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Un compatriote fait l’apologie de Daech : La vidéo qui choque les Mauriciens

15 décembre 2015

Yogen Sundrun lance un appel à ses «frères et soeurs de l’île Maurice» à rejoindre l’état islamique.

Le père de Yogen Sundrun : «Que mon fils redevienne comme il était avant»

 

Il lance un cri du cœur à son fils et lui demande de redevenir celui qu’il a toujours connu et qui faisait auparavant sa fierté. Le jeune homme se fait aujourd’hui appeler Abu Shuaib Al Afriqi et est devenu cette semaine le talk of the town, car dans une vidéo propagande sur YouTube, il invite ses compatriotes à rejoindre l’état islamique. Une vidéo qui a choqué les Mauriciens, à commencer par sa famille.

 

 

Il a le cœur en miettes. Et dans sa tête : tout se bouscule. La gorge nouée, les yeux embués, ce père de famille, un habitant de Terre-Rouge, propriétaire d’un snack dans la capitale, est un homme meurtri. «Comment voulez-vous que ça aille alors qu’on parle partout de mon fils comme d’un terroriste»,lâche-t-il, tout en souhaitant garder l’anonymat, car il ne veut pas que «tous montrent du doigt»sa famille, même si dans son entourage, tout le monde sait de quoi il en retourne.

 

L’homme tient d’ailleurs à lancer un message à son fils Yogen Sundrun, dans l’espoir qu’il l’entendra et l’écoutera : «S’il pouvait m’entendre, je lui dirais qu’il redevienne comme il était avant. Je lui demanderais aussi de ne pas basculer dans le mal, car je ne veux pas qu’on parle et qu’on se souvienne de mon enfant comme d’un terroriste.»

 

Tout a commencé cette semaine, lorsqu’une vidéo de propagande sur YouTubea été dévoilée, montrant le jeune homme de 35 ans, qui se fait aujourd’hui appeler Abu Shuaib Al Afriqi, inviter les Mauriciens à rejoindre l’état islamique. Une «terrible découverte» pour ce père de deux enfants – il a aussi une fille – qui a appris la chose en même temps que toute l’île Maurice. Passant par toutes les émotions, il s’est retrouvé, dit-il, plongé dans un véritable cauchemar :«J’ai été choqué, traumatisé, bouleversé.»

 

Il n’a pas vu, ni parlé à son fils depuis 2012, mais il ne s’attendait pas, dit-il, à le revoir dans une vidéo. «Et surtout pas ainsi. Surtout pas de cette façon, appelant les gens à rejoindre l’état islamique. Je ne le connais pas comme ça…»confie-t-il dans un sanglot. Passé le premier choc, il a commencé à se poser mille questions : «Pourquoi, comment ? Je cherche à comprendre, mais je n’ai pas de réponse.»

 

Puis, dit-il, il a dû faire face à tout ce qui a suivi cette révélation : des échanges avec les autorités sur le lien de Yogen avec Daech, même s’il n’a pu être d’aucune aide, les appels des proches qui ont eu vent de «cette folle histoire»et les nombreuses sollicitations de la presse. «C’est mon enfant, je l’ai vu grandir devant moi, je l’ai vu se construire, mais après, je ne sais pas ce qui s’est passé. Je ne suis pas responsable de ses actes. Je ne sais pas où il est, je ne sais ce qu’il fait, je ne sais pas comment il s’est retrouvé là où il est maintenant et pourquoi il est apparu dans ce clip pour passer ce message duquel ma famille et moi nous nous dissocions complètement.»

 

Dans son entourage, tous sont troublés et n’arrivent pas à croire que le Yogen qu’ils ont connu se retrouve mêlé à une «organisation»qui est tant décriée et qui  «fait tant de mal»à travers le monde. Dans le quartier où habite la famille, cette «affaire»s’est vite propagée et tous restent sans voix. «Le temps qu’on l’a côtoyé, Yogen ne faisait pas ce genre de chose et ne tenait pas ce genre de propos»,nous dit l’une de ses proches que nous avons rencontrée tout près de l’endroit où il habitait avant. Même constat de la part des commerçants qui travaillent dans les alentours du snack de son père à Port-Louis. «On ne comprend pas»,lâche l’un d’eux.

