Publicité
29 février 2016 14:31
Jamais de toute son histoire le petit village de Camp-de-Masque-Pavé n’a été aussi durement frappé dans son intimité. Dans son cœur. Perçu jusqu’ici comme un havre de paix, un petit coin de paradis situé en plein cœur d’une flore luxuriante, cette localité est, depuis le vendredi 26 février, plongée dans un horrible cauchemar. Comment ? Pourquoi ? Ce sont autant de questions auxquelles les habitants de cette partie de l’île sont confrontés depuis que leur village bien-aimé a basculé dans l’horreur.
Car deux des leurs ont été brutalement arrachés à la vie en l’espace de quelques minutes. Un double meurtre qui dépasse l’imagination, qui donne des sueurs froides. Pour cause, Yeshna Rughoobin, 14 ans, et sa grand-mère Reshma Rughoobin, 54 ans, ont été violemment agressées avec un cutter et un couteau de cuisine par Kevin*, un habitant de cette même localité âgé de 17 ans, dans l’après-midi du vendredi 26 février 2016.
Dans sa folie meurtrière, l’adolescent a également agressé le petit Tushal, le frère de Yeshna. Ce dernier, grièvement blessé, a subi une délicate intervention chirurgicale à l’hôpital de Flacq, avant d’être admis aux soins intensifs, sous respiration artificielle. Survivra-t-il à ses blessures ? Pour l’heure, les médecins refusent de se prononcer à ce sujet alors que l’enfant, l’unique témoin de ce drame atroce, lutte pour sa survie.
Les enquêteurs comptent sur le témoignage du petit Tushal pour assembler les pièces manquantes de ce puzzle sanglant. Que s’est-il réellement passé ce jour-là à Camp-de-Masque, dans la petite localité de Mare Goyaves ? Retour sur un après-midi meurtrier.
Il est aux alentours de 15 heures, lorsque Kevin se rend au domicile de Reshma Rughoobin afin de convaincre cette dernière de lui accorder la permission de fréquenter sa petite-fille de qui il dit être fou amoureux. Parce qu’il est non scolarisé et sans emploi, et en raison de son jeune âge et de celui de sa petite-fille, qui suit une scolarité normale, Reshma lui répond par un non catégorique. Il entre alors dans une terrible colère. Il sort un cutter et un canif, et assène plusieurs coups à Reshma Rughoobin dans le dos, ne lui laissant aucune chance de survie.
Peu de temps après, Yeshna, qui rentre de l’école accompagnée de son frère, tombe nez à nez sur Kevin et, surtout, sur la grand-mère qui gît, inerte, dans une mare de sang. Kevin se jette alors sur l’adolescente et l’égorge de sang-froid de plusieurs coups de cutter. Yeshna s’écroule dans sa cour alors que son agresseur, pris dans sa furie, s’acharne sur le petit Tushal qui réussit à s’enfuir, les vêtements ensanglantés, cherchant de l’aide.
«Sap mo la vi. Sov mo ser»,lance le petit à la première personne qu’il croise, un dénommé Jugdish Jhunkar qui rentrait d’une journée de travail dans sa plantation. «J’étais horrifié. J’ai vu un jeune homme dans la cour, qui se tailladait. Ma priorité était l’enfant. J’ai averti les voisins. On est allé à l’hôpital où l’enfant a eu des soins», nous confie ce dernier. L’alerte est ainsi donnée et c’est tout le périmètre qui est bouclé alors que la foule grossit graduellement et que les esprits s’échauffent.
Dans la foule, femmes, hommes et enfants laissent éclater leur tristesse. Mais aussi leur colère face à cette barbarie. Parmi, Amrita Bissessur, la grand-mère maternelle de Yeshna Rughoobin. Les yeux remplis de larmes, elle n’a presque pas de mots pour exprimer le chagrin qui la transperce. «Yeshna était une fille souriante. Elle aimait la vie. Son frère et elle vivaient avec leurs grands-parents paternels depuis que leurs parents sont allés travailler en Australie depuis deux ans. Et pendant les week-ends, ils venaient chez moi à Mare-La-Chaux. Yeshna se concentrait sur ses études. C’est tout ce que je sais. Elle n’avait pas de petit ami», précise Amrita Bissessur, la voix cassée par l’émotion.
