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10 juillet 2018 02:09
Imaginez des milliers et des milliers de billets de Rs 1 000, de Rs 2 000, entre autres, ainsi que des devises étrangères entassés dans plusieurs coffres et une valise. Tellement il y en a qu’on ne sait pas où donner de la tête. Le tout s’élève à pas loin de Rs 50 millions. C’est ce qu’a découvert la police dans plusieurs appartements appartenant à la famille Bolaki dans son immeuble de huit étages à Plaine-Verte. Une saisie qui a eu lieu après celle de Rs 2 931 718.97 sur deux membres de cette famille, Aniisah Bolaki et son époux Sameer Nobeeboccus, à l’aéroport de Plaisance, le même jour, soit le dimanche 1er juillet. La somme totale de l’argent saisie s’élève à Rs 51 963 185.
Sept membres de cette famille ont été arrêtés lors de ces deux opérations policières, dirigées par l’assistant surintendant de police Hector Tuyau. Tous ont dû expliquer à l’Anti-Drug & Smuggling Unit la provenance de cette forte somme d’argent. Si les suspects assurent que cet argent provient uniquement de leurs divers commerces, les limiers de la brigade anti-drogue les soupçonnent d’être engagés dans un réseau hawala (voir hors-texte) où ils blanchiraient l’argent sale de présumés trafiquants de drogue engagés dans un réseau international.
Pour comprendre l’histoire, remontons au dimanche 1er juillet. Le couple Aniisah Bolaki et Sameer Nobeeboccus s’apprête à prendre l’avion pour la Chine sur le vol MK 688 qui doit décoller à 21h45. Mais les époux ne prendront pas cet avion. Peu avant, ils sont arrêtés à l’aéroport après la découverte de Rs 2 931 718.97 non déclarées, en devises étrangères, soigneusement dissimulées dans leur bagage.
Interrogés, ils avancent que l’argent devait servir, entre autres, à acheter des «marbres». Peu après, l’ADSU effectue une descente dans le bâtiment de huit étages où ils habitent avec d’autres membres de leur famille et qui appartient à Nazoolbee Bolaki, la mère d’Aniisah. Sur place, les limiers de la brigade anti-drogue se heurtent à la résistance de plusieurs personnes mais arrivent à pénétrer sur les lieux. Au premier étage, qui sert de bureau, ils récupèrent un coffre-fort contenant une forte somme d’argent en coupures de Rs 1 000 et Rs 2 000 et en devises étrangères.
Au quatrième étage, occupé par Dilshad Boolaki, fille de oolbee Bolaki, son deuxième époux Iqbal Utteenun, ses deux filles Dilshad et Sameerah et son gendre Ally sont placés en état d’arrestation. Ce qui ramène le nombre de personnes appréhendées dans cette affaire à sept, en comptant Aniisah Bolaki et Sameer Nobeeboccus. Tous font l’objet d’une charge provisoire de blanchiment d’argent. Ce qu’ils nient catégoriquement. Six des sept membres de cette famille ont retrouvé la liberté après avoir fourni une caution. Seule Nazoolbee Bolaki demeure derrière les barreaux car l’ADSU la soupçonne de diriger le réseau hawala avec la complicité des membres de sa famille, des cambistes et des trafiquants de drogue.
Me Shakeel Mohamed, Leading Counsel de la famille Bolaki, martèle, pour sa part, que la police a tout faux dans cette affaire. Selon lui, ses clients sont disposés à fournir les preuves nécessaires pour justifier la présence de cette grosse somme d’argent chez eux. Il estime, par ailleurs, qu’une personne ne peut être poursuivie pour blanchiment si elle arrive à prouver la provenance de son argent. L’homme de loi est convaincu que les Bolaki sont victimes de leur succès.
Wally, un proche collaborateur de cette famille, abonde dans le même sens : «Je connais cette famille très bien. Tous ses membres sont des hard workers. Nazoolbee est une mère exemplaire. À la mort de son époux, elle n’a pas hésité à reprendre la direction des usines et magasins qu’ils possèdent. Si aujourd’hui, cette famille a plusieurs compagnies et magasins, c’est surtout grâce au courage et au travail acharné de chacun. Si ti ena larzan enn poulia gandia ou enn doz leroin dan zot kas lontan mo ti pou fini larg zot lipie.»
