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Arrestation musclée de Nyjel, 21 ans, à Sainte-Croix

Georges Beerjeraz : «Ils ont brisé mon petit-fils, et moi avec…»

Il ne veut pas dédouaner son petit-fils pour ce qu’il a fait, dit-il, mais raconter ses douleurs, ses difficultés, tout ce qui, selon lui, a mené le jeune homme là où il est aujourd’hui, à la drogue, aux délits de vol, au vol de sa propre voiture ce fameux mardi 30 avril… Et surtout, il veut crier sa révolte face à la manière dont Nyjel a été traité lors de son arrestation, la violence qu’il a subie entre les mains des policiers et que les Mauriciens ont pu voir sur les réseaux sociaux grâce à une vidéo de la scène. Son fils Cédric et lui, tout en condamnant les actes répréhensibles du jeune homme, réclament justice et veulent aller de l’avant légalement. Alors même que les policiers montrés du doigt ont déposé une plainte contre lui pour tentative de meurtre.

C’est une affaire qui a secoué toute l’île : une vidéo virale montrant l’arrestation musclée d’un jeune homme à Sainte-Croix, plaqué au sol, ensanglanté, sous les coups. Ce, à l’issue d’une course-poursuite avec la police au volant de la voiture qu’il avait volée à son grand-père plus tôt et durant laquelle il a heurté plusieurs véhicules et a failli renverser un enfant. Mais derrière les images violentes de son tabassage, il y a une famille, un grand-père, une douleur silencieuse. Avant de nous ouvrir sa porte à Albion, Georges Beerjeraz hésitait à s’exprimer, méfiant après une mauvaise expérience avec un autre média. Finalement, il accepte de raconter sa vérité. C’est une voisine qui ouvre le portail et nous guide jusqu’à Georges, assis sous la véranda. Ses yeux sont fatigués, rougis par les larmes et les nuits sans sommeil. Il nous accueille du mieux qu’il peut, sans cacher sa peine.

Entre sanglots, longues pauses et regards perdus, Georges refait le film. Il raconte : «Nyjel vivait avec nous depuis sa naissance, c’est nous qui l’avons élevé. Quand ses parents se sont séparés, il est retourné chez sa mère, mais quand elle a refait sa vie, Nyjel s’est perdu. Mon épouse et moi avons préféré prendre sa responsabilité.» En 2017, Georges tombe gravement malade, cloué au lit par un cancer. «Je partais en chimiothérapie deux fois par semaine. C’est à ce moment-là que j’ai senti qu’on n’avait plus le temps de l’encadrer.» Il baisse la tête. «Il n’a que 21 ans, il a fêté son anniversaire le 14 février, le jour de la Saint-Valentin…»

Le coeur lourd, il continue son pénible récit : «C’est un garçon humble, doux. Quand on le gronde, il reste tranquille. Jamais nerveux, jamais agressif. Et quand il faisait des bêtises, il me regardait et disait : “Papère, je m’excuse.”» Georges s’effondre. Il raconte les années d’école, deux collèges d’où il est renvoyé pour indiscipline. Plus tard, grâce à sa marraine, il tente le théâtre, les petits films, les sketchs, mais abandonne vite. Pourtant, Nyjel est brillant en informatique. «Je l’ai emmené travailler avec moi. Il venait quatre ou cinq jours, puis il s’en allait.» Il est tombé dans l’enfer de la drogue et à partir de là, rien n’allait plus. «Je l’ai emmené consulter un psychiatre, quatre fois, à Rs 2 200 la séance, sans compter les médicaments… Puis, il ne voulait plus. Il disait : “Enfermez-moi dans une chambre pour que je ne sorte pas me droguer.” Mais après trois jours, il s’échappait. Depuis 2018, il est dans ce cercle infernal de la drogue. Nous l’avons même placé en centre de désintoxication, à deux reprises, sans succès.»

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Des images choquantes du jeune homme au sol, ensanglanté, frappé par plusieurs hommes. En haut, sur son lit d'hôpital.

Le jour du vol de sa voiture par Nyjel, Georges raconte qu’il en a été informé par sa voisine vers 15 heures, alors qu’il est au travail. Il s’est alors rendu au poste de police d’Albion vers 16h30 pour signaler le délit. «Quand j’y repense, je me sens coupable… Jamais je n’aurais dû citer son nom.» La clé de la voiture était restée à la maison, Nyjel l’avait prise. Cette voiture, toute neuve, livrée le jeudi saint, bénie le dimanche précédent, n’avait pas encore roulé. «Pourquoi j’ai déclaré le vol ? C’était aussi au cas où il aurait eu un accident. D’ailleurs, on avait demandé à la police d’essayer de l’arrêter doucement, gentiment. Jamais je n’aurais imaginé une telle brutalité…» Mercredi matin, il reçoit la vidéo. «J’ai eu un choc. Je n’ai pas pu la regarder jusqu’au bout. Voir mon petit-fils traîné au sol, battu… Je ne sais même pas si ce sont des policiers ou des civils. Et pourquoi le tabasser alors qu’il était seul, sans armes ? Ce n’est pas un criminel ! Toute la famille le dit : il ne méritait pas un tel traitement.»

