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Un an après le drame de Grande-Rivière-Sud-Est : L’insurmontable douleur des proches des quatre victimes

12 juin 2017

Lovish et son père Nitesh, la constable Urmila Mewa et le petit Vagish ont tous péri dans un accident de bateau, le 8 juin 2016.

Le père de Nitesh, 29 ans, et grand-père de Lovish, sept mois  : «Je n’oublierai jamais ce jour»

 

Les rues sont désertes lorsque nous arrivons à Tagore Lane, Lallmatie, en cet après-midi du jeudi 8 juin. Toutefois, devant une grande maison à étage, se tient un homme, vêtu d’un T-shirt blanc et d’un pantalon gris qui s’active à entasser des chaises les unes sur les autres. La terrasse est recouverte d’une bâche blanche. Le visage triste, l’homme nous confirme que nous sommes bien chez la famille du policier Nitesh Mungur, 29 ans, et de son fils Lovish, sept mois seulement, décédés le 8 juin 2016, lors du drame de Grande-Rivière-Sud-Est (GRSE). Celui qui nous parle est Pravind Mungur, père de Nitish et grand-père du petit Lovish. 

 

Il nous invite à entrer avant de nous présenter Gaytree, son épouse. Chez eux, les préparatifs ont été enclenchés depuis quelques jours pour marquer, selon les rites hindous, le triste anniversaire de la mort de leur fils et de leur petit-fils, qui se sont noyés lors de cette sortie en mer, qui a viré à la tragédie. «Ce dimanche 11 juin, on dira une prière. C’est la coutume chez les hindous. On réunira nos proches et nos amis», explique tristement Pravind Mungur qui n’a rien oublié de ce terrible drame qui a bouleversé l’existence de toute sa famille il y a un an. 

 

 

«Je n’oublierai jamais ce jour fatidique. Je me pose toujours des questions sur les circonstances exactes de ce drame. Je n’ai pas eu toutes mes réponses. C’est difficile de vivre avec cela au quotidien. Mais je dois m’y faire», confie ce père complètement meurtri. En ce 8 juin, soit un an jour pour jour après la mort de ces deux membres de sa famille, il n’a pas souhaité retourner sur les lieux de l’accident, comme le voudrait la tradition, pour y mettre des fleurs. Car pour Pravind et son épouse Gaytree, cette démarche est tout simplement au-dessus de leurs forces. 

 

«Nous sommes allés là-bas une fois. C’était très dur. C’est pour cela que je n’ai pas tenu à y être car cela m’aurait brisé davantage», dit-il, la gorge nouée par l’émotion. Dans son salon, les photos du petit Lovish, tout souriant, et de son père Nitesh, fièrement vêtu de son habit de policier, tapissent le mur. Et chacune d’elles racontent une histoire, avance Gaytree. «Le sourire de mon petit-fils me manque. Il était une vraie boule d’énergie. Quand je regarde ces photos, je ne peux me retenir. Je me dis à chaque fois qu’il aurait dû être parmi nous. Et mon fils Nitesh également. Il était un bon policier. Des fois, les gens jasent et disent n’importe quoi sur ce drame. Et blâment les victimes qui, selon eux, étaient sous l’influence de l’alcool. Mais ils ne parlent pas de l’aspect sécuritaire, de l’absence du port de gilet. Rien du tout. Ils ignorent notre souffrance»,lâche-t-elle pour exprimer sa grande douleur. 

 

Aujourd’hui, même si rien n’est plus comme avant, les Mungur tentent tant bien que mal d’avancer et de vivre avec ce drame qui fera à tout jamais partie de leur histoire. Nishta Mungur, l’épouse de Nitesh et la mère du petit Lovish, quant à elle, ne veut pas retourner sur les circonstances de ce drame qu’elle a vécu de manière totalement impuissante. Elle aussi était présente sur le bateau revenant de l’Île-aux-Cerfs et elle a pu s’en sortir avec sa fille aînée. Un an après, la douleur est toujours vive, intacte. Mais pour sa fille, elle a choisi d’avancer, même si elle est consciente qu’elle ne pourra jamais faire une croix sur le passé. Car son époux Nitesh et son fils Lovish feront toujours partie de sa vie, même s’ils ne sont, hélas, plus de ce monde. 

