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3 octobre 2016 01:47
Les arrestations d’Arnaud Casquette, ancien champion d’athlétisme, et de Kinsley Stewart Léopold, footballeur professionnel, ne laissent pas insensible Yogida Sawmynaden, le ministre de la Jeunesse et des Sports (MJS). Ce dernier se dit attristé par la situation dans laquelle se trouvent les deux hommes mais reste convaincu qu’ils peuvent sortir de cette impasse et redevenir des citoyens modèles. «Arnaud Casquette et Kinsley Léopold ne sont pas des causes perdues, au contraire il faut les récupérer. C’est regrettable de voir que deux sportifs en sont arrivés là mais ce n’est pas une raison pour les abandonner. Ils méritent une deuxième chance. Si des athlètes se trouvent dans de telles situations aujourd’hui c’est que rien n’a été fait en termes de suivi et de formation. Pendant un moment, on a trop misé sur l’élite pour produire des résultats mais après, quand c’est fini, il n’y a plus rien», souligne Yogida Sawmynaden.
Selon lui, le ministère est en train de mettre en place une politique visant à permettre aux sportifs de bénéficier de bourses qui leur permettront d’avoir une formation supérieure et académique tout en continuant leur carrière sportive. «Ce projet est là depuismars et je veux qu’il entre en opération au plus vite. Malheureusement, il y a des procédures, surtout en ce qui concerne son aspect légal, pour éviter le moindre pépin. D’ailleurs, dans le Sports Act, je compte introduire une clause qui permettra aux athlètes d’obtenir le release de leur employeur lorsqu’ils représentent le pays à l’étranger. Nous avons vu, dans le passé, que certains employeurs n’hésitaient pas àdéduire du salaire des sportifs quand ces derniers vontdéfendre les couleurs du pays. C’est dommage que nous devions en passer par là mais il nous faut agir.»
Il ajoute que cette année le MJS a fait des efforts pour aider à la réinsertion des jeunes à travers le sport. «Un programme de réforme a été lancé depuis quelques mois au Rehabilitation Youth Center et ce projet connaît actuellement un succès auprès des jeunes», nous dit le ministre. Il ajoute que ce programme de reconversion fera aussi son entrée prochainement au sein du Correctional Youth Center.
Stéphan Buckland, l’ex-sprinteur mauricien, qui a côtoyé Arnaud Casquette au moment où l’athlétisme mauricien écrivait l’une de ses plus belles pages est d’avis que certains sportifs ont besoin d’être accompagnés. «Personnellement, je suis triste pour lui car ce n’est pas quelque chose qu’on souhaite à une personne mais si c’est lui qui a choisi cette voie, il a aussi sa part de responsabilité. Toutefois, ce n’est pas pour autant qu’on doit abandonner la personne à son sort», souligne l’ancien champion d’athlétisme. Que faire alors ? «Depuis que cette affaire a éclaté, beaucoup disent qu’il faut faire quelque chose mais il faut se rendre à l’évidence :cette situation existe depuis longtemps. Il ne suffit pas de dire qu’on va faire quelque chose, il faut du concret. Arnaud et d’autres athlètes qui ont des difficultés similaires ont certainement besoin d’un accompagnement psychologique. Si nous voulons leur venir en aide, nous devons leur offrir ce soutien mais aussi mettre des moyens à leur disposition pour leur permettre de s’en sortir», confie Stéphan Buckland. Selon lui, ce soutien ne doit pas se limiter aux sportifs de haut niveau mais être mis également à la disposition de ceux qui arrêtent leur carrière prématurément. Il souhaite aussi voir plus de sportifs se reconvertir dans l’encadrement et le management du sport à Maurice.
Ancien boxeur de la sélection mauricienne et médaillé olympique en 2008, Bruno Julie en connaît un rayon sur l’après-carrière d’un sportif. Le puncherde Rose-Hill qui, il y a quelques mois encore, passait lui aussi par des moments difficiles, notamment pour subvenir aux besoins de sa famille, sait à quel point un athlète peut tomber dans les travers de la société s’il n’est pas bien encadré à la fin de sa carrière.
