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18 février 2024 21:12
Écharpe orange au cou. Sourire aux lèvres, joues nettement plus rebondies que maintenant et calme apparent malgré l’orage populaire qui gronde à l’école Ramnarain Roy, counting center pour la circonscription n°10 (Montagne-Blanche - Grande-Rivière-Sud-Est). Vikram Hurdoyal demande à ceux.celles qui se pressent en-dehors de la grille en métal, menaçant de la faire céder et exigeant de pénétrer dans l’enceinte de l’établissement, de rentrer chez eux.elles et de revenir plus tard. Et… il est écouté.
Les clameurs s’estompent et les bruits des partisans ne se résument qu’à quelques klaxons heureux et pétards perdus. Le décompte des votes prend un temps fou en ce 8 novembre 2019. De quoi exacerber les tensions. Il est tard. La soirée sera longue. Une interminable nuit de comptage avec, en plus, la contestation des résultats par Navin Ramgoolam, qui doit faire face à des partisans oranges hostiles (calmés par Vikram Hurdoyal). Plus tard, la foule pourra retrouver son candidat, celui qui – beaucoup le disent alors – «finn touy lerwa lion». Aux petites heures du matin, il sera porté comme un héros. Aujourd’hui, sa révocation chagrine ceux.celles qui le suivent. Alors qu’il était élu en tête de liste, tombeur du leader des Rouges…
Vikram Hurdoyal, c’est un des noms qui explosent après les législatives de 2019. Avant ça, le politicien n’avait pas de rayonnement national, même si en 2014, il s’était déjà essayé aux législatives avec Reveille des Jeunes ; il est alors élu à la septième place avec 9 775 voix, juste derrière Indranee Seebun de l’alliance PTr-MMM (version 2014). «Pour moi, la politique, c’est une façon d’améliorer la vie des gens. C’est pour cela que je me suis jeté dans cette aventure», expliquait-il.
L’habitant de Trou-d’Eau-Douce, fils d'un facteur, né le 15 avril 1979 et aîné d’une fratrie de quatre enfants, est reconnu au n°10 comme «enn zanfan landrwa», «enn garson bien zenere», «enn dimounn ki pa gran nwar». Marié à Priya, père de deux filles (Alisha et Ayushi), Vikram Hurdoyal est très actif dans le social, avant même la politique, proche des jeunes, toujours disponible pour aider, raconte un de ses proches. Son rayonnement local et son envie de faire le bien le pousse à se lancer pour les villageoises en 2012, poursuit notre interlocuteur. Élu conseiller à deux reprises, il est président du Conseil de district de Flacq en 2016. Il déjoue tous les pronostics en se faisant élire à la place du président sortant (choisi par le MSM pour reprendre le poste).
C’est à ce moment-là qu’il aurait été repéré par le parti de Pravind Jugnauth. Il affiche alors son indépendance politique et affirme avoir été choisi selon ses mérites : «Ils (NdlR : les conseillers) ont choisi un candidat de proximité, qui sait être à l’écoute et a fait ses preuves.» C’est en 2018 qu’il rejoint le MSM. «Pravind Jugnauth représente l’avenir du pays et je suis ravi de travailler avec le leader du MSM», confiait-il à l’époque.
Il se présente alors comme un planteur… Mais il est bien plus que ça. Après son HSC au Shrimati Indira Gandhi SSS à Quartier-Militaire (le primaire s’est fait au Sir Satcam Boolell Government School de Sebastopol et le parcours jusqu’au SC au Darwin College de Flacq), il décide de zapper la case études supérieures et de devenir agriculteur. En 2016, il obtiendra un Diploma in Business Administration de la Charles Telfair Institute.
Il a 19 ans lorsqu’il se lance dans les affaires : «J’ai toujours été fasciné par les personnes qui travaillent la terre», explique, en 2015, l’homme qui est également propriétaire de chevaux. Des années après ce choix audacieux d’adolescent, il s’enorgueillit de son entreprise qui exporte des fruits locaux à l’étranger – OTF Export Ltée qui devait obtenir, en 2023, l’aval de la Tourism Authority pour opérer des bateaux de plaisance ! – et des récompenses reçues (Spirit & Enterprise Award en 2005, Most Outstanding Agro & Entrepreneur Award en 2006 et Gold Award for Small Enterprises en 2013). Alors qu’il a commencé, raconte-t-il, dan karo.
Certains de ses détracteurs, néanmoins, ne s’accordent pas tout à fait avec lui sur ses origines très modestes affichées : «Oui, sa famille n’avait pas de grands moyens, mais les grands-parents avaient des terrains et c’est avec ce good start qu’il a pu commencer à cultiver des ananas et agrandir son entreprise jusqu’à toucher à l’international», explique une de ses connaissances dans le village. Notre interlocuteur concède que Vikram Hurdoyal a pu également y arriver grâce à son travail acharné, son envie d’avancer… Il a toujours été «gifted», nous dit-il.
