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Violences conjugales : trois survivantes de l‘enfer racontent leur reconstruction

8 mars 2020

Tracy : «Il y a une vie après la violence domestique»

 

 

Cela fera bientôt deux ans qu’elle est parvenue à se sortir de ce cercle vicieux qu’est la violence conjugale. Son combat a été difficile et douloureux, mais à force de courage et de détermination, elle a pu se sortir de cette relation qui l’a tant de fois fait perdre ses repères alors qu’elle n’était qu’une adolescente. Tracy, 20 ans, une habitante de Roche-Bois, a aujourd’hui l’impression de renaître de ses cendres aux côtés d’un autre homme qui lui a redonné confiance en elle. Elle a été en mesure de reprendre sa vie en main après avoir longtemps subi les foudres de son ex-petit ami. «Mo remersie Bondie mo finn resi sorti ladan», lâche-t-elle, soulagée.

 

«Okenn zom pa pou kontan twa», «to pa zoli», «to pa pou kapav gagn enn nouvo dimounn dan to lavi». Ces commentaires dégradants résonnent encore parfois dans la tête de Tracy. Pour cause, son ex les lui répétait au quotidien du temps où ils vivaient ensemble, il y a deux ans. Malgré tout, à l’époque, ces agressions verbales ne l’ont pas poussée vers la porte de sortie tant elle avait cet homme de deux ans son aîné dans la peau. «J’étais amoureuse jusqu’aux os, même si mon entourage n’approuvait pas cette relation», avoue-t-elle, la voix tremblante d’émotion.

 

Elle avait fait la connaissance de celui qu’elle décrit comme son «premier grand amour» sur les réseaux sociaux alors qu’elle avait 16 ans. «Nous nous sommes fréquentés pendant un court moment avant de nous séparer. Nous nous disputions beaucoup trop», dit-elle. Malgré les signes flagrants d’une relation malsaine, elle lui accordera une nouvelle chance cinq mois plus tard, au grand dam de ses parents. «Dans mon entourage, personne ne voulait que nous nous voyions parce qu’il avait la réputation d’être violent. Mais je ne les ai pas écoutés. J’ai même accepté de me mettre toute ma famille à dos pour vivre cet amour.»

 

Avec sa famille, les relations sont vite devenues tendues. «Mo ti pe kit lakaz pou al rest kot mo ex. Kan mo paran ti pe koz ar mwa mo ti pe reponn. J’ai même fait une overdose de médicaments parce que mes parents ne voulaient pas accepter cette relation.» En même temps, elle ne les laissait pas savoir que cet homme qu’elle aimait de tout son cœur la brutalisait à chaque fois qu’ils se voyaient. «Les agressions étaient verbales et physiques. Lorsqu’il ne m’insultait pas, il m’étranglait, mais je me suis tue parce que je ne voulais pas rompre. Et j’ai fini par emménager chez lui.»

 

Lorsqu’elle s’est retrouvée seule avec lui entre quatre murs, leur relation déjà tendue a pris une tournure encore pire après seulement un mois. «Les disputes étaient incessantes. Toutes les excuses étaient bonnes pour lui de lever la main sur moi : la nourriture n’était pas assez bonne, la maison n’était pas bien nettoyée, le fait que je lui reprochais de me tromper. Il me forçait même à avoir des relations sexuelles avec lui et lorsque je refusais, il me battait.» Menacée de mort par son ex, elle ne s’est pas sentie capable d’en parler à sa famille. D’autant qu’elle avait toujours refusé de suivre leurs conseils.

 

Son entourage a pris connaissance de son calvaire quand son cousin leur en a parlé. «Cela n’a fait qu’empirer la situation vu que mon ex avait menacé de m’agresser au cutter si je m’en remettais à ma famille.» Avec beaucoup de difficulté et contre son gré, elle a dû quitter son toit pour retourner chez ses parents. «Vu que j’étais tellement dépendante de lui émotionnellement, j’ai fait une dépression après la rupture. Je savais qu’il n’était pas quelqu’un de bien et pourtant, j’espérais à chaque fois que nous nous remettions ensemble. Je lui avais pardonné à plusieurs reprises. J’ai eu le déclic lorsque je me suis rendu compte qu’il m’utilisait uniquement pour des relations sexuelles. Il ne m’aimait pas. Depuis, j’ai repris ma vie en main.»