«Je ne vais pas blâmer Arnaud Casquette, ni rejeter la faute sur qui que ce soit car je pense que chacun à sa part de responsabilité. J’ai connu Arnaud Casquette quand nous étions tous deux des sportifs et je dois dire que c’est quelqu’un de bien. Mais il faut comprendre que quand on devient un sportif de haut niveau, on consacre toute sa vie à sa carrière et le jour où ondécide de s’arrêter, ondécouvre brusquement qu’il n’y a rien. Je ne dis pas que c’est le cas pour tout le monde mais pour certains c’est comme ça. Le sportif se retrouve brusquement avec du temps libre et il ne sait pas trop comment gérer ces moments-là car pendant 15 ou 20 ans, sa vie était réglée d’une certaine manière et d’un seul coup tout change», dit-il.
La vie alors, poursuit-il, n’est pas facile. «Dans certains cas, beaucoup se sentent abandonnés et se laissent souvent influencer par les autres. Or, en tant que sportifs de haut niveau, nous avons quelque chose à partager aux jeunes mais encore faut-il qu’on nous offre l’opportunité de le faire. C’est à ce niveau qu’il faut trouver un moyen de reformer ces athlètes en leur permettant de partager leur expérience avec les jeunes. Comment encourager un jeune àfaire du sport s’il sait qu’à la fin de sa carrière il n’y a rien de prévu ? Si nous arrivons à faire cela, alors nous seront gagnants à tous les niveaux», explique Bruno Julie.
Qadeer Hoybun
Les athlètes qui arrivent en fin de carrière sont encouragés par la MAA à se reconvertir afin de pouvoir reprendre une vie normale après tant d’années passées au service du sport. Selon Vivian Gungaram, la fédération encourage ses athlètes à préparer l’après-carrière en leur permettant d’avoir accès à des cours de formation. «Tous les sportifs ne sont pas forts académiquement, donc nous encourageons ceux qui veulent avoir une formation dans une filière quelconque à suivre une formation. Beaucoup ont choisi cette voie et ont réussi. Mais cela ne dépend pas entièrement de la fédération, il faut aussi que la personne souhaite êtreaccompagnée. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’on pourra l’aider», explique Vivian Gungaram.
Laura Samoisy
«Sa place n’est pas en prison mais dans un centre où on prendra soin de lui et où on soignera son addiction à la drogue», déclare Danny Philippe, travailleur social, parlant de l’ancien champion d’athlétisme Arnaud Casquette, tombé dans la drogue et qui a été arrêté pour divers cas de vol cette semaine. Son arrestation et celle du footballeur professionnel, lui pour trafic de drogue, suscitent depuis quelques jours de nombreuses interrogations et interpellent les travailleurs sociaux impliqués dans la lutte contre la drogue. Deux nouvelles affaires qui viennent démontrer une fois de plus que la drogue peut toucher n’importe qui.
Pour Danny Philippe, si des sportifs ainsi que des artistes tombent dans la pauvreté, l’alcool et la drogue, c’est aussi parce qu’il y a un manque d’encadrement évident après leur carrière. «Ça me fait penser à un limon qu’on presse pour en enlever tout le jus et qu’on jette une fois qu’on ne peut plus l’utiliser», dit-il. Aujourd’hui, ajoute le travailleur social, Arnaud Casquette, qui est toxicomane, a besoin qu’on le prenne en main : «Il faut l’aider à s’en sortir. L’addiction n’est pas un crime mais une maladie.»
Cependant, l’athlète recevra-t-il les traitements nécessaires dans les plus brefs délais ? Brigitte Michel de l’association A.I.L.E.S Mangalkhan en doute. Depuis l’arrêt de la méthadone au profit du Suboxone et de la Naltrexone, il n’y a, dit-elle, pas de traitement approprié pour les consommateurs de drogue alors que, dans certains quartiers, les jeunes ont de plus en plus facilement accès aux substances illicites : «Il faut envoyer un patient pour un traitement de désintoxication à Ste-Croix et de là, il atterri sur une liste d’attente énorme. Il faut attendre entre trois et six mois pour enfin avoir accès aux soins. C’est un vrai cauchemar.»
Pour Brigitte Michel, l’important dorénavant est de venir en aide à Arnaud Casquette qui reste une victime de la drogue et les autorités doivent assumer leur part de responsabilité. Son traitement et sa réhabilitation sont, précise-t-elle, des priorités. «Nous ne pouvons pas les accueillir les bras ouverts quand il y a des médailles et les laisser tomber quand ils ont besoin d’aide. Nous sommes prêts à le rencontrer et à faire un plaidoyer pour qu’il écope d’une peine de travaux communautaires au lieu d’une peine d’emprisonnement», lance-t-elle.
Amy Kamanah-Murday
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