Publicité
Par Elodie Dalloo
27 juin 2022 14:02
Certains d’entre eux souffrent de surdité légère. D’autres ont perdu toute capacité auditive, rendant la communication parfois compliquée avec leur entourage. Néanmoins, ces élèves issus d’une institution spécialisée des Plaines-Wilhems auraient essayé d’envoyer des signes de détresse. Récemment, certains auraient insisté auprès de leurs parents pour ne pas se rendre à l’école alors qu’ils étaient, jusqu’ici, toujours emballés à l’idée d’aller retrouver leurs camarades. D’autres auraient commencé à éprouver des difficultés à trouver le sommeil ou se réveilleraient en sursaut durant la nuit, sans que leurs parents comprennent pourquoi. D’autres encore se seraient rendus en classe uniquement après s’être vêtus de plusieurs couches de vêtements.
Si ces comportements auraient, certes, inquiété les parents, ces derniers disent qu'ils ne se doutaient pas de l’ampleur du traumatisme qu'auraient vécu leurs enfants. Le mardi 21 juin, c'est avec effroi qu'ils disent avoir appris que leur enfant aurait été victime d’attouchements sexuels par un orthophoniste de l’établissement.
Parmi, Alexandre*, 12 ans. Un garçon d’ordinaire jovial et plein de vie. Mais il y a quelques semaines, ses parents auraient constaté un changement drastique dans son comportement. «Il ne voulait plus se rendre à l’école mais ne voulait pas non plus nous expliquer pourquoi. Il s’était replié sur lui-même, ne se confiait pas. J’ai insisté en lui disant qu’il ne pouvait pas manquer ses classes parce qu’il devrait bientôt prendre part aux examens du PSAC», explique Sabrina*, sa mère. Ce qui l’aurait d’autant plus surprise, dit-elle, «c’est qu’il refusait de se rendre en classe uniquement le lundi et le mercredi. Mo finn trouv sa bizar».
Patricia* aussi confie avoir observé un changement d’attitude chez son fils, également âgé de 12 ans. «Cela fait six ans qu’il fréquente cette école mais depuis quelques semaines, il inventait toutes sortes d’excuses pour ne pas y aller. Il prétextait parfois être malade ou que son enseignante serait absente. J’ai trouvé son comportement de plus en plus suspect mais lorsque je lui demandais s’il avait des problèmes à l’école, il ne répondait pas.»
Toutefois, le lundi 20 juin, plusieurs parents ont reçu un appel d’un membre de l’établissement, leur demandant d’assister à une réunion d’urgence le lendemain, sans que des explications supplémentaires ne leur soient fournies. Ainsi, le mardi 21 juin, c’est avec beaucoup d’hésitation, disent-ils, que les responsables de l’institution leur auraient fait part de ce qu’auraient subi leurs enfants entre les mains d’un orthophoniste récemment embauché.
Recruté à temps partiel au mois de mai, ce dernier aurait, lors de sessions individuelles, fait visionner des vidéos à caractère pornographique à plusieurs élèves et aurait commis des attouchements sexuels sur eux. «Kan inn dir mwa sa, koumadir inn pran mwa depi lao inn zete. Mo ti ankoler, mo ti anvi plore, mo pa ti pe kone kouma mo pou reazir. Je n’ai pas pu m’empêcher de me demander où j’avais fauté pour qu’une telle chose se produise sans que je ne m’en rende compte. Je me remettais en question, je me demandais comment j’avais pu passer à côté d’une chose pareille», se désole Sabrina. En une fraction de seconde, tout serait devenu clair dans sa tête. «Mon fils était renfermé et se couvrait la tête en se rendant à l’école. Comme plusieurs autres élèves, c’était sûrement sa manière à lui d’appeler à l’aide. Il refusait de se rendre à l’école uniquement le lundi et le mercredi. Est-ce parce qu’il s’agissait des jours où il avait des sessions avec l’orthophoniste ?»
Toute cette affaire n’aurait peut-être jamais éclaté si une enseignante de cette institution spécialisée n’avait pas prêté attention aux agissements suspects de ses élèves. D’après Sabrina, «ce lundi, l’un des amis de (mon) fils avait une session avec l’orthophoniste mais refusait de s’y rendre. Quand cet homme est venu le chercher, il s’est caché sous la table et sa réaction a surpris son institutrice». Questionné, l’adolescent a ainsi confié ce qu’il aurait subi à son enseignante et cette dernière dit avoir ensuite questionné les autres élèves qui lui auraient rapporté les mêmes faits.
