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Par Elodie Dalloo
12 septembre 2023 03:57
Elle n’est plus en mesure de quitter sa chambre, si ce n’est pour se rendre à ses rendez-vous médicaux à l’hôpital ou à la clinique, tant elle est affaiblie. Alitée pratiquement toute la journée, Stacy*, 17 ans, souhaiterait retrouver ses habitudes d’avant, comme aller se promener ou faire des sorties avec ses amis, mais son état de santé physique et moral ne le lui permet pas. Voilà déjà deux semaines qu’elle souffre de vomissements, de coliques, de malaises et de légers saignements. D’après ses plus récents examens médicaux, «elle a plusieurs complications de santé aujourd’hui qui nécessitent davantage d’attention», nous confie sa mère Murielle*, visiblement inquiète, qui reste à son chevet nuit et jour. Elle n’a aujourd’hui qu’une seule envie : que sa fille se remette au plus vite de cette douloureuse expérience et qu’elle puisse reprendre ses études et aller de l’avant.
Cela fait maintenant deux semaines que l’existence de Stacy – une jeune fille auparavant pleine de vie – a basculé. Après avoir fait un test de grossesse qui s’est révélé positif, elle était un peu secouée mais voulait absolument garder l’enfant. Encouragée par sa soeur aînée, âgée de 21 ans, elle a alors annoncé la nouvelle à son père chez qui elle vivait alors. Convaincue que ce dernier la soutenait, elle l’a suivi chez un médecin privé le lundi 28 août, en pensant que c’était pour un simple check-up. Mais en surprenant une conversation entre son père et le médecin, elle a compris que celui-ci voulait qu’elle se débarrasse de son enfant. Alors enceinte de cinq à sept semaines, Stacy aurait ainsi été forcée à avoir recours à un avortement bien qu’elle se sentait prête à assumer la responsabilité de son enfant. Le médecin lui aurait fait deux injections à la hanche et aurait inséré deux comprimés dans ses parties intimes, puis, il lui aurait prescrit d’autres pilules abortives à avaler. Lorsqu’elle est rentrée à la maison, son père aurait veillé à ce qu’elle prenne huit de ces comprimés en l’espace de quelques heures. Elle est rapidement tombée malade, souffrant de maux de ventre atroces et de saignements.
Stacy s’est alors tournée vers sa maman pour avoir de l’aide. Celle-ci n’a pas hésité une seconde à tendre la main à sa fille même si elles n’ont pas toujours été sur la même longueur d’onde. Car si l’adolescente a souvent donné du fil à retordre à Murielle, cette dernière l’aime de tout son coeur et ne lui veut que du bien. D’ailleurs, les chamboulements qu’elles ont traversés ensemble récemment les ont beaucoup rapprochées. Depuis qu’elle s’est séparée du père de ses trois enfants en 2013, Murielle a obtenu leur garde et a toujours fait de son mieux, dit-elle, pour les élever et les mettre sur le droit chemin. En mars dernier, cependant, les disputes étaient devenues de plus en plus fréquentes entre elle et Stacy «parce qu’elle voulait plus de liberté». Murielle poursuit, amère : «Son père lui a alors complètement retourné le cerveau et l’a convaincue de porter plainte contre moi pour maltraitance. La Child Development Unit a même dû intervenir.» L’adolescente s’est alors installée chez son père et a coupé contact avec sa mère. «Je n’approuvais pas sa décision et je me suis battue pour qu’elle revienne à la maison. Je savais qu’elle faisait le mauvais choix mais j’ai dû m’y résoudre, le temps que la police boucle son enquête. Je n’avais de ses nouvelles que lorsqu’elle échangeait des messages avec sa soeur aînée, qui vit avec moi», relate Murielle.
Depuis, dit-elle, «j’étais impuissante face à toutes les décisions qu’elle prenait, ne pouvant intervenir pour éviter des problèmes avec les autorités». Par exemple, Stacy, qui devait prendre part à ses examens de la School Certificate cette année, avait arrêté de se rendre en classe et commencé à travailler sans que sa mère ne soit mise au courant. «Elle était pourtant très brillante», regrette celle-ci. Lorsque son aînée l’a informée de la grossesse de Stacy, il y a un peu plus de deux semaines, elle a été bouleversée : «Cela m’a mise hors de moi mais je ne suis pas intervenue. Je lui ai demandé de dire à son père de gérer la situation vu que la CDU m’interdisait de l’approcher.» Néanmoins, avoue-t-elle, «j’étais prête à lui apporter le soutien nécessaire. Il n’avait jamais été question qu’elle se fasse avorter, d’autant qu’elle avait déjà une santé fragile et ne pouvait pas prendre n’importe quel médicament». Mais le lundi 28 août, elle a appris une autre bouleversante nouvelle : «Mon aînée est venue m’annoncer que c’était peut-être déjà trop tard. Elle m’a raconté que Stacy l’avait contactée pour lui dire que son père l’avait conduite chez un médecin dans la matinée et que depuis, elle souffrait atrocement. Elle nous demandait de lui venir en aide, de venir la chercher.»
Soupçonnant son ex-compagnon d’avoir poussé leur fille à se faire avorter, elle n’a pas perdu de temps et s’est aussitôt rendue au poste de police de la localité. De là, les policiers ont pris contact avec le père de Stacy pour exiger qu’il vienne au poste accompagné de l’adolescente. «Il lui avait confisqué son cellulaire en apprenant qu’elle nous avait mises au courant et nous n’avions plus de nouvelles. Nous craignions pour sa sécurité» relate Murielle. Lorsque père et fille sont arrivés au poste, poursuit-elle, «je voyais que ma fille allait mal et qu’elle faisait semblant. Son père lui avait demandé de mentir aux policiers en leur disant qu’elle avait simplement des règles abondantes».