 

«Quelqu’un de calme»

 

Ne cherchant pas, précise-t-il, à défendre son fils, le père de Yogen avoue qu’il cherche à comprendre. Il ne sait pas ce qui est arrivé à celui qui, il y a quelques années encore faisait sa fierté.«Quel père n’est pas fier de son enfant ? Pour moi, il a toujours été un bon garçon. Quand il m’a dit qu’il se convertissait à l’islam, je l’ai soutenu parce qu’il s’agissait de religion et je me disais que tant qu’il était bien dans sa peau, moi j’étais heureux pour lui.»Depuis sa naissance, le 18 janvier 1980, le père de Yogen n’a jamais rien eu à lui reprocher : «Il a toujours été quelqu’un de calme et très cool. Il n’a jamais été violent et n’élevait jamais la voix…»

 

Il parle de lui comme de quelqu’un d’intelligent qui faisait toujours de son mieux pour faire la fierté de ses parents : «Il a étudié à l’école primaire Villiers René à Port-Louis, puis a fait son secondaire au Mahatma Gandhi Institute.»Ce père de famille décrit aussi Yogen, que beaucoup appellent «Dada», comme un «traser» qui n’a jamais pu rester sans rien faire : «Il a été marchand à Curepipe. Il vendait de la nourriture, il lavait les voitures, avait un tricycle qu’il utilisait pour aller vendre des crêpes et il a aussi été un employé hors pair dans une imprimerie en tant que graphiste pendant quelque temps. Jamais il n’y a eu de complaintes à son sujet. Ceux qui en doutent peuvent aller demander à tous ses employeurs.»

 

Séparé de la mère de Yogen qui vit actuellement en France, le commerçant raconte que c’est lors de ses nombreux déplacements à l’étranger, notamment en Angleterre, que son fils a rencontré celle qui est devenue par la suite son épouse et qui s’est aussi convertie : «Il m’a dit être amoureux et je n’ai pu que le soutenir dans son choix.» Le couple s’est par la suite installé en Angleterre. Le jeune homme, qui pourrait aujourd’hui se trouver en Irak, est actuellement recherché par les autorités mauriciennes, aidées d’Interpol et des forces policières britanniques.

 

 

La belle-famille de Yogen est tout aussi étonnée et choquée par toute cette affaire. «On le connaît comme étant quelqu’un qui a la tête sur les épaules. Nous sommes abasourdis de découvrir ce qu’il fait maintenant. On est sans nouvelle de lui et de sa famille depuis un bon bout de temps», nous a déclaré une proche.

 

La dernière fois que le père de Yogen l’a vu date de 2012 : «Il était venu avec sa famille pour le mariage de sa sœur et il était très bien. Je me souviens que je l’ai trouvé très proche de ses enfants, très à l’écoute et très complice. Je connais seulement quatre de ses six enfants. Je ne connais pas les deux derniers.»Car, depuis trois ans, son fils a coupé tout contact avec lui et le reste de la famille. Son rêve, aujourd’hui, c’est que son fils redevienne le Yogen qu’il était avant, pas celui qui fait l’apologie de l’État islamique et demande à d’autres de le rejoindre.

 

Christophe Karghoo

 


 

«Mo fer enn apel ek tou mo bann frer ek ser ki a lil moris»

 

C’est le bureau de Nairobi de Reutersqui a contacté l’expresspour révéler l’existence de la vidéo où le Mauricien fait passer son message. Dans cette vidéo d’une durée de 11’31, on voit Yogen Sundrun avec ses enfants se rendant à une fête foraine. Puis, on le voit avec d’autres personnes : «Mo fer enn apel ek tou mo bann frer ek ser ki a lil moris.» Ildit aussi que l’État a été fondé et que ses «frères»n’ont qu’à faire un pas pour le rejoindre, entre autres. Dans son message, il souligne également :«(…) kan zot vini, main dans la main, nou pou ouver lil moris (…)» Une autre vidéo existe où Yogen Sundrun s’adresse aux Sud-Africains pour les inviter à rejoindre Daech. 

 

 


 

Mario Nobin, commissaire de police : «La situation est sous contrôle»

 

Il rassure… Suite à la diffusion d’une vidéo qui montre un Mauricien invitant ses compatriotes à rejoindre l’État islamique, il n’y a eu aucune hausse du niveau d’alerte dans le pays, assure le commissaire de police Mario Nobin. C’est lors d’un point de presse le 11 décembre aux Casernes centrales, à Port-Louis, qu’il a mis les points sur les «i» : «Après les attentats du 13 novembre à Paris, la police mauricienne n’est pas restée insensible et reste sur ses gardes. La sécurité a également été renforcée. La situation est sous contrôle»,a-t-il soutenu.