Aujourd’hui, Georges veut saisir la Human Rights Commission et déposer plainte auprès de la Police Complaint Division. «Au-delà de mon petit-fils, je pense aux autres. Ici, les arrestations se font sans compassion, sans formation. Même des gens qui ont tué leurs femmes ont été protégés, encadrés… Il y a deux types de justice dans ce pays ! Et jusqu’à maintenant, la police ne m’a même pas informé s’ils ont récupéré la voiture ou même arrêté mon petit-fils ! Rien.»

Georges n’a pas encore vu Nyjel à l’hôpital, mais il veille à ce que son fils Cédric (le père de Nygel) lui apporte tout ce dont il a besoin. «J’ai vu les commentaires sur la vidéo, les gens qui dénoncent la brutalité policière. Je les félicite et je les encourage à continuer. J’espère obtenir justice contre ceux qui ont battu mon petit-fils, parce que pour moi, ce ne sont pas des humains.»

Concernant les accusations de tentative de meurtre déposées par la police, Georges réagit fermement : «Je ne suis pas d’accord. Ils peuvent dire ça, mais c’est pour se défendre. Le pays entier a vu cette vidéo. Et même des gens à l’étranger. Le gouvernement précédent a toléré ce genre d’arrestations musclées, mais le nouveau gouvernement avait promis de ne plus tolérer ça. Pourtant, je n’ai vu aucune réaction ni du Premier ministre, qui est aussi ministre de l’Intérieur. Finalement, ils sont tous pareils : juste pour le pouvoir.»

Il termine sur un appel : «Il faudrait plus de formation pour les policiers. S’il n’y a pas de Mauriciens formés, qu’on fasse venir des formateurs étrangers. Il y a des policiers gentils, fiables, mais d’autres non… Et cette formation, elle doit concerner tout le service public, comme une mise à jour obligatoire. Et surtout, il faut arrêter les vendeurs de drogue, car cette spirale est plus forte que nous.»

Son père Cédric : «Ils devront payer pour ce qu’ils ont fait à Nyjel»

Joint au téléphone, le père de Nyjel Beerjeraz, Cédric, livre son témoignage «Nous avons retenu les services de Me Neelkanth Dulloo. Il y aura plusieurs plaintes qui seront déposées, mais seulement quand la santé de Nyjel le permettra. Tant qu’il est à l’hôpital, rien ne peut être engagé, car c’est lui qui devra signer les démarches. Il est stable, mais il a beaucoup de séquelles, et chaque jour, de nouvelles complications apparaissent. Il est alité, peut à peine marcher. Il a reçu de nombreux coups au visage et à la tête, et il doit récupérer, reprendre ses esprits, pour se souvenir de tout ce qui s’est passé. D’ailleurs, les médecins m’ont dit que son nez, cassé, restera tordu à vie, car ils ne pourront pas l’opérer. Nous restons aux aguets des médecins, dans l’attente qu’il aille mieux.» Cédric se dit choqué par l’absence totale de réaction officielle, malgré les images qui ont ému tout le pays : «Je ne sais pas si le Premier ministre ou le commissaire de police ont eu vent de tout cela, car il n’y a eu aucune arrestation. Pas un mot, pas une condamnation. Pourtant, cette vidéo tourne partout, même à l’étranger. Et pendant ce temps, ce sont ces policiers eux-mêmes qui portent plainte contre mon fils pour tentative de meurtre… Je trouve ça comique, parce que ce jour-là, où ils l’ont laissé pour mort sur la rue, ils étaient en fonction. Pourquoi ont-ils attendu deux jours pour déposer plainte ? Ils essaient peut-être de détourner l’attention, mais les images parlent d’elles-mêmes : il s’agit de brutalité contre un jeune de 21 ans. Pour cela, ils devront payer.» Concernant les accusations qui circulent : «Pour les nombreux cas de vol, à ce jour, Nyjel n’a jamais été condamné ni payé d’amende. Il est donc toujours présumé innocent jusqu’à ce qu’il soit jugé. Ils ne peuvent pas se baser là-dessus pour justifier leurs actions. Heureusement, il y a cette vidéo, car Dieu sait combien d’arrestations ont eu lieu comme ça.»