 

Près de deux années se sont écoulées depuis. Et Tracy avoue que sa reconstruction est toujours en cours. «J’ai toujours aussi peur de tomber sur lui ou qu’il m’agresse», confie-t-elle. Mais elle demande tout de même à toutes celles qui ont traversé la même situation de ne pas baisser les bras. «Il y a une vie après la violence domestique. Le meilleur reste à venir.»

 

Elodie Dalloo

 


 


Jasmine Toulouse : «Seki finn ariv mwa finn rann mwa pli for zordi»

 

 

On ne la présente plus ! Jasmine Toulouse, 31 ans, est une chanteuse à succès qui a plusieurs tubes à son actif. Elle est une travailleuse sociale acharnée dans sa localité à Rivière-Noire. Elle s’est lancée dans la politique au sein du MMM. Et, elle est aussi une ancienne femme battue qui n’hésite pas à monter au créneau pour dénoncer la violence à l’égard de ses consœurs. Elle est aussi un vivant témoignage qu’on peut s’en sortir après avoir vécu l’enfer auprès d’un conjoint violent, rebondir face aux épreuves et avancer positivement.

 

«Seki finn ariv mwa finn rann mwa pli for zordi», clame fièrement la chanteuse qui vient de prendre de l’emploi dans une école à vocation sociale, à Mahébourg. Et à celles qui vivent toujours sous les coups de leurs conjoints, elle n’a qu’une chose à dire : ne tardez pas à prendre votre décision. «Monn pran desizion a tan. Seki pans pou kit so mari lot kout li gagn bate pou kapav tro tar.»

 

Cette période horrible de sa vie reste à jamais gravée en elle, même si aujourd’hui, elle l’a dépassée et vit une nouvelle ère remplie de bonheur auprès de sa fille Melody, 12 ans, et de celui qui lui a redonné goût et confiance en l’amour. À l’époque, cette cadette de quatre filles – son père Jean-Daniel est employé aux salines où il «kas disel» et sa mère Mimose est employée de maison et fait du baby-sitting – a fini son School Certificate et collectionne les petits boulots. Elle a 20 ans lorsqu’elle rencontre son ex, un jardinier. Le coup de foudre est au rendez-vous. «Sa ti pas mari vit. Nou pa ti tarde pou prezant fami», raconte-t-elle.

 

Jasmine est heureuse. «Sa lepok-la, tou ti ankor korek. So gran dezir sete rann mwa erez. Sak fwa li dir mwa ki linn ne pou fer mo boner», souligne Jasmine. Elle croit avoir trouvé l’amour de sa vie mais c’est l’horreur qui est finalement au rendez-vous. Car un an plus tard, elle reçoit sa première claque lors d’une banale discussion. Quelque temps plus tard, l’homme récidive. «Il m’a étranglée. Il ne buvait pas. En revanche, il avait une colère excessive», se souvient Jasmine. Puis, c’est le drame. «Il a fini par me donner des coups de poing après m’avoir insultée à maintes reprises. C’est un jour que je ne vais jamais oublier.» La violence devient presque son quotidien.

 

Une énième dispute conjugale se termine en bain de sang. «Il m’a boxé le visage alors que j’étais tombée par terre. Ses coups m’avaient défigurée. J’ai dû aller à l’hôpital pour y recevoir des soins. J’ai fait une radiographie munie d’un Form 58. Je précise qu’il y avait eu plusieurs dépositions à la police avant cet épisode. J’avais aussi un Protection Order. Mo pa ti per pou mars dan sime ek mo labous kase ek mo bann mark dan figir pou fer dimounn kone ki li pa ti sa sin ki lezot ti panse li ete la», précise la chanteuse. À l’époque, le couple vit chez les parents de la jeune femme.

 

Heureusement, sa famille la soutient complètement. «Ma famille a été très solidaire. Li pa ti fasil pou fer mo ex ale me mo pa ti sagrin li ditou mem si mo zanfan ti pou bizin grandi san so papa. Mo lavi ti an danze», martèle Jasmine. D’ailleurs, sa fille, alors âgée de 3 ans et demi, a assisté à plusieurs reprises, impuissante, aux violences que son père faisait subir à sa mère. «Mo ti touzour dir zame mo pou aksepte sa parski mo pa pou les mo zanfan viv sa.»