À ce jour, l'établissement aurait comptabilisé environ une quinzaine de victimes présumées âgées entre 8 et 14 ans. Durant la semaine écoulée, 10 de ces victimes présumées, accompagnées de leurs parents, ont consigné une plainte formelle auprès des officiers de la Brigade pour la protection des mineurs et d'un fonctionnaire de la Child Development Unit (CDU), avec le soutien d'un psychologue et d'un traducteur en langue des signes. Quant à l'abuseur présumé, il a été appréhendé par l'équipe du Chef Inspecteur (CI) Rajesh Moorghen, de la police de Barkly, le mercredi 22 juin, au moment où il arrivait dans l'institution scolaire. Son arrestation, qui s'est déroulée sous les yeux des parents et des élèves de l'établissement, a nécessité l'intervention de renfort.
Le suspect, Ibrahim Abdool Jelani Sorefan, est un jeune de 24 ans domicilié à Highlands. Il est détenteur d’un BSc en Speech-Language Pathology, Rehabilitation and Therapeutic Professions de l’Université de Cape Town et a fait des études en Foot & Ear Reflexology, Oriental Medicine au RWO-SHUR Health Institute International, en Malaisie. Bien qu’embauché par cette institution spécialisée, le jeune homme ne serait pas enregistré auprès de la Special Education Needs Authority (SENA), selon le directeur de l’organisme. Après avoir passé la nuit en détention, il a comparu devant le tribunal de Rose-Hill le jeudi 23 juin pour sa mise en accusation provisoire. Hué par les parents des victimes présumées à sa sortie de la cour, il a ensuite été reconduit en cellule, la police ayant objecté à sa remise en liberté. Questionné, Ibrahim Sorefan nie, pour l’heure, les faits qui lui sont reprochés. Il n’a, toutefois, pas encore été interrogé formellement. Il a retenu les services de Me Neelkanth Dulloo.
Ce samedi 25 juin, Ibrahim Sorefan a été interrogé formellement en présence de son homme de loi mais s'est montré peu bavard. Il a été informé qu'il fait, à ce jour, l'objet de 10 chefs d'accusation provisoire mais nie, pour l'heure, les faits qui lui sont reprochés, déclarant qu'il s'agit d'un «coup monté». Toutefois, la police assure que d'importants développements sont à prévoir dans cette affaire incessamment. Ce lundi 27 juin, son ordinateur portable, qui a été saisi pour les besoins de cette enquête, sera passé au cribble.
Depuis l’éclatement de l’affaire, les questions fusent dans la tête de nombreux parents. «Nous avons inscrit nos enfants dans cette école dans l’espoir qu’ils y soient en sécurité et avons besoin d’être rassurés. Aujourd’hui, nous remettons tout le système en question. Mon enfant doit reprendre l’école lundi mais je n’ai plus l’esprit tranquille. Kouma inn kapav ariv tousala ? L'école n'a-t-elle pas fait de suivi ? L'école n'a-t-elle pas veillé à ce qu’il fasse correctement son travail ?» s’interroge Sabrina. «À chaque fois qu’un nouvel enseignant est embauché, la direction nous met au courant mais, cette fois, on ne nous a jamais informés. Nou pa kone mem kan li finn rantre. La responsable de l’établissement doit nous apporter des réponses. Bizin fer lanket, kone kouma inn rekrit li, si linn deza fer sa avan.»
Sabrina déplore également la manière dont l’institution a traité cette affaire. «L’école l’a appris lundi et devait aussitôt alerter les parents, et non pas attendre le lendemain pour les mettre au courant. Ce n’est que mercredi que cet homme a été arrêté, qui plus est, sous les yeux de nos enfants, alors qu’ils sont déjà très traumatisés.» Patricia abonde dans ce sens. «Les parents auraient dû être mis au courant aussitôt que les enfants se sont confiés. Comment l’école a-t-elle pu tolérer que l’arrestation de cet homme se fasse sous les yeux de nos enfants ? Ils sont nombreux à ne pas pouvoir parler mais ont hurlé ‘‘terreur’’ pendant que la police l’embarquait. Certains d’entre eux ont même fondu en larmes lorsque cela s’est produit», relate-t-elle avec peine.