 


 

 

Le papa d’Urmilla, 24 ans : «Son absence pèse toujours très lourd»

 

La famille Mewa tente de reprendre le cours de sa vie, en vain. Un an après le drame, la souffrance est toujours intacte pour les proches d’Urmilla, la policière de 24 ans qui figure sur la liste des victimes du drame de GRSE. «Nous essayons de continuer à vivre normalement mais son absence pèse lourd,confie tristement Mudhoo Mewa, le père de la jeune femme.Nous faisons en sorte de toujours avoir quelque chose à faire pour nous occuper l’esprit mais dès que nous nous arrêtons un moment, que nous pensons à elle, cela nous fait énormément de peine.» Le lien qui l’unissait à toute sa famille était très solide et tous ont du mal à combler le vide. «C’était une fille exemplaire. Elle était proche de tous les membres de cette famille. C’est pour cela que tout le monde est toujours très affecté qu’elle ne soit plus là.» 

 

La jeune femme reste bien vivante dans le cœur de tous et pour l’avoir toujours sous les yeux, ils ont accroché au mur du salon plusieurs photographies la montrant heureuse. C’est nécessaire pour les Mewa, même si cette vision est aussi porteuse de chagrin. «Comment voulez-vous que les parents ne souffrent pas en contemplant, tous les jours, ces photos d’Urmilla ? Ce sont les seuls souvenirs qu’il nous reste d’elle», déplore le grand-père de la policière. 

 

 

Jayshree, la mère d’Urmilla, parle peu mais son regard en dit beaucoup. En larmes, elle a du mal à revenir sur cette longue et pénible année qui s’est écoulée depuis la tragédie. Revenir sur ce drame ne fait que rouvrir cette blessure qu’elle tente tant bien que mal de guérir. «Ma fille et mon épouse étaient très complices. Urmilla passait tout son temps avec sa mère», explique Mudhoo Mewa. 

 

Parler de la jeune femme veut aussi dire revenir sur les circonstances dans lesquelles elle a perdu la vie. Son oncle Gianduth Mewa exprime une colère que le temps n’a pas réussi à estomper. «Le skipper n’est pas entièrement responsable de ce qui s’est passé mais il y a bel et bien eu des manquements de sa part. Il aurait dû imposer aux passagers le port du gilet de sauvetage et veiller à ce que leur nombre ne dépasse pas la norme. Les choses se seraient sans doute passées autrement.»

 

Pravesh, le cousin d’Urmilla, qui opère comme moniteur de golf à l’Île-aux-Cerfs, renchérit : «Tous les jours, je prends le bateau pour aller travailler. Le port du gilet n’a été obligatoire que durant les cinq jours suivant le drame mais lorsque les gens ont commencé à oublier ce qui s’était passé, le port du gilet n’a plus été imposé par les skippers. Les lois ne sont pas assez sévères.»

 

Le jeudi 8 juin, date ô combien symbolique, toute la famille s’est rendue sur la côte de GRSE pour une séance de prière en mémoire de la jeune femme. Un moment très émouvant où la famille a, une fois de plus, dit adieu à celle qu’elle aimait.

 

 


 

 

La maman de Vagish, 4 ans : «Depuis que je l’ai perdu, je ne vis plus»

 

Un anqu’elle pleure son fils adoré. Un an que Pooja Gopaul, une policière, tente de survivre au départ soudain et tragique de son fils Vagish Shamloll, 4 ans. «Je ne sais pas si je peux décrire ma souffrance avec des mots. J’ai beaucoup à dire mais je ne sais pas si j’ai les mots appropriés pour exprimer toute ma peine. Depuis que j’ai perdu mon fils, je ne vis plus.» Le jour fatidique, sa sœur, également policière, et elle s’étaient rendues à l’Île-aux-Cerfs avec leurs collègues et leurs familles respectives. Toutes deux se souviennent, comme si c’était hier, du moment où tout a basculé. 