[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"15149","attributes":{"alt":"","class":"media-image","height":"321","typeof":"foaf:Image","width":"480"}}]]
Yeshna Rughoobin, en Form IIIau collège SSS de Bel-Air, et son frère Tushal, qui refait le CPE à l’école primaire de Camp-de-Masque, devaient rejoindre leurs parents au pays des kangourous en mars. Selon Amrita, toutes les démarches avaient déjà été finalisées. «Leurs parents avaient prévu de venir à Maurice en mars, assister au mariage d’un proche. Et ensuite, les enfants seraient partis avec eux», soutient Amrita. Ce drame vient bouleverser à un point inimaginable l’avenir de cette famille modeste qui rêvait d’un meilleur avenir en Australie. Mécanicien de profession, Ravi Rughoobin avait pu trouver un emploi dans ce domaine en Australie, alors que son épouse Kiran y poursuivait des études. «Ils ont appris la triste nouvelle lorsque des proches les ont avertis par téléphone. Notre famille ne sera plus jamais comme avant.»
Sooresh Rughoobin, l’époux de Reshma Rughoobin, et grand-père de Yeshna et de Tushal, est terriblement secoué par toute cette affaire. Il se trouvait à son travail lorsqu’il a appris l’horreur par le biais d’un appel téléphonique. «Je suis terriblement bouleversé. Ma petite-fille a été retrouvée dehors. Ma femme, elle, était dans la maison et c’est bien plus tard que la police l’a retrouvée dans la maison. Je ne sais pas si elle aurait pu être sauvée si la police était entrée à temps dans la maison. Est-elle morte tout de suite après avoir été agressée ou s’est-elle vidée de son sang jusqu’à en mourir ? Je ne sais pas», lance Sooresh sans pouvoir contenir ses émotions.
[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"15150","attributes":{"alt":"","class":"media-image","height":"320","typeof":"foaf:Image","width":"480"}}]]
Son épouse, dit-il, était une femme appréciée dans le village. Femme au foyer, elle s’occupait de ses petits-enfants avec amour et, de temps en temps, elle se rendait dans sa plantation de légumes. Yeshna, elle, était tout aussi appréciée et aimée. Respectueuse et douce selon son voisinage, elle était une jeune fille sans histoire. Avant de rentrer chez elle en ce vendredi après-midi, elle s’était arrêtée à la boutique du coin pour acheter des gâteaux, raconte une voisine qui l’a vue à ce moment-là. «Linn dir mwa bonzur poupou et linn kontigne marse avek so frer», fait ressortir Devi, une habitante de Mare-Goyaves.
Et Kevin dans tout cela ? Selon son voisinage, il serait un adolescent plutôt timide et réservé, qui marcherait même la tête baissée. Aîné d’une fratrie de deux enfants (il a un frère et une sœur), il n’est pas scolarisé et ne travaille pas. Sa mère, laboureur de profession, serait le seul gagne-pain de la famille. Après avoir commis son forfait, Kevin, probablement pris de remords, s’est infligé plusieurs coups de couteau avant de se cacher sous le lit, dans une pièce de la maison de ses victimes. La police l’a retrouvé à demi-inconscient dans la maison où il avait semé l’horreur. Interrogé, il devait déclarer avoir des sentiments pour Yeshna. «Monn al get so granmer pou gagn so permision pou frekant tifi la. Mo ti kontan li. Me granmer inn tir kouto ar moi. Monn pik li», a-t-il laissé entendre avant d’être transféré à l’hôpital où il a subi une délicate intervention chirurgicale. Selon le personnel soignant, son état de santé est jugé critique et il a été admis aux soins intensifs.
Une localité plongée dans la peur. Une famille anéantie à jamais. Des vies brisées à jamais en une fraction de seconde. Le double meurtre de Camp-de-Masque-Pavé hantera pour longtemps encore les esprits. Les proches et les habitants de l’endroit partagent maintenant un seul et même souhait : que le petit Tushal se remette de ses blessures.
(* prénom fictif)
Yeshna Rughoobin et sa grand-mère Reshma Rughoobin ont été tuées avec une rare violence. En tout cas, c’est ce que démontre le rapport d’autopsie du Chief Police Medical Officer, le Dr Sudesh Kumar Gungadin. Selon celui-ci, le présumé meurtrier a attaqué Reshma Rughoobin dans le dos et lui a infligé sept coups de couteau, lui perçant la poitrine et ne lui laissant aucune chance de survie. Dans sa furie, le suspect a également porté six violents coups de couteau au cou de Reshma Rughoobin. L’adolescente, elle, a reçu cinq coups de couteau au cou.
Publicité