Entre le jeudi 23 et le vendredi 24 juin, bon nombre de victimes ont été examinées par un médecin de la police et ont participé à une reconstitution des faits. «Monn gagn la mwatie version de seki finn ariv mo zanfan. Quand il a été entendu par la CDU, j’ai demandé à son père de prendre la relève et d’assister à la suite de son interrogatoire. Mo pann kapav, sa finn tro afekte mwa, mo finn tro sagrin. En tant que parent, ce n’est pas évident de faire face à une telle chose. Je ne le souhaite à personne. Zordi, mo zanfan ranferme lor limem, li kapav paret normal me andan, li ena enn frayer», lâche Sabrina.
Il en est de même pour Christina, maman d’un garçon de 14 ans, qui a très mal vécu cette expérience. «Cela m’a fait de la peine de voir mon enfant expliquer aux enquêteurs ce qu’il aurait subi. Je n’ai pas de mots pour exprimer ma douleur. Mo zanfan inpe pli kalm zordi me sa fatig li kan mem.»
Désormais, ces parents réclament justice pour leurs enfants : «Nou bizin fer fas avek seki finn arive. Nou bizin gann la zistis pou nou zanfan. Se pa enn viktim prezime ki finn ena me 15. Nous espérons que les autorités et le ministère feront le nécessaire.» Au niveau du fonctionnement de l’institution, propose Sabrina, «des caméras devraient être installées dans les salles de classe ou encore, les responsables de l’établissement devraient, à tour de rôle, s’assurer que tout se passe correctement. L’institution doit s’assurer d’embaucher des individus ayant les compétences nécessaires car nos enfants ont besoin d’une attention particulière.» Elle suggère également que «des cours en langue des signes sur l’éducation sexuelle aient lieu».
Sollicitée pour une réaction, la direction de cette institution scolaire n’est pas revenue vers nous.
Il ne compte pas rester les bras croisés. Souhaitant accompagner les familles des victimes dans leurs démarches, Ivor Tan Yan (photo) est allé à leur rencontre le vendredi 24 juin au Plaza. Le but : discuter de la marche à suivre. «Ce sont des gens issus de la classe populaire mauricienne, qui ont de petits revenus et qui auront besoin d'aide pour avoir les bons avocats, les bons avoués. Nous allons les encadrer et les soutenir.»
La première étape, dit-il, est de «regrouper un maximum de parents, même si leur enfant n'a pas été victime, car il s'agit-là d'un problème concernant l'organisation même de l'institution concernée. Le problème, ce n'est pas simplement les faits qui se seraient produits mais aussi les circonstances ayant amené ces faits à se produire». Ivor Tan Yan a ainsi proposé aux familles de monter un groupe de soutien. «Nous allons nous rencontrer durant les jours à venir mais, pour l'heure, il est préférable de garder les familles et les enfants à l'abri de trop de médiatisation car c'est déjà assez traumatisant pour eux.»
Par ailleurs, avance-t-il, «nous savons à quelle catégorie sociale d'individu nous avons affaire. Le jeune homme est issu d'un milieu aisé. Il s'agit d'une catégorie sociale d'individus protégés. Nous avons affaire à quelqu'un qui bénéficiera du même traitement que tous les privilégiés de l'État. C'est de cela qu'il nous faut protéger ces familles». Comment cette personne a-t-elle pu être recrutée sans les qualifications nécessaires ?
Pourquoi la directrice de l'établissement a-t-elle gardé le silence pendant plus de 24 heures ? Ce sont autant de questions que se pose Ivor Tan Yan. «Il est impératif que nous arrêtions de protéger les pédophiles dans notre pays.»
Accusation d’abus sexuel contre Ibrahim Sorefan. La ministre de l’Éducation s’est exprimée sur toute cette affaire lors du point de presse du MSM, le samedi 25 juin. «Je suis horrifiée et choquée», a-t-elle déclaré. La VPM a précisé que les agissements de l’accusé ne peuvent être tolérés. Elle a dit être «de tout cœur avec les parents et les enfants» car en tant que «maman et parent», elle peut comprendre leur souffrance. La ministre a aussi évoqué «un autre incident», celui de l’adolescente de 17 ans qui souffre d’un handicap mental et qui est tombée enceinte alors qu’elle se trouvait dans un shelter et elle a fait un appel aux ONG afin que «la sécurité des enfants soit la priorité» : «Nous travaillons de concert avec elles et toutes les parties concernées afin que ce genre d’incident n’ait pas lieu. Pour protéger nos enfants.» Elle a précisé que l’orthophoniste, fraîchement recruté, n’avait pas été enregistré à la Special Education Needs Authority et elle a invité toutes les associations à y lister leurs employés.
