Publicité
24 septembre 2016 13:14
On n’en entend rarement parler. Le mal est presque invisible, souvent inavouable et nié par beaucoup. Dans l’intimité d’une chambre à coucher, de nombreux conjoints vivent un véritable cauchemar, subissent en silence les violences sexuelles de leur partenaire sans oser dénoncer l’inadmissible, étant prisonniers de la peur et de la honte. Pourtant, marié ou pas, avoir des relations sexuelles sans consentement reste un viol qui n’est pas encore punissable par la loi.
Les derniers amendements apportés au Protection from Domestic Violence Actpar Aurore Perraud, ministre de l’Égalité du genre, du développement de l’enfant et du bien-être de la famille, faisaient l’impasse sur le viol conjugal. Aujourd’hui, les autorités ont décidé de remédier à ce manquement et planchent actuellement sur la nécessité de changer le code pénal pour reconnaître le viol conjugal comme un délit punissable par la loi. Les séances de travail entre le State Law Officeet le ministère d’Aurore Perraud ont déjà commencé. Une initiative salutaire selon ceux qui sont engagés dans la lutte contre la violence envers les femmes et basées sur le genre.
Impliquée dans la lutte contre la violence faite aux femmes, Ambal Jeanne, directrice de SOS Femmes, accueille favorablement cette volonté de criminaliser le viol conjugal. Pour elle, il est grand temps que cet abus soit condamné car de nombreuses femmes subissent les sévices sexuels de leur partenaire sans rien dire : «La femme subit depuis trop longtemps le viol au sein du mariage en silence, sans aucun recours. Elle se retrouve dans une position de soumission, alors que l’autre entretient une relation de pouvoir dans laquelle elle doit assouvir ses pulsions.»Si Ambal Jeanne estime que cette loi peut encourager les femmes à venir de l’avant pour dénoncer ce qu’elles endurent, il faudra cependant accompagner cette mesure légale de campagnes de sensibilisation car, outre la loi, il est important de faire comprendre à ces hommes et à ces femmes qu’avoir des relations forcées avec son partenaire n’est pas normal.
Aujourd’hui encore, nous avons tendance à croire, à tort, qu’il s’agit de devoir marital. Une mentalité durement ancrée dans nos mœurs et qui, souligne Anushka Virahsawmy, Country Managerde Gender Links Mauritius, doit changer. Le changement prendra du temps, mais sera réalisable grâce à l’éducation et la conscientisation. «Beaucoup de Mauriciens pensent qu’il ne peut pas y avoir de viol dans un mariage car le conjoint a le droit d’avoir des relations sexuelles avec l’autre. C’est cette manière de penser que nous devons changer et cela ne peut être fait que si nous les éduquons. Car dès qu’il n’y a pas de consentement, c’est un viol.»,dit-elle.
Selon cette dernière, il y a tout un mécanisme à mettre en place pour que les victimes puissent venir de l’avant et que le sujet ne soit plus tabou pour l’homme et la femme : «Les chiffres montrent que la majorité des victimes sont des femmes, mais il n’est pas impossible que des hommes soient victimes, même si biologiquement parlant, nous pensons qu’il est plus facile pour un homme de violer une femme que le contraire.»
Que le débat soit gender neutral, c’est aussi ce que souhaite Bruneau Woomed de Mens Against Violence qui milite contre la violence basée sur le genre. Comme Anushka Virahsawmy, il est d’avis qu’on ne devrait pas parler d’homme et de femme, mais plutôt de partenaire. «D’autre part, notre société évolue et on a aussi des same sex relationships. J’ai la conviction qu’il ne faut pas discriminer contre qui que ce soit d’après leur orientation sexuelle»,ajoute-t-il. Selon Bruneau Woomed, cet amendement permettra aux victimes de venir de l’avant pour porter plainte contre leur partenaire abusif.
Par ailleurs, souligne-t-il, lors d’une discussion cette semaine avec plusieurs ONG dans le cadre d’une conférence organisée par le Forum parlementaire de la SADC, la nécessité de mettre sur pied un protocole auquel adhéreront tous ceux qui sont impliqués dans la lutte contre la violence a été évoqué : «Nous pensons en particulier à la force policière. Malgré les efforts faits par les responsables, et je ne mets pas en doute leur conviction d’apporter des changements, nous constatons sur le terrain que les victimes de violence domestique, de viol ou d’autres sévices ne sont pas accueillies comme il se doit.»
Une fois toutes les conditions réunies, les victimes pourront alors oser dénoncer l’inacceptable.
Travaillez-vous actuellement sur des amendements afin de criminaliser le viol conjugal ?
Le viol conjugal est succinctement compris dans l’alinéa 3 (a,d) du Protection From Domestic Violence (Amendment) Act 2016, même s’il s’insère dans un contexte plus élargi de violence sexuelle, qui insiste sur le fait que le conjoint ou le partenaire a le droit de refus. Je suis en faveur de la criminalisation du viol conjugal, mais cela va se faire dans un contexte différent car le State Law Officefait un travail en profondeur sur les offenses sexuelles. Nous procédons par étape afin de bien cerner le problème.
Pourquoi est-il important pour vous que le viol conjugal soit reconnu comme un délit ?
La violence entre partenaires intimes fait des ravages. C’est pour cela que j’insiste sur le fait que la violence domestique est «le mal du siècle» ! Elle détruit les familles entières, ces mêmes familles qui devaient être des cellules de base de la société. Sur le plan global, une femme sur trois en est victime. À Maurice, une femme sur quatre ! Et les hommes, doublement victimes, taisent leur souffrance à cause des préjugés, de la peur d’être ridiculisés. Malheureusement, cette violence se cache entre quatre murs. Au ministère, nous avons commandité une étude à l’Université de Maurice sur la violence entre partenaires intimes cette année, afin de développer la stratégie nécessaire pour mieux adresser ce problème sur le terrain.
Des campagnes de sensibilisation sont-elles prévues ?
Nous travaillons sur un plan de communication national. La sensibilisation sur le terrain a déjà démarré à travers les centres de femmes du National Women Council. Nous avons aussi érigé une plateforme composée de cadres des ressources humaines des secteurs publics et du privé pour aider les victimes dans leur espace de travail. Très bientôt, nous passerons un partenariat avec le corps religieux. Et bien entendu, nous préparons actuellement une campagne de sensibilisation et d’éducation avec des ONG parce que combattre la violence domestique, c’est avant tout combattre les mentalités qui font piétiner les hommes et les femmes dans leur souffrance et dans leur humiliation.
Publicité