, les animaux. Si elle nous a quittés, c’est parce que Dieu avait d’autres projets pour elle à Ses côtés. Il avait besoin d’une architecte qui l’aiderait dans la création des paysages de cette terre.»
C’est pour toutes ces raisons que, malgré l’intense douleur causée par son départ, son entourage a fini par accepter qu’«elle fait désormais un avec la nature» et brille parmi les anges.
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