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25 mars 2019 11:18
Son «enough is enough» a été jusqu’ici la seule explication qu’il a fournie concernant sa subite démission en tant que ministre des Affaires étrangères et député. En tout cas, Vishnu Lutchmeenaraidoo a pris tout le monde par surprise le jeudi 21 mars. D’autant qu’il avait commencé sa journée comme à l’accoutumée à son bureau. Mais dans l’après-midi, il soumettait sa lettre de démission au président par intérim, Barlen Vyapoory.
Alors que ses collaborateurs au sein du ministère n’avaient rien vu venir, d’autres étaient, par contre, au courant de la tension qui régnait entre lui et le Premier ministre depuis sa fameuse déclaration. Le 13 mars, à l’occasion d’un forum organisé par l’Economic Development Board, en présence du président malgache Andry Rajoelina, le ministre s’est fendu d’un commentaire qui a eu du mal à passer au bureau du Premier ministre. «Nous sommes pris dans ce qu’on appelle la trappe d’un pays à revenu moyen. 3 % de taux de croissance, on s’en flatte. Moi, j’ai honte !»
Selon une source, Vishnu Lutchmeenaraidoo a été «bien mal inspiré de lancer de tels propos car il a critiqué ouvertement le Premier ministre qui l’a forcément très mal pris». Du coup, le ministre abat sa dernière carte. Profitant de l’absence des Jugnauth du pays, il jette l’éponge, anticipant par la même occasion, selon certains, les sanctions que comptait prendre Pravind Jugnauth contre lui à son retour. «Le PM n’était pas content et il allait probablement le révoquer. En tout cas, la position au PMO, c’était que Vishnu Lutchmeenaraidoo parte s’il ne se sentait plus à sa place au sein du gouvernement», lance une source. Selon les observateurs politiques, le timing choisi n’est pas non plus anodin. Dans une année d’élection, cette nouvelle démission embarrasse.
Dans son entourage, on estime que ce n’était qu’une question de temps avant que le député du no7 n’explose. L’homme nourrissait, dit-on, plusieurs frustrations et se mettait de plus à l’écart du gouvernement, déçu et blessé par certaines décisions vécues comme des «humiliations». Depuis qu’il avait été muté aux Affaires étrangères, il était quasiment absent des missions à l’étranger. Lors des voyages officiels du Premier ministre en Inde ou en Chine, Vishnu Lutchmeenaraidoo ne fait pas partie de la délégation. De plus, il n’a été à aucun moment impliqué dans le dossier Chagos. Autant de raisons qu’il l’aurait poussé à prendre la porte de sortie.
Son nom est sur toutes les lèvres… Vishnu Lutchmeenaraidoo, le ministre démissionnaire du governemment Lepep, a bien évidemment été au cœur de toutes les conférences de presse du samedi 23 mars. Le leader de l’opposition, Xavier-Luc Duval, juge ainsi «inacceptable» le silence de Vishnu Lutchmeenaraidoo et estime qu’il ne peut pas se permettre de continuer à se taire 72 heures après sa démission. «Il doit des explications à la population et à ses mandants», a-t-il martelé. Le leader du MMM, Paul Bérenger, n’y est pas allé de main morte en parlant de cette démission. «Bon débarras», a-t-il lâché lors de sa conférence de presse. Il se dit certain qu’il n’y aura pas d’élection partielle au no 7 (Piton/Rivière-du-Rempart) : «La démission de Vishnu Lutchmeenaraidoo ne changera rien. Le calendrier prévu par le gouvernement pour la tenue des élections générales ne sera pas modifié.»
Alan Ganoo du Mouvement patriotique a aussi commenté cette brûlante actualité. Selon lui, la démission de Vishnu Lutchmeenaraidoo fragilise le gouvernement et «a perturbé le climat de sérénité que le Premier ministre s’est évertué à instaurer». Arvin Boolell du PTr pense lui aussi que «ce gouvernement est définitivement fragilisé» : «C’est le début de la débandade. Et c’est pour ça que je me frotte les mains pour cette rentrée parlementaire, surtout qu’on sent que les élections générales arrivent. Je ne crois pas qu’il y aura une partielle. Ce gouvernement est acculé.»
Allons-nous vers des élections générales ou une partielle ? Cette question est sur toutes les lèvres depuis le départ de Vishnu Lutchmeenaraidoo, désormais remplacé par Nando Bodha. D’un côté, l’opposition sort l’artillerie lourde et avance que le gouvernement n’a pas d’autre choix que d’organiser les élections générales et, de l’autre, le gouvernement joue la carte de l’apaisement en affirmant que cette nouvelle démission n’aura aucun effet sur le calendrier des élections.