Ils ont alors été autorisés à rentrer chez eux mais le lendemain, soit le mardi 29 août, Stacy a à nouveau lancé un appel à l’aide à sa soeur car son état de santé de détériorait. Les proches de son ex-compagnon lui interdisant d’approcher l’adolescente, Murielle s’est à nouveau rendue au poste de police et le père à été contacté une nouvelle fois. «Cette fois, Stacy n’a plus voulu mentir et a tout avoué à la police parce qu’elle souffrait trop.» Elle a été par la suite conduite à l’hôׅpital pour des soins, tandis que son père a été appréhendé.
Durant l’enquête policière, le père de Stacy a expliqué aux policiers comment il en était venu à cette décision. Lorsqu’il a appris la grossesse de sa fille, il aurait contacté les parents de son petit ami, qui est âgé de 15 ans. Vu que leur fils devait bientôt s’envoler pour l’étranger pour poursuivre ses études, ils auraient été catégoriques : il était hors de question pour le jeune homme de devenir père à cet âge et de risquer d’avoir des démêlés avec la justice. Le papa de l’adolescent aurait remis une somme de Rs 3 000 à celui de Stacy pour qu’il la conduise chez un médecin pour se faire avorter. C’est ainsi que, sans consulter qui que ce soit et sans en informer sa fille, qu’il l’a conduite chez le Dr Kabed Jaunbaccus, à Vacoas, pour cette intervention. Ce médecin généraliste, âgé de 61 ans, avait déjà eu des démêlés avec la justice par le passé parce qu’il aurait conduit des avortements clandestins (voir hors-texte) alors que la loi n’autorise cette intervention que sous certaines conditions. Il était, cependant, toujours en droit d’exercer. Quant au père du petit ami de Stacy, il a été appréhendé par la police le mercredi 30 août. Les deux pères font l’objet d’une accusation provisoire de conspiracy.
Une semaine plus tard, soit le mardi 5 septembre, le Dr Kabed Jaunbaccus a été interpellé par la police dans le cadre de cet avortement allégué. Libéré sur parole, il a pu rentrer chez lui mais était loin d’être au bout de ses peines. Le lendemain, soit ce mercredi 6 septembre, les hommes de l’inspecteur Cowlessur lui ont passé les menottes avant de le conduire devant le tribunal de Curepipe. Une accusation provisoire d’alledged abortion a été logée contre lui. Il a été libéré le même jour contre une caution de Rs 12 000. La police prévoit également d’interpeller le petit ami de l’adolescente dans le cadre de cette affaire.
Par ailleurs, Stacy a, depuis, été autorisée à sortir de l’hôpital mais est toujours suivie de près par les médecins du public et du privé. «Les infirmières m’ont appris que les examens médicaux avaient démontré qu’elle avait fait une overdose de pilules abortives. Elle en avait pris beaucoup trop en très peu de temps, d’où ses complications de santé. Son col est bel et bien ouvert mais elle n’est toujours pas sortie d’affaire. D’ailleurs, l’embryon est toujours vivant, mais à ce stade, nous ne pouvons qu’attendre pour connaître son évolution», confie Murielle. Elle est rongée par l’inquiétude : «On m’a appris que l’état de santé de Stacy risquait de se dégrader davantage car elle est très faible. À chaque fois qu’elle tente de se déplacer, elle fait un malaise. Elle va mal.» Néanmoins, dit-elle, «ma fille reste optimiste malgré tous ses soucis de santé. Elle veut à tout prix mener sa grossesse à terme. Je ne peux qu’espérer que tout ira pour le mieux pour elle».
Murielle lance un appel aux adolescentes qui traversent une situation similaire : «Peu importe la situation, soyez toujours ouvertes, renseignez-vous, et sachez que vous avez toujours le choix. Aux parents, sachez que l’état de santé de votre enfant doit rester votre priorité. L’arrivée d’un enfant reste un miracle.»
(*prénoms modifiés)
Ce n’est pas la première fois qu’il a des démêlés avec la justice concernant des avortements clandestins allégués. Le Dr Kabed Jaunbaccus, médecin généraliste diplômé du Nigeria, avait déjà été appréhendé en 2004 suite au décès d’une femme à qui il aurait fait subir un avortement. L’époux de la défunte avait consigné une déposition à la police pour dire qu’il avait accompagné la victime au cabinet du médecin, à Vacoas, et que celui-ci lui aurait fait deux injections pour interrompre sa grossesse. Par la suite, la femme aurait succombé à des complications liées à cette intervention chez elle. Faisant l’objet de deux chefs d’accusation – avortement et coups et blessures involontaires ayant entraîné la mort –, le Dr Kabed Jaunbaccus avait nié avoir reçu cette patiente. En 2005, il a à nouveau été inquiété après qu’une femme de 35 ans, domiciliée à Vacoas, avait été admise à l’hôpital Victoria car souffrant de douleurs atroces au ventre. Lorsque les médecins ont compris qu’elle avait eu recours à une interruption volontaire de grossesse, la police a été alertée. Questionnée, la trentenaire avait déclaré s’être rendue au cabinet du médecin, à Vacoas, pour pratiquer un avortement. Appréhendé, le Dr Kabed Jaunbaccus avait nié les faits qui lui étaient reprochés et affirmé qu’il aurait seulement prescrit des médicaments à la victime après qu’elle avait fait une fausse couche.
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