Yvonne Stephen
Des élèves d’une école spécialisée disent avoir été victimes d’attouchements sexuels par un orthophoniste de l’établissement. Une affaire qui a fait grand bruit cette semaine et qui soulève des questions sur la communication entre parents et enfants sourds-muets, prise en charge à l’école, entre autres. La psychologue clinicienne Véronique Wan Hok Chee tente d’y répondre…
Aucun des enfants ne se serait confié à ses parents ou à un autre membre de son entourage après les faits. Et beaucoup de parents font ressortir que la communication est difficile quand les enfants sont sourds-muets. Comment peuvent-ils donc identifier les signaux d’alerte dans pareille situation ?
En général, les enfants victimes d’abus ou d’agression sexuelle se trouvent souvent dans un état de confusion totale ; ils pensent que ce qu’ils subissent est «normal» pour leur âge car c’est ce que leur martèle leur abuseur. Il les intimide et les menace pour qu’ils gardent le silence. Il les embobine, leur faisant croire que ce «petit jeu sexuel» est leur petit secret et que personne ne doit le savoir. Les victimes vivent dans la peur, dans l’angoisse permanente que leur abuseur récidive.
Bien des fois, ce dernier exerce du chantage affectif et/ou émotionnel. Ce n’est alors pas évident pour les petites victimes de dénoncer leur abuseur. Les parents doivent être vigilants et repérer tout changement dans le comportement de leur enfant : refus d’aller à l’école ou de participer à leurs activités, décharge d’agressivité s’il y est forcé, crise de larmes, crise d’angoisse, agitation, repli sur soi, problème de sommeil, insomnie ou hypersomnie, perte d’appétit ou consommation excessive de nourriture. Les changements drastiques de l’humeur sont aussi à noter, comme les pleurs ou les colères fréquentes. On peut observer chez certaines victimes des troubles du comportement sexuel, des propos à caractère sexuel, un éveil sexuel démesuré, des conduites masturbatoires inhabituelles ou des tendances à répéter des gestes obscènes.
Comment un parent ayant un/des enfant(s) avec des special needs peut-il accompagner ou apporter son aide à celui-ci ou le rassurer après qu’il/elle a subi un traumatisme ?
Les parents doivent prêter une oreille attentive à leur enfant et adopter une attitude bienveillante, sans porter de jugement, ni le culpabiliser. Surtout, il ne faut pas banaliser son problème. Instaurer une relation de confiance avec son enfant et être à son écoute favoriseront la dénonciation.
Les parents doivent montrer leur désapprobation par rapport au crime sexuel et faire part à leur enfant que c’est un acte grave et condamnable. Ils doivent le rassurer, lui dire qu’ils vont tout faire pour avoir recours à la justice, tout en lui offrant protection et sécurité tout au long de son parcours scolaire. C’est primordial de déculpabiliser son enfant et de le faire comprendre qu’il n’y est pour rien de ce qui lui est arrivé, que c’est son abuseur qui en est entièrement responsable. Les parents doivent assurer à leur enfant qu’ils vont tout faire pour éloigner le prédateur du milieu scolaire.
L’éducation sexuelle doit commencer à la maison dès le jeune âge, à travers des images et jeux de rôle (le bon et le mauvais toucher, les comportements socialement acceptables et les comportements strictement interdits sur leur corps), avec des pictogrammes, des jeux, des poupées, des vidéos ou autres supports audiovisuels. Il faut mettre l’accent sur le respect de son corps par autrui et le respect du corps de son prochain également.
Quelles devraient être les mesures à suivre par l’institution scolaire concernée afin de mieux encadrer ses élèves ?
L’école devrait rassurer les parents et les élèves qu’elle fera tout pour éloigner le prédateur sexuel de l’environnement scolaire. Elle doit veiller à ce que les enfants victimes et leurs parents bénéficient d’un accompagnement psychologique, sans oublier les autres élèves non-victimes pour que ces derniers ne soient plus angoissés par la situation contraignante et stressante dans laquelle ils se trouvent tous depuis l’éclatement de l’affaire. Pour ne pas pénaliser les élèves, l’école devrait envisager de trouver, dans les plus brefs délais, un/e remplaçant/e pour leurs activités thérapeutiques et favoriser plus d’interactions en groupe. Elle doit apporter tout son soutien aux victimes et à leurs parents, en collaborant avec les autorités concernées – la police, la Child Development Unit et la Sécurité sociale –, afin de protéger et sécuriser les bénéficiaires.
Publicité