C’est ce qu’a d’ailleurs affirmé le Chief Whip Bobby Hurreeram, lors de la conférence de presse du gouvernement, le samedi 23 mars. Affirmant qu’une élection partielle aura bien lieu au no7 prochainement, il a ajouté que le MSM s’y prépare déjà et est sur le pied de guerre. «Il n’y aura rien ni personne qui chamboulera les plans du Premier ministre, encore moins une démission. Évidemment, c’est toujours triste de perdre un collègue mais le pays doit rouler. Rien n’ébranlera l’agenda du Premier ministre. Nous avons un an devant nous pour compléter nos projets dans l’intérêt de la population et du pays.» Sur le ton du défi, il a appelé le leader du PTr, Navin Ramgoolam, à se présenter à ces élections. «Ce sera un vrai test pour lui. Qu’il descende sur le terrain et on verra ce qu’il vaut vraiment. Moi, je n’ai aucun doute. Le réveil sera brutal.»
Si Bobby Hurreeram est convaincu qu’il y aura une partielle, d’autres ne sont pas de cet avis. D’ailleurs, Xavier-Luc Duval, leader de l’opposition, n’a pas hésité à le traiter de «fou» et de «clown» pour avoir évoqué cette possibilité. Selon l’observateur politique, Jocelyn Chan Low, tenir une élection partielle maintenant serait une mauvaise chose. «C’est une farce, un faux débat. Avoir une partielle avant les élections générales, c’est très difficile. Cela causerait une véritable pagaille.» Logiquement, dit-il, les élections générales devraient avoir lieu d’ici décembre. «Une fois la nouvelle année installée, ce sera beaucoup plus compliqué. Il y a la rentrée scolaire, les pluies et les inondations de janvier et février. Ensuite, nous entrons dans le carême chrétien, puis il y a le Maha Shivaratree et le Ramadan. Faire coïncider les élections avec ces événements ne sera pas à l’avantage de qui que ce soit.»
Le gouvernement a, en effet, plusieurs possibilités. Il peut remplacer le poste de député laissé par Vishnu Lutchmeenaraidoo en organisant une partielle dans la circonscription no7 (Piton/Rivière-du-Rempart). S’il choisit cette option, Pravind Jugnauth disposera d’un délai de huit mois pour la tenue de cette élection. Dans ce cas de figure, la partielle devrait avoir lieu en novembre 2019. L’autre possibilité, c’est de dissoudre le gouvernement, dont le mandat arrive à terme en décembre, et d’organiser les élections générales après la présentation du prochain budget en juin. Selon la loi, le gouvernement est autorisé à tenir les élections générales jusqu’en mai 2020. Un délai qui lui permettrait de voir se concrétiser deux importants événements de son agenda, soit les Jeux des îles de l’océan Indien en juillet et le lancement du Metro Express en septembre.
Ils se disent inébranlables… Et ce, même si la démission de Vishnu Lutmeenaraidoo de son poste de ministre des Affaires étrangères est venue démontrer une nouvelle fois, cette semaine, que quelque chose ne tourne pas rond au sein de l’Alliance Lepep. Car avec ce nouveau départ, c’est le 10e ministre qui claque la porte du MSM alors que sept députés ont également démissionné du gouvernement en place. Malgré cela, les soldats du clan Lepep affichent un fighting mood, défiant, disent-ils, toutes les attaques.
À la veille de la rentrée parlementaire, ce mardi 26 mars, Bobby Hurreeram, Chief Whip du gouvernement, est déjà sur le pied de guerre car, pour lui, ce n’est pas une démission qui va chambouler les plans du Premier ministre. «Pourquoi dit-on que le gouvernent est fragilisé avec le départ de Vishnu Lutchmeenaraidoo ? Ce n’est absolument pas le cas ! Souvenez-vous de ce que les gens disaient quand le PMSD a quitté nos rangs. Qu’est-ce qui s’est passé ? Nous avons tenu bon et avons continué à avancer. Un gouvernement ne se résume pas à une personne. C’est une équipe avec, à la tête, un Premier ministre. On va continuer à fonctionner comme une équipe et à avancer. C’est comme dans une équipe de foot : quand un joueur est blessé, on le remplace et le match continue», nous confie-t-il au moment où les pions se repositionnent au sein de son camp sur fond de rumeurs de nominations, de réaménagements de fauteuils ministériels et autres remaniements.