 

En ce qui concerne la vidéo de propagande qui circule sur Facebook, il avance qu’aucun «détail n’est laissé au hasard» : «S’agissant de ceux qui voyagent et qui ont des actions douteuses, on prendra des mesures vigoureuses et cela dans l’immédiat. On travaille de jour comme de nuit afin d’assurer la sécurité des citoyens.» À l’approche des festivités de fin d’année, le commissaire de police assure que «la police mauricienne renforce la sécurité dans toutes les divisons et dans tous les endroits stratégiques en ce mois de décembre, en mettant en place un concept innovateur grâce auquel les policiers seront plus actifs pour interpeller les malfaiteurs», explique-t-il.

 

Mario Nobin rassure : ni la communauté du monde des affaires, ni les touristes ne doivent craindre pour leur sécurité. Toutefois, il lance un appel aux citoyens : quiconque perçoit un comportement suspect est appelé à contacter la hotline148 de la police.

 

Par ailleurs, le dossier du Mauricien figurant dans cette vidéo de propagande, entre autres compatriotes, serait entre les mains d’Interpol depuis un moment déjà.

 

Sabine Azémia

 


 

Ces Mauriciens disciples de Daech en Syrie

 

La vidéo d’un Mauricien invitant ses pairs à le rejoindre au sein de l’État islamique pour faire le djihad a choqué l’île Maurice cette semaine. Depuis, les questions se font insistantes quant au nombre de Mauriciens qui sont partis en Syrie dans cette optique. Car Yogen Sundrun ne serait pas le premier à rejoindre les rangs de Daech. Avant lui, un dénommé Reaz Lauthan, habitant la capitale, s’était rendu en Syrie pour faire le djihad.

 

C’est ainsi qu’en voulant s’éloigner des coutumes occidentales et indiennes qui seraient, selon lui, trop présentes dans l’île, il est parti en Syrie en 2011 avant de rentrer au pays quelque temps plus tard. Mais après être resté à Maurice un moment, Reaz Lauthan serait reparti, laissant derrière lui femme et enfants, pour ne jamais revenir. Car il aurait perdu la vie là-bas dans des circonstances encore floues. Et ce n’est nul autre que Yogen Sundrun qui a eu la lourde tâche d’annoncer le décès de Reaz Lauthan à sa famille qui, depuis, serait surveillée de près par les autorités mauriciennes.

 

Pour cause ! Quatre de ses membres, dont le beau-frère de Reaz Lauthan, auraient tenté de rejoindre la Syrie en passant par la frontière turque où ils ont été refoulés. Des chefs de certaines organisations musulmanes soupçonnés d’être derrière la radicalisation de plusieurs jeunes sont également surveillés de très près.

 

Laura Samoisy

 


 

L’appel à la paix des religieux et intellectuels musulmans

 

La vidéo de Yogen Sundrun faisant l’apologie de Daech glace le sang. Alors que la plupart des Mauriciens se sentaient jusqu’ici à l’abri de ce mouvement de l’islam radical, l’ombre du tristement célèbre État islamique semble planer sur le pays depuis la diffusion de cette bande.

 

Au sein de la communauté des religieux musulmans, les propos du jeune homme, converti il y a quelques années en Angleterre et portant désormais le nom d’Abu Shuaib Al Afriqi, sont très critiqués. D’ailleurs, selon le ministre du Logement et des terres Showkutally Soodhun, le sujet a été abordé lors de la prière de vendredi et il a tenu à remercier les responsables des mosquées qui se sont exprimés contre l’État islamique à cette occasion.

 

Si certains préfèrent tout de même ne pas se prononcer sur le sujet, à l’instar du maulanaSaleem Seedat qui dit qu’il ne connaît pas la source de cette vidéo ni si elle est authentique, d’autres comme le moufti Raffick Meerun ne font pas dans la langue de bois. Rien ne doit, selon lui, venir perturber la tranquillité et l’harmonie qui règnent dans notre pays : «Ce sont des montages. Ce sont des individus qui agissent de manière barbare au nom de l’islam, alors que ça n’a rien à voir avec l’islam. Maurice est un pays multiculturel où nous vivons dans la paix et où nous sommes en sécurité. Il ne faut pas laisser ces personnes nous faire du mal.»Il est important, dit-il, d’apprendre les préceptes de l’islam de professionnels confirmés et pas de ceux qui prétendent l’être.

 

Le géopoliticien Shafick Osman avoue avoir ressenti du dégoût en voyant cette vidéo : «Le jeune s’est clairement laissé embrigadé. Il tient un discours manipulateur et digne d’une propagande bien orchestrée. En clair : c’est une victime de Daech.»Selon lui, la propagande de Daech est savamment orchestrée. En utilisant quelques concepts du monde musulman et du vocabulaire islamique, elle arrive à faire passer ses messages sur plusieurs plateformes. «C’est probablement l’une des plus grandes réussites de propagande, à l’échelle planétaire, depuis Hitler et Staline.»

