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8 février 2015 15:43
On les appelle les élites du pays. Il y a plusieurs années, ce sont eux qui avaient été sacrés lauréats. Alors que les noms des nouveaux boursiers de l’État sont connus depuis lundi, ces anciennes têtes de lice du Higher School Certificate (HSC) ne peuvent s’empêcher de repenser au jour où ils ont eux-mêmes appris leur sacre. Certains s’en souviennent encore, comme si c’était hier, alors que d’autres, pour qui cela a été un épisode comme un autre de leur vie bien remplie, n’en gardent que de vagues souvenirs. En tout cas, tous s’étaient envolés vers d’autres cieux, avec leur bourse en poche, pour entamer des études supérieures. À l’issue de leurs années universitaires, il y en a qui ont préféré rester à l’étranger, mais une partie a choisi de rentrer à Maurice avec comme vision de contribuer à son développement.
Cette phrase peut sembler pour le moins pompeuse, mais pour Aruna Collendavelloo, elle a tout son sens. «Acquérir de l’expérience à l’étranger, c’est bien, mais il n’y a rien de plus valorisant que de travailler dans son propre pays», déclare-t-elle d’emblée. Ancienne élève du Queen Elizabeth College (QEC), elle était lauréate (Art Side) de la cuvée 1988 et a pu, grâce à sa bourse, faire des études en droit au Balliol College de l’Université d’Oxford, avant d’entamer une brillante carrière en Angleterre. «Je suis devenue solicitor en novembre 1995, après avoir entrepris mon articleship avec le cabinet d’avoués Sinclair Roche & Temperley à Londres.»
Des opportunités à l’étranger
À cette époque, elle reçoit une offre que tout jeune débutant aurait rêvé se voir proposer : «Alors que je m’apprêtais à quitter l’Angleterre, on m’a offert la perspective de travailler pour un cabinet d’avoués anglais, basé en France. J’ai préféré rentrer. Je n’ai jamais regretté ce choix. Cela dit, il est important d’acquérir une formation professionnelle avant de retourner travailler pour son pays.» Une fois de retour à Maurice, Aruna Collendavelloo sera avouée à la Cour suprême, avant de rejoindre le groupe Rogers, où elle est directrice exécutive, à la tête du département juridique.
Deux ans avant Aruna Collendavelloo, c’est Zeennat Aumeerally qui avait été proclamée lauréate du QEC. Issue d’une famille assez modeste – ses parents étaient enseignants d’école primaire –, elle avait bossé dur pour obtenir cette bourse et pouvoir faire des études tertiaires que ses parents n’avaient pas les moyens de lui payer. Elle avait choisi de devenir médecin. Sa carrière, elle l’a choisie pour pouvoir aider son pays et être au service des Mauriciens, mais aussi, dit-elle, pour «pouvoir faire la différence». Gynécologue reconnue, elle fait aussi beaucoup de travail social, notamment au sein de Mauriciens sans frontières, entre autres. C’est ainsi qu’elle a décidé de servir son peuple. Avec quelques autres anciennes élèves du QEC, elle a monté une sororité au sein de laquelle des old girls agissent comme mentors pour aider, soutenir, transmettre. «Il ne faut pas se le cacher, nous avons beaucoup gagné du système et aujourd’hui, on ne peut que passer le témoin aux autres», dit-elle.
Le Dr Zeennat Aumeerally n’aime pas les préjugés et étiquettes dont les lauréats sont souvent affligés. Face à un système qui divise, elle ne cache pas son goût pour l’excellence et l’élitisme : «S’il y a un meilleur système, qu’on nous le montre. Certes, il n’est pas parfait, mais nous devons être fiers des élites, les valoriser au lieu de les montrer du doigt. Ce ne sont pas des gens privilégiés. La plupart viennent de familles modestes et bossent dur pour y arriver. Il y a de la place pour l’excellence à Maurice, cela ne veut pas dire que ceux au bas de l’échelle seront mis de côté.» Zeennat Aumeerally se dit outrée des critiques que les lauréats essuient : «On parle d’eux une seule fois l’an et on trouve toujours le moyen de gâcher ce moment en disant que c’est normal qu’ils travaillent aussi bien, qu’ils ne connaissent que l’académique et rien d’autre, on les traite souvent d’égoïstes parce qu’ils ne reviennent pas au pays après leurs études.» De toute façon, dit-elle, être lauréat n’est pas une fin en soi, la bourse étant uniquement un passeport financier. La route pour le lauréat ne fait que commencer et il doit bosser dur : «Leur route, c’est de se parfaire individuellement et d’apporter des briques pour construire une société meilleure. La connaissance n’est rien si elle n’est pas utilisée à bon escient. Nous avons aussi le devoir de transmettre le savoir.»