Enfin, Cédric lance un message fort : «Bien sûr, je condamne toutes les bêtises qu’il a pu faire. Oui, Nyjel a un long combat avec la drogue ; il est encore jeune, il a fait des centres, il a chuté, mais tout n’est pas perdu. Ce n’est pas une raison pour l’agresser comme ça. Nous voulons un vrai changement. La population avait peur de cette équipe de la SST, et maintenant, on voit que le mode opératoire n’a pas changé ! Depuis mercredi soir, je reçois beaucoup de messages de soutien, de gens qui veulent que justice soit faite. Et même des policiers nous ont témoigné de leur solidarité, en disant qu’ils ne cautionnent pas cette manière de faire. Ces policiers doivent être sanctionnés sévèrement, car il y a des preuves. Nous avons vu la réalité sur certains policiers qui ne méritent pas ce poste de protéger les citoyens.»

La descente aux enfers d’un fils de bonne famille

Nyjel Beergeraz collectionne les frasques depuis plusieurs années. Avant son arrestation controversée de cette semaine, le jeune homme était recherché pour cinq infractions dont des cas de vol et une affaire de «Breach of condition release from jail», soit le non-respect de ses conditions de remise en liberté conditionnelle. À cela est venue s’ajouter la plainte des policiers pour tentative d’assassinat cette semaine. Il en aurait fait voir de toutes les couleurs à ses grands-parents chez qui il vit à Albion. «So gramer ek so granper bien kontan li malgre tou. Se enn bon lokazion pou li sanz so lavi apre seki finn ariv li sa fwa-la», nous dit un membre de l’entourage de cette famille. «Garson-la dan simik. So bann gran-paran inn rod tir li ladan plizir fwa me sak fwa li resite.»

La police s’est lancée à la poursuite de Nyjel Beergeraz ce mardi 30 avril après que son grand-père a porté plainte pour le vol de son SUV. Des policiers ont pu le retracer sur la route Nicolay en visionnant les images de Safe City. Une équipe s’est alors rendue sur place et a pu localiser le véhicule peu près dans cette région. Les policiers indiquent qu’ils lui ont demandé de s’arrêter à plusieurs reprises avec les signaux sonores mais qu’il a pris la fuite, mettant en danger les usagers de la route. La police a ensuite retrouvé sa trace à Batterie-Cassée. Mais Nyjel Beergeraz a tenté de fuir à nouveau. Lors de cette folle course-poursuite, l’habitant d’Albion a endommagé d’autres véhicules. Il a même failli renverser un garçonnet de 5 ans qui se trouvait dans les environs. La mère du garçon s’est d’ailleurs confiée à nos confrères du Défi Media Group. «Si lapolis pa ti aret sofer la, kapav ena dimounn ti pou mor», confie Ameerah. Son fils a dû recevoir des soins à l’hôpital Jeetoo.

Ce jour-là, Nyjel Beergeraz aurait ensuite délibérément dirigé son véhicule vers deux policiers qui ont pu éviter de justesse la collision. Le SUV a ensuite endommagé le 4x4 de police avant d’être intercepté près d’un commerce. La police a procédé à l’arrestation du jeune homme peu après. La vidéo de cette opération musclée fait d’ailleurs le buzz sur les réseaux sociaux depuis plusieurs jours. Nyjel Beergeraz, qui est toujours hospitalisé après avoir été tabassé, fait l’objet d’une accusation provisoire de tentative d’assassinat après une plainte déposée par les policiers en question. Les Casernes centrales affirment qu’une enquête est déjà en cours pour faire la lumière sur toute cette affaire. L’une d’elle est menée par le Central Criminal Investigation Departement sur la vidéo de l’arrestation controversée.

Une affaire qui suscite de vives réactions

C’est une histoire qui fait couler beaucoup d’encre et qui suscite de nombreuses réactions. En effet, depuis la diffusion des images montrant l’arrestation musclée de Nyjel Beerjeraz, les commentaires pleuvent. L’association Dis-Moi (DroItS huMains Océan Indien), par exemple, se dit profondément préoccupée par les récents rapports et les images vidéo troublantes circulant en ligne, à la suite d’une opération à Karo Kalyptus, Roche-Bois. «Les images montrent l’individu interpellé et soumis à une force excessive et à de graves violences physiques de la part des forces de l’ordre. Dis-Moi condamne fermement ces actes de brutalité policière dans l’affaire Nyjel Beerjeraz. De tels actes constituent une grave violation des droits humains, portent atteinte à l’État de droit et érodent gravement la confiance du public dans nos forces de l’ordre», souligne Dis-Moi qui fait un appel aux autorités : «Au vu de ces images vidéo circulant en ligne, Dis-Moi demande l’ouverture immédiate d’une enquête par les autorités concernées. Dis-Moi demande également aux institutions telles que la NHRC et l’IPCC d’intervenir dans cette affaire conformément à leur mandat.»

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