 

«Cela s’est passé en une fraction de seconde. Quand l’embarcation a chaviré, nous ne savions pas quoi faire pour sauver Vagish et les autres, restés coincés sous le bateau. Nous étions agrippés à l’embarcation et hurlions à l’aide, se souvient Pooja, les larmes aux yeux. Mais le skipper est resté figé, il n’a rien fait pour nous aider. Je peux comprendre qu’il était en état de choc mais il devait être préparé à affronter ce genre de situation. Ce sont d’autres skippers qui sont finalement venus nous aider.»

 

 

Elle maintient que le skipper n’avait jamais mentionné que des gilets de sauvetage étaient mis à leur disposition. «S’il nous avait réellement prévenus, peut-être que les adultes ne les auraient pas utilisés mais nous aurions équipé les enfants.»

 

Pooja blâme également les premiers secours qui, selon elle, étaient arrivés sur les lieux sans les équipements appropriés. «Lorsque je suis arrivée sur la terre ferme, on m’a mis mon fils entre les bras. C’est une image que je n’arriverai jamais à effacer de ma mémoire. Il était immobile. Je suis grimpée à bord d’un van de secouristes avec lui pour qu’on nous conduise à l’hôpital mais ils n’avaient aucun équipement ; uniquement une civière», déplore-t-elle. Un autre moment terrible qu’elle a vécu est le fait que son fils a dû être autopsié après la confirmation de son décès. «Je suis policière ; je sais comment cela se passe. Mon fils ne méritait pas une telle fin. C’est aussi une souffrance mentale qui est impossible à surmonter.»

 

Le jeudi 8 juin, les familles Gopaul et Shamloll se sont rendus au cimetière pour déposer des fleurs sur la tombe du garçonnet, qui aurait célébré ses 5 ans le 23 avril, et ont organisé une séance de prière à leur domicile. Mais pour Pooja, la vie ne sera plus jamais pareille : «Il y a tout juste un an, cette maison respirait le bonheur et la joie. Depuis qu’il n’est plus là, tout a changé. Tout le monde a ses problèmes personnels et lorsque je n’allais pas bien, c’est lui qui me faisait retrouver le sourire à chaque fois. Rien n’est plus pareil.» 

 

Sa vie n’est plus que deuil et larmes.

 


 

 

Une enquête au point mort ?

 

L’enquête judiciaire instituée par le Directeur des poursuites publiques (DPP) après le drame de GRSE a pris fin le 17 octobre 2016 devant le tribunal de Flacq. Depuis, la magistrate Navina Parsuramen, qui avait présidé ces travaux au cours duquel 32 témoins avaient été entendus, aurait soumis les conclusions au DPP à qui revient la charge d’intenter des poursuites s’il estime qu’il y a eu une négligence ayant mené à ce drame. Toutefois, Me Viren Ramchurn, qui représente les familles des victimes et des passagers qui se trouvaient à bord de l’embarcation LUV le jour du drame, affirme qu’à ce jour, il ne sait pas où en sont les choses. Même son de cloche du côté de Me Chetan Baboolall, l’avocat du skipper Louis Hayward Marie qui était aux commandes du LUV au moment du drame. Il avait été arrêté par la suite mais depuis les charges qui pesaient sur lui ont été rayées. Il avait affirmé que, ce jour-là, les passagers chantaient et dansaient dans l’embarcation et ne s’étaient pas arrêtés malgré ses mises en garde. C’est cela, avait-il déclaré, qui avait déséquilibré le bateau. «Depuis la fin de l’enquête policière, il n’y a eu aucune suite», avance Me Chetan Baboolall. Alors que de son côté, Me Viren Ramchurn avance que le 8 juin dernier, il a rencontré quelques policiers qui étaient chargés de cette enquête. «L’enquête policière a été bouclée et le magistrat a déjà soumis ses findings. Mais je ne connais même pas les conclusions des travaux. À ce stade, on attend la suite. Car mes clients attendent réparations», dit-il.

 

Textes : Laura Samoisy et Elodie Dalloo

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