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12 novembre 2015 17:36
Dans l’un des bureaux de la Communauté Thérapeutique Flamboyant de Solitude, Satchin se frotte inlassablement les mains contre son short. Il est anxieux. Raconter son histoire à cœur ouvert n’est pas facile, mais cette démarche est un pas important dans sa réhabilitation et il sait que ce qu’il a vécu peut servir d’exemple à d’autres. Son parcours est douloureux et remonte à son adolescence. «Ça a commencé par une bière, puis deux, et, très vite, ça a été des boissons plus fortes. Du rhum principalement.» Au début, comme c’est souvent le cas, il boit pour s’amuser, se défouler. Sentir l’alcool qui se diffuse dans son sang et dans son corps lui procure, alors, un sentiment de bien-être. Satchin y prend goût et perd rapidement pied pour se retrouver dans les méandres de l’alcoolisme.
Pour apaiser sa soif, il lui en faut toujours plus. Il boit dès 8 heures pour pallier les effets du manque. Il songe à arrêter lorsqu’il se marie mais n’y arrive pas. La naissance de son fils ne déclenche aucun déclic chez lui. Pour lutter contre les maux d’estomac, les migraines, la gueule de bois et les black-out, il boit encore plus. «Quand on boit, on n’est plus soi-même. Chaque verre me rendait plus violent à la maison. Je criais. Il m’est arrivé de lever la main sur la mère de mon fils. Je ne prenais pas soin de ma famille. À la fin du mois, je donnais de l’argent pour acheter les couches et les affaires du bébé, et le reste de mon salaire finissait dans l’alcool. Seule ma bouteille comptait. Mon fils grandissait et je n’étais pas présent dans sa vie», confie Satchin d’une voix hésitante.
La leçon est rude. Elle lui fera prendre conscience de ce que sa vie est devenue : «Mon fils ne m’approchait plus. À cause de mon comportement, il avait peur de moi. Je me suis rendu compte que je n’étais qu’un étranger pour lui.» Cette image lui fait l’effet d’un électrochoc. Il a fallu du temps et de l’aide pour que Satchin, cuisinier de profession, fasse le bilan de sa vie, admette qu’il est alcoolique et regarde en face ses erreurs. Après plusieurs mois de thérapie et de désintoxication au Centre de Solidarité de Rose-Hill, il a rejoint la Communauté Thérapeutique Flamboyant de Solitude pour un programme résidentiel de réhabilitation de quatre mois.
«Ici, on remet tout en question. On fait un énorme travail sur nous-mêmes. Je me rends compte du mal que j’ai fait autour de moi. Ma femme m’a quitté parce que j’avais fait de sa vie un enfer, mais pour mon fils, il n’est pas trop tard. Il vient me rendre visite de temps en temps avec mes parents. On parle, on joue, on apprend à se connaître», souligne Satchin qui est sobre depuis cinq mois. Ces petits moments privilégiés sont précieux à ses yeux et le confortent dans l’idée que la vie est bien plus belle lorsqu’il n’est pas sous l’emprise de la bouteille.
Être sous l’emprise d’une substance, c’est une sensation que David, 38 ans, connaît parfaitement. Pourtant, lui qui veut toujours tout contrôler ne pensait pas que ça finirait par le dominer. «J’ai toujours pensé que je maîtrisais la situation. J’ai un ego assez important et admettre que j’avais un problème a pendant longtemps été impossible», avoue-t-il. Lorsqu’il raconte son histoire, David s’exprime avec calme et sérénité en faisant attention lorsqu’il choisit ses mots. Sa première fois, aime-t-il raconter, était un événement planifié. «Je voulais vraiment essayer. Pour moi, c’était une expérience à vivre. Alors, le jour de mon 18e anniversaire, j’ai essayé le Brown Sugar. J’étais excité et j’ai trouvé ça délirant», se souvient-il. Au fil des années, David mène une vie normale, tout en continuant sa consommation de drogue : «J’avais confiance en moi et je pensais que je pouvais dominer la chose. D’ailleurs, j’avais mon principe. Je ne me droguais que les après-midi.»