Toutefois, la brigade anti-drogue n’est pas de cet avis. Les limiers étaient sur la piste de cette famille depuis la convocation d’un de ses proches devant la commission d’enquête sur la drogue. Le nom d’un cambiste notoire revient également sans cesse dans cette affaire. Ce dernier avait également déposé devant la commission d’enquête sur la drogue et il est soupçonné d’être le complice et un maillon important du réseau hawala local pour le compte des trafiquants de drogue notoire.
Selon une source proche de l’enquête, les Boolaki n’auraient pas exprimé le moindre regret après les deux grosses saisies «parski pa zot kas sa». Notre interlocuteur avance également que les «preuves» produites par les Bolaki à ce jour pour justifier la possession de cette importante somme d’argent ne sont que les turnovers des trois compagnies qu’ils dirigent. Et le compte en banque de cette famille, à l’en croire, n’égale en rien la forte somme saisie dans les coffres et la valise. Selon notre source toujours, les membres de cette famille n’ont pu justifier la provenance des dollars et des euros saisis sur eux et chez eux.
Ce qui interpelle également les enquêteurs, c’est le patrimoine surprenant acquis par les Bolaki en un temps record, comprenant plusieurs magasins à la rue La Corderie, à Port-Louis, un bâtiment en construction en face de la piscine à Plaine-Verte et un bloc d’appartements à la rue Paul & Virginie dans cette même localité. Interrogé à cet effet, Wally est catégorique : «Dimounn zalou ek koz zot san konn zot. Sa fami la konn zis travay ek zot lakaz. Pena enn zour ki zot pa travay sa bann la. Zot fer boukou sakrifis osi. Si zot pa dan zot magazin, zot dan zot lizinn. Pena la semen ou week-end kot ou pa trouv kamion contener divan zot laport pou anbark bann prodwi zot inn importe pou vande ou export ver lezot pei. Zot vann enn ta zafer kouma tapi, serviet, linz madam ek meb. Li normal ki kan zot travay byen zot gagn kas ek fer developma pou zot fami.»
Me Shakeel Mohamed pense lui aussi que ses clients sont victimes d’un autre «sport favori des Mauricien» : les palabres». Il ajoute que ses confrères avocats et lui sont plus que disposés à prouver l’innocence de leurs clients. La police a, elle aussi, du pain sur la planche pour prouver le contraire.
Un hawala (mot arabe signifiant mandat ou virement) est un système traditionnel de paiement informel datant du début du moyen-âge. De nos jours, il est surtout utilisé par des trafiquants de drogue ou encore des terroristes et des trafiquants d’armes pour faire circuler des fortes sommes d’argent au noir par un réseau d’agents de change. Ce système informel et parallèle repose uniquement sur la confiance entre les différentes parties concernées. Il n’y a pas de cadre juridique pour le contrôler car le but est de faire de l’évasion fiscale.
Le hawala permet à des bénéficiaires de contourner officiellement les taux de change en pratiquant leurs propres taux. Il permet aussi de fournir une possibilité de revenu supplémentaire et offre également une alternative très attractive aux clients. La police soupçonne les Bolaki d’être impliquée dans un réseau hawala impliquant plusieurs pays de la région qui sont en lien avec d’autres pays asiatiques engagés dans ce même processus. Les Bolaki auraient empoché l’argent des trafiquants de drogue à Maurice pour le blanchir dans leur business respectif ou l’échanger en devises étrangères avant d’aller ensuite en Chine pour des transactions notoires pour le compte des trafiquants.
Deux présumés trafiquants de drogue notoire, soit un policier suspendu et un businessman engagé dans les pièces de rechange, voyageaient, eux aussi, sur le même vol qu’Aniisah et son époux en direction de Shanghai. Les limiers sont persuadés qu’il ne s’agit pas d’un hasard.
Ally Lazer pense la même chose et se demande également comment ces deux trafiquants ont pu avoir l’autorisation de voyager. Une source du judiciaire affirme qu’ils ont bénéficié d’un variation order leur permettant de prendre l’avion. «Ou trouv sa normal ki lapolis pa objecte pou ki sa de la pa kapav voyaze», s’insurge le travailleur social. La brigade anti-drogue épluche, pour sa part, la liste de tous les passagers de ce vol afin de retracer d’autres présumés complices qui devaient, selon elle, agir comme passeurs/passeuses.
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