 

On est en 2011 et Jasmine travaille comme secrétaire chez Caritas, à la paroisse de St-Augustin, à Rivière-Noire. Elle vient aussi de commencer à chanter sur la scène locale. Celle qui fait partie de la chorale de sa paroisse depuis qu’elle a 9 ans fait les chœurs pour deux chanteurs de renom : Sylvain Kaleecharun et Rico Claire. Sa carrière fait un bond en 2009 après sa rencontre avec Denis Fricot qui lui propose de chanter Oser changer ma vie. Le succès est tout de suite au rendez-vous et marque le début de sa carrière solo. Un an plus tard, elle sort l’album Ase koz kouler avant de revenir avec un single quatre ans plus tard, Trahison. Après l’enfer, elle connaît enfin une vie de bonheur, entre sa carrière d’artiste et son rôle de mère célibataire, et ses autres rôles, dont celui de travailleuse sociale au sein du Kolektif Rivier Nwar qui regroupe plusieurs ONG de Rivière-Noire.

 

En 2015, elle sort Envie d’y croire et ce, après avoir interprété un duo avec Jah Wes : Rêve brisé. Elle fait également sensation sur la scène locale avec sa participation à Sister Act et Koze Fam. Elle marque la scène locale avec des textes engagés, notamment sur la violence à l’égard des femmes. Sur son dernier album, Kiltir Melanze, figure ainsi le titre Revey Twa, une chanson dédiée aux femmes battues.

 

Aujourd’hui, elle est très fière de son parcours. La battante devenue role model detient d’ailleurs un diplôme en management depuis mai 2017. «Kan mo anvi enn zafer, mo touzour fer mo best pou gagn li. Mo pa ti ena kas pou fer letid me ek volonte monn resi fer li», dit-elle. Elle partage maintenant sa vie entre Rivière-Noire, son village natal, et Ville-Noire où elle habite depuis son mariage avec Cédric Olivier en décembre. «Fer set an ki Cédric ek mwa nou ansam. Monn bien pran mo letan avan donn mo lamour enn lot zom», lâche-t-elle avec un grand sourire. Elle continue également «d’apprendre» les rouages de la politique depuis qu’elle a rejoint les rangs du MMM.

 

La candidate battue au no 14 lors des dernières législatives occupe toujours le terrain. Un moyen pour elle de poursuivre son combat. «La loi n’est pas assez sévère. Protection Order zis enn papie. Li pa protez okenn fam de no zour. Mo profite pou lans enn lapel a bann mari violan. Pans zot zanfan avan azir. Se zanfan ki pey lepo kase. Pou boukou fam li difisil pou ale akoz zanfan. Le soutien de la famille est très important. Sa mem kinn sov mwa.» Quand elle est lancée sur le sujet, rien ne semble pouvoir l’arrêter : «Il faut également changer de regard vis-à-vis de ces femmes-là. Kan to kit mari to gagn tou kalite nom. Bizin aret sa. Boukou fam ki gagn bate res ek zot mari akoz zot pale zot zanfan grandi san papa. Ena osi boukou ki per pou kite akoz sitiasion finansier. Ena osi ki refiz ale par amour. Me dan sertin ka, lamour sanze pou vinn lamor», lance Jasmine, le cœur remplie de bonnes intentions et de fougue pour la cause féminine.

 

Jean Marie Gangaram

 


 


Nazia : «Quand je suis partie, je me suis sentie libérée d’un poids»

 

 

Sa bonne humeur et sa joie de vivre sont communicatives. Sa seule présence illumine la pièce. «La vie est belle, il faut savoir en profiter.» Cet état d’esprit, Nazia le dégage avec aisance. Mariée depuis trois ans à un homme attentionné et aimant, cette jeune femme de 27 ans est l’heureuse maman d’un petit garçon de 2 ans et vit le conte de fées dont rêve chaque femme. Cependant, derrière son sourire plein de douceur et de tendresse, nul ne se serait douté que se cache un lourd et douloureux passé. Celui d’une ancienne victime de violences conjugales qui a, plusieurs fois, tenté de mettre fin à ses jours.