Interrogé sur le mood de son équipe, Bobby Hurreeram nous confie que ses partenaires restent soudés. «Nous restons tous focus sur le travail comme on l’a toujours été au fil de ces quatre dernières années. On va continuer le travail et on va continuer à avancer…» Un état d’esprit que partage aussi son collègue, le ministre Pradeep Roopun. Est-ce que l’Alliance Lepep tient le coup après ce nouveau départ ? Y a-t-il d’autres démissions à prévoir ? «Ce qui est arrivé est arrivé. Le mood est bon. On est tous sereins, on va continuer le travail et on va laisser le Premier ministre à ses prérogatives», lance le ministre.
Que reste-il de cette fameuse équipe qui promettait un véritable changement à la tête du pays, du tandem qui avait promis un second miracle économique ? Pas grand-chose, avancent de nombreux Mauriciens. Alors que le mandat de l’Alliance Lepep arrive à terme en décembre, le bilan ne fait aucun doute. Outre les nombreux scandales qui ont secoué le gouvernement, la liste des départs ne cesse de s’allonger. Avec celui de Vishnu Lutchmeenaraidoo, ils sont aujourd’hui 10 à ne plus faire partie du gouvernement. Il y a eu Xavier-Luc Duval, Aurore Perraud, Dan Baboo, Raj Dayal, Roshi Bhadain, Ravi Yerrigadoo, Showkutally Soodhun, Sanjeev Teeluckdjarry et Roubina Jadoo Jaunboccus. Pour Jocelyn Chan Low, cette cascade de départs est révélatrice. «Ça prouve une fois de plus que c’est une équipe bancale avec un leader dans la tourmente.»
Pour lui, nous avons assisté, au cours de ces dernières années, à la désintégration de l’Alliance Lepep. Le départ de Vishnu Lutchmeenaraidoo ne sera pas, dit-il, sans aucune conséquence, même si la stratégie du gouvernement est de faire croire le contraire. «Il a attaqué frontalement le Premier ministre devant un invité étranger. Pravind Jugnauth aurait dû réagir immédiatement mais il ne l’a pas fait. En démissionnant, Vishnu Lutchmeenaraidoo le prive de ce pouvoir. Il vient quelque part démontrer que le PM n’est pas un bon leader.» Une fois de plus, lance l’observateur politique, cet épisode vient mettre en lumière le sens du leadership de Pravind Jugnauth alors que la stratégie de son équipe est de tout faire pour le promouvoir comme un Premier ministre performant et moderne.
La question aujourd’hui, dit-il, est de savoir jusqu’à quand Vishnu Lutchmeenaraidoo gardera le silence. «Quelle sera la suite ? On attend. C’est quelqu’un qui vient de l’intérieur. Il sait certainement beaucoup de choses qui peuvent faire mal. Il pourrait causer du tort.»
Catherine Boudet, politologue, ne pense pas, pour sa part, que cette démission fragilise le gouvernement. «Comparativement aux démissions précédentes au sein du gouvernement, celle de Vishnu Lutchmeenaraidoo est plus cruciale parce qu’elle est proche de l’échéance des élections générales. Cette démission apparaît comme une tentative délibérée de bousculer le calendrier électoral. Elle vient donc, logiquement, donner un boost aux réclamations de l’opposition en faveur d’élections anticipées, et aux tractations d’alliances. Par contre, elle ne remet pas en question la majorité gouvernementale. De plus, je ne pense pas que cette démission fragilise le gouvernement en termes d’image car la façon de procéder du ministre démissionnaire était contestable et contestée. Il peut difficilement se faire passer pour victime avec les formes qu’il a employées et d’ailleurs, il n’a pas soulevé la solidarité des foules.»
La suite des événements, dit-elle, s’annonce cruciale : «Cette démission va obliger le Premier ministre à prendre des décisions anticipées par rapport aux échéances du calendrier électoral. Avec le délai légal prévu par la Constitution et le Representation of People’s Act, cela donnerait, théoriquement parlant, une partielle en juin et une dissolution automatique du Parlement en décembre, avec seulement six mois de battement entre les deux. Dans la pratique, on sait que ce n’est pas soutenable et que le Premier ministre sera forcé de procéder à un arbitrage politique et stratégique concernant ces deux échéances électorales (…) Il est obligé de monter au créneau et de dévoiler de façon anticipée quelle sera la feuille de route de la nation pour 2019.»
Textes : Amy Kamanah-Murday et Christophe Karghoo
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