Lorsque les doses diminuent, le jeune homme se met à perdre le fil, mais ne s’en rend pas compte : «J’ai commencé à vendre. Je me sentais bien. Je croyais que tout allait bien autour de moi. J’avais pris de la distance avec ma famille. Je n’étais jamais là. Parce que je ne me suis jamais fait prendre, j’ai toujours pensé que j’étais plus malin que les autorités.» Lorsqu’il perd tous ses contacts et n’arrive plus à dealer, il se dit qu’il doit changer de vie, mais n’y arrive pas.
Lorsqu’il rencontre une fille, il décide de tout arrêter. Ce sera le cas pendant deux ans. Il se marie tout en gardant secret son addiction à la drogue. Il est assistant comptable et gagne bien sa vie. Il a acheté une maison et une voiture. Il est heureux, mais a toujours dans un coin de sa tête cette envie qui ne le quitte pas. Alors, il replonge en cachette. «Au bureau, j’avais un masque, personne ne savait que je me droguais. S’ils l’avaient su, leur regard aurait changé. Je mentais à ma femme. Quand je n’avais plus d’argent, je lui volais sa carte de crédit. J’avais honte de moi et tous ces mensonges étaient trop lourds à porter.»
Au bout du rouleau, il craque et avoue tout à son épouse. Sous le choc, celle-ci éprouvera de la colère et de la déception, mais son amour pour lui l’amène à rester et à lui pardonner. C’est elle qui l’a inscrit à ce programme de désintoxication. Depuis qu’il vit à la communauté, il est coupé de tout. Pas de téléphone, d’Internet, de sortie ou de visites avant d’être capable de gérer ses émotions. Depuis qu’il est là, David a reçu la visite de son épouse à quelques reprises. Son soutien et son amour l’aident à tenir bon et à avancer.
Comme lui, Allan et Amba ont plongé très jeunes. Ils ont pendant longtemps vécu dans l’enfer des stupéfiants. Une spirale qui a débuté à l’âge de 16 ans avec le cannabis et qui s’est accélérée avec la cocaïne et l’héroïne. Contrairement aux autres, raconte Allan, 26 ans aujourd’hui, il a commencé en tant que dealer avant de devenir consommateur. Histoire de se faire de l’argent. «C’était quelque chose de commun dans l’endroit», dit-il. Plongé dans l’univers de la défonce, il finit par se laisser tenter et goûte une première fois, puis une deuxième jusqu’à ne plus pouvoir compter.
Les substances lui offrent un goût de liberté, mais très vite, il perd l’équilibre et fait une chute libre au fond du gouffre. Sa famille se doute de quelque chose. Toutefois, face aux questions, il trouve des subterfuges, se cache derrière des mensonges qui seraient un peu plus valables à leurs yeux et qui les calmeraient. Amba, lui, se retrouve à voler pour se payer ses doses. Voler sa propre famille : «Ces choses-là, quand vous les faites à vos proches, c’est que vous êtes tombés très bas.»
Les deux jeunes hommes, comme beaucoup d’autres, se font prendre à leur propre piège. Allan a besoin de plus, beaucoup plus. Pour calmer ses ardeurs, il touche à tout, à tout ce qui est synthétique aussi. C’est facile à dénicher, moins cher et vous fait planer en un rien de temps. Et puis, un jour, marre de se payer des défonces, de tracer sur le coltar, de mentir, de se réveiller chaque matin et de ne penser qu’à sa dose, il rêve d’une autre vie. «Je me regardais dans le miroir et ce que je voyais, ce n’était pas moi», confie-t-il. Du jour au lendemain, aussi surprenant que cela puisse paraître, il plaque tout. Il arrive, sans passer par la phase de désintoxication médicale, à la communauté où il apprend à comprendre, à trouver des réponses.
Amba, 27 ans, a lui aussi essayé d’arrêter. Il y était même arrivé pendant cinq ans. Il était tombé amoureux et filait le parfait amour avec une jeune femme avec qui il imaginait faire sa vie. Lorsque celle-ci décède, il y a moins de deux ans, la seule chose à laquelle il pense, c’est se droguer pour oublier son chagrin, rien que quelques heures. Sa consommation ne sera jamais aussi importante. Face à la dégringolade de leur fils, ses parents lui lancent un ultimatum : «Ils m’ont dit : tu te fais soigner ou tu quittes la maison. J’ai choisi ma famille.»