 

Avant de faire la connaissance de celui qui lui a redonné goût à la vie, Nazia a vécu un véritable enfer dont elle a failli ne pas ressortir vivante. «Ce cauchemar, j’ai commencé à le vivre à peine une semaine après mon premier mariage, il y a cinq ans. D’abord, cela avait été une gifle et petit à petit, j’ai commencé à encaisser des coups beaucoup plus violents.» Les disputes, dit-elle, étaient devenues son quotidien. «La famille de mon ex-mari exerçait beaucoup de pression sur lui. Et il avait beaucoup de mal à contenir sa frustration. Résultat : il se défoulait sur moi, sans aucune raison.»

 

Mais alors qu’elle n’avait même pas encore célébré ses noces de coton, Nazia a dû abandonner le toit conjugal pour se réfugier chez ses parents. «Li ti telman bat mwa ki mo finn bizin retourn kot mo fami la vey Eid. Mes parents ont dû me conduire à l’hôpital. Ce jour-là, même les médecins ont eu de la peine en me voyant. J’ai consigné une plainte et obtenu un Police Form 58 pour une durée de trois mois», se souvient-elle. Mais bien qu’elle vivait une vie cauchemardesque auprès de son mari, Nazia a tout de même choisi de tenir bon. «Nous, les femmes, finissons toujours par pardonner. J’ai donc essayé d’accorder une nouvelle chance à mon mariage.»

 

Malgré les violences physiques et verbales, Nazia est restée auprès de cet homme, ne choisissant de voir en lui que les bons côtés. «Après chaque agression, il revenait et me disait que cela ne se reproduirait plus. C’est à chaque fois en larmes qu’il me demandait de lui pardonner. Zame ou pou panse ki enn dimounn ki ou kontan pou kapav violan koumsa anver ou», confie-t-elle. Et elle excusait à chaque fois cet homme qu’elle avait rencontré sur les réseaux sociaux, deux ans plus tôt, et dont elle était tombée amoureuse pour la première fois de sa vie.

 

Mais sans qu’elle s’en rende compte, cette relation a commencé à la consumer à petit feu émotionnellement. «Je me disais que je me donnais à fond : je travaillais, lui préparais ses repas, prenais soin de lui, pourtant rien n’était suffisant. J’ai longtemps pensé que le problème venait de moi ; que je n’étais pas assez bien pour lui. À deux reprises, j’ai tenté de mettre fin à mes jours.» Par la grâce de Dieu, ses proches sont à chaque fois intervenus à temps pour l’empêcher de commettre l’irréparable.

 

Après sa première année de mariage, Nazia a dû émettre un deuxième Protection Order contre cet homme qu’elle ne reconnaissait plus. «Cette fois, il m’a cogné la tête contre un mur. L’impact a été tellement violent que j’ai vu comme des étoiles avant de ressentir des douleurs.» Malgré un ordre de restriction de la cour, Nazia n’a pas voulu abandonner le toit conjugal. Le déclic lui est venu le jour où une altercation avec le frère de son ex-mari a failli virer au drame. «Je pense que c’était juste une excuse pour me virer de la maison. Il m’a menacé d’un sabre et dit qu’il me tuerait. Mes beaux-parents ont dû intervenir et demander à mes parents de venir me récupérer. Je suis partie et je ne me suis pas retournée.»

 

Après ces années de cauchemar, Nazia a fini par reprendre goût à la vie. «Je me suis sentie libérée d’un poids. J’ai retrouvé l’envie de prendre soin de moi, de me faire plaisir. Même mon entourage a constaté le changement radical.» Sa rencontre avec son nouvel époux n’a fait que lui rendre la vie plus agréable. «Je lui ai fait part de ce que j’avais traversé et il a été d’un grand soutien pour moi, tout comme ma famille. Un an après notre rencontre, nous nous sommes mariés. Cela peut sembler rapide mais ma précédente relation m’a permis de gagner en maturité et de savoir ce que je veux réellement.»

 

Son message pour toutes celles qui se sont murées dans le silence, engouffrées dans une relation dans laquelle elles souffrent au quotidien, est le suivant : «La vie est belle ; chacun doit pouvoir en profiter à sa manière. Ne laissez pas votre bonheur dépendre de quelqu’un d’autre. Si vous avez besoin d’aide, n’hésitez pas à le demander.» Elle recommande aussi aux femmes qui subissent la violence conjugale de prendre des cours de self-defense, comme elle a choisi de le faire après le traumatisme vécu.

 

Elodie Dalloo

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