 

Pour Shafick Osman, il faut que les différentes associations et différents regroupements musulmans à Maurice s’unissent pour faire des campagnes de sensibilisation et de communication en utilisant les plateformes médiatiques. Doit-on craindre pour notre sécurité ? Beaucoup se posent la question. Pour le géopoliticien, il n’y a pas lieu. Ceux qui se laisseront tenter par Daech, dit-il, partiront ou essaieront de partir, car ils ne sont pas intéressés par Maurice. Cela dit, ajoute-t-il, il faut prendre les mesures de précaution tout en faisant de sorte que la prévention ne tombe pas dans la paranoïa.

 

Pour Cassam Uteem, ancien président de la République, les Mauriciens n’ont pas de quoi s’inquiéter, même s’il paraît que certains compatriotes se sont rendus en Syrie : «Je ne pense pas que les Mauriciens soient assez imbéciles pour croire dans l’idéologie de Daech. Il peut y avoir un ou deux cas, mais nous ne devons pas avoir peur.»Cette organisation qui se prétend islamique ne l’est certainement pas, souligne-t-il, et va à l’encontre de l’islam en prêchant la haine et la violence. Cependant, face à un mouvement qui embrigade majoritairement des jeunes, il est important de ne pas rester les bras croisés : «Ces jeunes, pour la plupart, n’ont pas eu la formation nécessaire pour bien comprendre leur religion et, du coup, ils sont facilement influençables.»

 

Selon Cassam Uteem, il est primordial, aujourd’hui, de mettre nos jeunes en garde contre la manipulation afin d’éviter la pollution des valeurs de l’islam. Il faut favoriser la bonne entente qui a toujours existé entre les différentes religions de Maurice, encourager les échanges interculturels, les partages entre les jeunes de tous bords. Ces actions ne pourront qu’enrichir nos différences, faire que nous nous comprenions et respections encore mieux afin de nous préserver du fléau Daech.

 

Amy Kamanah-Murday

 


 

Ils dénoncent

 

La vidéo de propagande d’un Mauricien invitant ses compatriotes à rejoindre l’État islamique a suscité de vives réactions. Les personnes interrogées dénoncent avec force l’initiative de Yogen Sundrun…

 

Brandon – Pointe-aux-Sables : «Incitation à la haine raciale»

 

«Ce Mauricien est en train d’inciter à la haine raciale. Après les attaques terroristes à Paris, lui vient dire qu’il aide l’état islamique. Les autorités doivent être vigilantes.»

 

Zeenat - Vacoas  : «Rien à voir avec l’islam» 

 

«Je n’ai pas vu la vidéo, mais j’en ai entendu parler. C’est troublant et effrayant. Moi, je ne vois pas le lien entre Daech et l’islam. Ça n’a rien à voir. J’espère juste qu’il n’y a pas des têtes brûlées qui vont le suivre.»

 

Lionel - Port-Louis: «Prendre des mesures nécessaires»

 

«Je ne trouve pas ce genre d’action correct. Nous vivons dans un pays où il existe une diversité culturelle. Les autorités devraient prendre des mesures nécessaires pour éviter des problèmes.»

 

Mélanie - Floréal : «Pensées archaïques»

 

«Ce n’est pas normal qu’en 2015, un Mauricien agisse de la sorte. Il est clair que le jeune homme a des pensées archaïques incitant à la haine raciale dans le pays. C’est hautement condamnable.»

 

Akshay - Curepipe  : «Une action nuisible»

 

«Ce que fait cette personne n’est pas du tout correct. Nous vivons dans un pays multiracial et tout le monde aime son prochain. L’action de cet homme pourrait nuire à d’autres Mauriciens et à notre unité nationale.»

 

Saffiyah – Port-Louis  : «C’est de la pure propagande»

 

«C’est de la pure propagande et je pense que la majorité des musulmans à Maurice n’adhèrent pas à ce message. Il faut faire sa propre éducation et son propre cheminement, et ne pas prendre au premier degré des messages de haine.»

 

Judy - Rivière-Noire: «Mauvaise influence»

 

«Ce n’est pas normal que la religion de certaines personnes domine celle des autres. Nous sommes tous égaux. Il ne faut pas exagérer dans la croyance et lancer des propos haineux.»

 

Sabine Azémia

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