Élu en 2019, Vikram Hurdoyal sera d’abord ministre de la Fonction publique (jusqu’au 30 août 2023 avant de se charger de l’Agro-industrie et de la Sécurité alimentaire) et continuera à recevoir ses mandants chez lui, le samedi : «Tou dimounn ki finn vinn get mwa, zame pann al lame vid. Monn touzour fer de mo mie pou ede», écrit-il dans un message d’explication suite à sa démission comme député, il y a quelques jours. Et partout sur les réseaux et dans sa circonscription, on chante, principalement, les louanges de Vikram Hurdoyal. Même si des voix dissonantes, peu satisfaites du ministre, viennent assombrir la symphonie des aurevoirs – pour l’instant – du politicien, qui à sa descente d’avion a partagé ses larmes, son aveu de maladie et sa déception d’être ainsi traité à L'express.
Si les rumeurs s’étoffent sur les raisons de la révocation – car Pravind Jugnauth ne veut pas communiquer les raisons de cette décision –, qu’on évoque une rencontre avec Navin Ramgoolam (démenti par ce dernier) ou un contrat concernant l’exportation de singes, ce qui semble être sûr, c’est que certaines actions de Vikram Hurdoyal n'ont pas toujours plu à la majorité. «Le social c’est une chose, être ministre, autre chose. Tout le monde ne peut pas réussir en tout», lance, laconiquement, un membre du MSM, critiquant les performances ministérielles du démissionnaire. Son esclandre en 2022 lors des élections des présidents de village n’a pas été oublié, non plus ; il avait menacé de démissionner si son favori n’était pas élu (ce qui n’a pas été le cas). Le lancement d’un magazine en novembre 2023 sur ses réalisations, 4 an ansam, serait aussi passé de travers. Mais aussi sa présence sur TikTok, tantôt se filmant coupeur de cannes, tantôt affichant sa nouvelle voiture arborant une plaque d’immatriculation singulière, pour ne citer que ces exemples-là.
Dimanche 11 février : C'est la stupéfaction en début de soirée avec un communiqué du Government Information Service (GIS), qui annonce la révocation du ministre de l’Agro-Industrie Vikram Hurdoyal. Pourquoi ? Les spéculations commencent…
Lundi 12 février : L’express fait un live avec Vikram Hurdoyal qui vient tout juste de rentrer, dit-il, d’un voyage médical. L’ancien ministre déclare qu’il a appris sa révocation dès qu'il est sorti de l’aéroport, avec tous les messages reçus lorsqu’il s’est reconnecté à son portable. Il dit être choqué et ne pas comprendre cette décision. Il parle d’une situation triste, évoquant sa dévotion envers sa circonscription. Et la voix remplie d’émotions, avec quelques larmes, il confie qu’il va aller reprendre so pios dan so karo, tout en niant un rapprochement avec Navin Ramgoolam.
Mardi 13 février : Le Premier ministre Pravind Jugnauth, qui assiste à une site visit, parle de la fameuse révocation de son ministre. Il explique qu’il a rencontré Hurdoyal lundi et qu’ils ont discuté. Il dit que, tout comme Hurdoyal, il ne fera aucun commentaire dans les médias sur ce qui s’est passé. Il ajoute que son challenger est Navin Ramgoolam. Pravind Jugnauth souligne qu’il assume pleinement sa décision. Sur le rapprochement entre Hurdoyal et le PTr, il affirme qu’il y a beaucoup de spéculations, qui ne viennent ni de lui, ni d'Hurdoyal. Dans l’après-midi, ce dernier confirme qu’il a démissionné comme député. Et les spéculations continuent :
y aura-t-il une partielle au n° 10 ? Des élections générales ? La marmite politique est plus que jamais en ébullition.
Mercredi 14 février : La prestation de serment de la nouvelle ministre du Développement Industriel, des PMEs et des Coopératives, a lieu à la State House à Réduit. Cette fois, Pravind Jugnauth lance qu'il «dévoilera ce qui s’est passé si le besoin se fait sentir». Il confirme la tenue d'une élection partielle au n° 10.
Jeudi 15 février : Vikram Hurdoyal fait un long post sur sa page Facebook. Il ne donne pas les raisons de sa révocation, mais remercie ses mandants, ceux qui l’ont soutenu et remercie le Premier ministre et sa famille. Il propose également une citation : « Stab the body and it heals, but injure the heart and the wound lasts a lifetime.» Il a aussi confirmé qu’il se retirait de la politique pour se consacrer à sa santé et a sa famille.
Dans la soirée, mobilisation importante du MSM au n°10, avec une régionale du parti. Bobby Hurreeram, ministre des Infrastructures nationales, martèle que le MSM gagnera les élections à venir.
Yvonne Stephen et Stephane Chinnapen
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