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Par Elodie Dalloo
19 juillet 2020 23:45
Dans leur localité, on ne les présente plus. Pour cause, depuis plusieurs générations – la première remontant au temps où les trains circulaient encore à Quartier-Militaire –, cette famille y gère ses trois petits commerces. Cela faisait plusieurs années que Zaheed Rohoman, l’unique fils de ses parents, avait repris le flambeau. Au comptoir du Terminus Snack, situé derrière la poste, il accueillait toujours ses clients le sourire aux lèvres. Mais depuis le jeudi 16 juillet, le commerce n’a pas rouvert les volets. Car ce jour-là, cet homme de 42 ans et son fils de 11 ans, Mohamad Ridwan Rohoman, qu’il venait d’aller récupérer à son collège, ont été victimes d’un terrible accident dans lequel ils ont tous deux péri. Ils laissent derrière eux une famille anéantie par leur disparition tragique.
Summayyah*, la sœur de Zaheed et la tante de Ridwan, est de ceux qui n’arrêtent pas de pleurer depuis le drame. Lorsque nous la rencontrons au domicile familial, elle est vêtue symboliquement de blanc. Elle a les yeux rougis et gonflés tant elle a versé des larmes depuis que la terrible nouvelle lui a été annoncée. Le cœur lourd de chagrin, elle nous raconte qu’il y a un peu plus de 11 ans, la vie de son frère avait drastiquement changé avec la naissance de son fils Ridwan. Bien qu’il s’était séparé de son épouse quelque temps après la venue au monde de leur enfant, cela ne l’a jamais empêché d’être un père exemplaire et aux petits soins pour son fils. Leur relation, explique sa sœur, était même fusionnelle. «Il n’a jamais refait sa vie. Il ne vivait que pour son fils. Il disait toujours que son enfant était sa priorité et refusait de faire quoi que ce soit sans lui. Lorsque Ridwan était chez sa mère ou sa grand-mère maternelle et que nous organisions des sorties familiales, il refusait de nous accompagner parce qu’il était convaincu de ne pouvoir passer un bon moment sans son enfant. Aujourd’hui, ils ont quitté ce monde ensemble. Il s’est accroché à son fils jusqu’au dernier moment. Ils n’auraient jamais pu vivre l’un sans l’autre», lâche-t-elle, avant d’éclater en sanglots.
Le petit garçon, qui aurait célébré son 12e anniversaire le 12 décembre, est entré en Grade 7 au SSS de Quartier-Militaire cette année. Tous les jours, son père allait le déposer et le récupérer après ses heures de classe. Mais ce jeudi 16 juillet, ils ne sont jamais rentrés à la maison. Dans l’après-midi, un policier est venu frapper à la porte de la famille Rohoman pour lui annoncer cette nouvelle qui allait chambouler sa vie à jamais. «Il s’est adressé à mon oncle pour lui dire qu’un grave accident impliquant Zaheed s’était produit. À ce moment-là, nous étions tellement paniqués que nous ne savions pas quelles questions lui poser. Nous ne savions pas non plus ce qui était arrivé à Ridwan», raconte Summayyah. Sans perdre une minute, le père de Zaheed s’est d’abord rendu sur le lieu de l’accident, accompagné de l’un de ses neveux, avant d’aller à l’hôpital de Flacq, où la terrible nouvelle est tombée. Père et fils y avaient laissé la vie.
L’accident impliquant Zaheed et Ridwan Rohoman s’est produit peu avant 16 heures. Un autobus de la CNT venant de St Julien d’Hotman et allant en direction de Quartier-Militaire est entré en collision avec la voiture à bord de laquelle se trouvaient père et fils, aux abords de la rue Higginson. L’impact a été d’une telle violence que la partie avant de la voiture a été complètement écrabouillée. Le garçonnet, qui a été violemment projeté contre le siège du conducteur, est mort sur le coup. Ce sont les médecins du Samu qui ont confirmé son décès en arrivant sur les lieux. Quant à Zaheed Rohoman, qui s’est retrouvé coincé entre l’airbag et le volant, il a dû être extirpé du véhicule par les sapeurs-pompiers. Il a ensuite été conduit à l’hôpital de Flacq, où son décès a été constaté.