La désintoxication, se souvient-il, a été très dure, aussi bien physiquement que moralement. Lorsqu’il intègre la communauté, il rencontre des hommes qui, comme lui, luttent pour s’en sortir. Ils lui donnent du courage, de la force et de l’espoir. L’espoir de croire que c’est possible de s’en sortir et de commencer une nouvelle vie. Il comprend que les blessures ne se soignent pas seul, mais à plusieurs. Grâce aux encadrants, Allan et Amba ainsi que tous leurs camarades apprennent à mieux se connaître, à croire en eux, en leur potentiel et en leurs valeurs. Des sentiments que la drogue avait fini par leur prendre. Petit à petit, ils retrouvent confiance et dignité.
La Communauté Thérapeutique Flamboyant, l’un des départements du Centre de Solidarité, accueille depuis 27 ans des hommes qui luttent contre l’addiction à l’alcool ou aux drogues. Le centre est axé sur la réhabilitation et la réinsertion à travers un programme basé sur le comportement, la responsabilité et l’autonomie. Mettre l’homme au centre de son histoire, voilà le cœur du programme qui est basé sur une thérapie profonde, le cheminement et la réconciliation avec soi-même, explique Brigitte Moutou, responsable de la communauté. Plusieurs parcours sont proposés aux personnes venues chercher de l’aide pour s’en sortir, leur permettant de se réadapter à une vie plus saine et équilibrée.
Outre la réhabilitation et la réinsertion, le Centre de Solidarité, placé sous la direction d’Edley Jaymangal, met aussi beaucoup d’accent sur la prévention et la conscientisation. Présent depuis 27 ans au sein de la société mauricienne, le centre a développé, au fil des années, plusieurs activités, dont le Day Care qui se trouve à Rose-Hill et qui accueille les personnes cherchant à sortir de l’alcool et de la drogue pour des thérapies individuelles, de groupe et des séminaires. On compte aussi, parmi leurs services, l’orientation spéciale, la réinsertion sociale, la thérapie familiale et de couple, et le counselling, entre autres. Tous ces exercices visent à éliminer la dépendance psychique et existentielle afin d’aider la personne à se mettre debout dans l’existence et a redécouvrir le vrai sens de la vie et de ses valeurs.
La vie communautaire et résidentielle au Flamboyant à Solitude, visant la réinsertion de ces personnes dans la vie de tous les jours, est la deuxième étape après la désintoxication médicale qui se fait au centre de Rose-Hill. L’approche y est beaucoup plus psychologique afin de les rendre responsables et autonomes. Le but est aussi que les bénéficiaires apprennent à gérer leurs sentiments, à faire un voyage dans le passé pour comprendre le pourquoi et le comment, et essayer de trouver des réponses à leurs questions. Comme le souligne Brigitte Moutou, chaque addiction cache une histoire et c’est précisément là-dessus qu’ils travaillent. Accompagnés par les encadrants, les bénéficiaires apprennent à vivre en communauté, à retrouver le sens des responsabilités, à renouer des liens, à trouver et accepter leurs valeurs. La vie en communauté est dans ces cas-là thérapeutique.
Comme à la maison et dans une famille, toutes les tâches associées à la maintenance d’une maison, incluant la préparation des repas et le ménage, sont effectuées par les résidents. Ils ont droit à de nombreuses activités comme l’atelier, le jardin où ils produisent leurs propres légumes, un élevage de poules pour les oeufs, des panneaux photovoltaïques pour produire leur propre électricité. Il y a aussi le vélo, la marche, la piscine afin de favoriser l’esprit d’ouverture. Tous les jours, les résidents se réunissent dans la grande salle du séjour pour réciter ensemble, main dans la main, la philosophie du centre. Des paroles fortes et lourdes de sens qui leur permettent d’avancer vers une vie meilleure.
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