Questionné, le conducteur de l’autobus – un habitant de Riche-Mare âgé de 59 ans –, a déclaré aux enquêteurs qu’il roulait à 40 km/h lorsque la voiture est soudainement apparue dans sa voie. Bien qu’il ait appliqué les freins, dit-il, il n’a pu éviter l’impact. Une accusation provisoire d’homicide involontaire a été logée contre lui. Une enquête est en cours afin de faire la lumière sur les circonstances de cet événement tragique.
Depuis la disparition tragique de ces deux êtres chers, le temps s’est comme arrêté chez les Rohoman. Summayyah craque à nouveau lorsqu’elle fait l’éloge de son frère : «Enn dimounn zovial. Li ti extra korek. Sans lui, nous ne savons même pas comment nous allons continuer de vivre. Il était notre soutien à tous et le bras droit de mes parents.» Le petit Ridwan, quant à lui, est celui qui illuminait les journées de toute la famille. «Il était un enfant très actif et passionné par le foot.» Il avait d’ailleurs intégré la Liverpool Football Academy. Summayyah esquisse un sourire lorsqu’elle repense à un des derniers vécus avec Ridwan, le mercredi 15 juillet. «Mon neveu est rentré de l’entraînement couvert de boue. Il nous a raconté qu’il avait marqué deux buts. Nous étions extrêmement contents pour lui. Il devait bientôt participer à un tournoi.» Son père l’encourageait dans cette passion qu’il partageait également. «C’était leur passe-temps préféré. Ils se rendaient souvent sur le terrain de foot de F.U.E.L. pour jouer les après-midi ou durant le week-end. Ils étaient tous les deux des grands fans de l’équipe de Manchester United.»
Malheureusement, ils ont brusquement quitté ce monde sans avoir pu réaliser les nombreux rêves et projets qu’ils avaient pour le futur. «Zaheed espérait faire rénover la maison pour la famille. Il voulait aussi acheter un terrain pour son fils. Il répétait que, même si notre père n’avait pas pu faire cela pour lui, il ferait tout pour offrir un lopin de terre à Ridwan afin qu’il puisse avancer dans la vie.» L’avenir apparaît dorénavant bien sombre et plein d’incertitudes pour les Rohoman. «Mon grand-père s’était occupé du snack familial, puis ça a été au tour de mon père jusqu’à ce que Zaheed reprenne le flambeau. Azordi nou nepli kone kouma nou pou fer. Notre famille a perdu ses deux seuls héritiers», se désole Summayyah.
Les funérailles de Zaheed et Ridwan Rohoman ont eu lieu dans la soirée du jeudi 16 juillet. Une foule de personnes, composée d’amis, de proches et connaissances des deux victimes, a fait le déplacement pour venir dire un dernier adieu à père et fils, unis dans la vie, comme dans la mort. Laissant derrière eux un gouffre de chagrin et un océan de larmes.
(*Prénom modifié)
C’est dans le plus grand calme qu’a eu lieu l’exercice de reconstitution des faits de l’accident ayant coûté la vie à Zaheed Rohoman, 47 ans, et son fils Mohamad Ridwan Rohoman, 11 ans. Escorté par les forces régulières de Quartier-Militaire et des limiers du Scene of Crime Office (SOCO), le conducteur de l’autobus de la CNT – un habitant de Riche-Mare âgé de 59 ans – est arrivé sur le lieu de l’accident à 10 heures, le samedi 18 juillet, soit deux jours après la tragédie. Il a expliqué avec moult précisions comment est survenue la collision aux abords de la rue Higginson. Au moment des faits, il circulait de St Julien d’Hotman, en direction de Quartier-Militaire, lorsque la voiture aurait soudainement surgi devant son véhicule. Dans sa déclaration à la police, il a indiqué avoir été pris de court et n’avoir rien pu faire pour éviter le véhicule, même s’il a appliqué les freins. Et d’ajouter qu’il roulait à 40 km/h au moment des faits. L’enquête suit son cours pour faire la lumière sur ce drame.
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