Transmettre son savoir
Jean Pierre Lim Kong, lauréat du collège Royal de Port-Louis en 1988, lui, a toujours eu envie de rentrer au pays pour plusieurs raisons. D’abord, il a, dit-il, cette fibre patriotique en lui et ne s’imaginait pas faire sa vie dans un autre pays. Puis, il y avait des raisons familiales et personnelles : «Je voulais que mes enfants grandissent dans le cocon familial que j’avais connu.» Ainsi, après ses études en Maths and Management au King’s College, à Londres, il revient à Maurice et découvre que, dans son domaine, les opportunités et les débouchés ne manquent pas à Maurice. Après plusieurs expériences de travail, Jean Pierre Lim Kong, comptable de formation, intègre le CIM Group où il est aujourd’hui le Chief Finance Executive. «J’ai voulu revenir à Maurice pour y apporter ma contribution. Quand vous avez une certaine expérience du travail, les opportunités sont plus intéressantes et l’apport au pays est plus important.» De toute façon, pour Jean Pierre Lim Kong, il n’est pas indispensable d’être lauréat pour réussir dans la vie. «Quand je regarde autour de moi et dans le monde des affaires, les gens qui ont réussi ne sont pas tous des lauréats. Le succès vient avec le hard work, les efforts, la persévérance et la confiance en soi, que vous soyez lauréat ou pas, et c’est pour cela que nous avons un riche réservoir de compétences et de talents à Maurice.»
Les lauréats doivent-ils revenir servir leur pays ? Pas forcément, répond Joe-Ann Chavry. «Je trouve que c’est une lourde responsabilité et qu’on ne nous donne pas cette possibilité de servir notre pays justement.» Certes, elle dit être très reconnaissante d’avoir eu l’opportunité de recevoir une bourse, mais ce n’est pas spécialement pour se mettre au service de son pays qu’elle est rentrée après ses études en Media & Communications à l’Université de Melbourne : «Lorsque vous êtes lauréat et que vous recevez une bourse, on vous fait signer un accord selon lequel vous acceptez de revenir au pays après vos études. C’est donc pour honorer cet engagement que je suis revenue. Servir le pays… je trouve cela tellement cliché.»
Pour cette lauréate du Couvent de Lorette de Port-Louis de la cuvée 2006, rester en Australie n’a jamais été une option car, en sus de ce fameux contrat, vivre dans un autre pays n’est pas évident et d’ailleurs, elle n’a pas eu de coup de cœur pour ce pays étranger. «Je voulais revenir aux sources. Acquérir de l’expérience avant de poursuivre mes études.» En rentrant, Joe-Ann Chavry avait donc des rêves et des attentes, justement parce qu’elle avait été lauréate. Mais la jeune femme a vite été déçue : «Malheureusement, mon pays ne me donne pas la possibilité de le servir. Aucune instance du gouvernement n’a répondu à mes nombreuses demandes d’embauche. Contrairement à ce que je pensais, mon pays ne m’attendait pas à bras ouverts. Je me suis retrouvée à chercher un travail comme tout le monde. J’ai travaillé aussi dur que les autres et j’ai mis six mois à décrocher un job.»
Un choix personnel
Revenir à Maurice a donc été pour Joe-Ann Chavry un choix personnel, mais elle comprend ceux qui ne souhaitent pas rentrer au pays. Tout comme Jean Pierre Lim Kong qui se souvient d’un de ses amis qui avait fait médecine en Angleterre et qui était revenu à Maurice après 20 ans : «L’expérience qu’il a acquise au cours de toutes ces années et qu’il emmène aujourd’hui à Maurice est exceptionnelle. Ce n’est pas un drame si l’étudiant ne revient pas. Il peut toujours aider son pays dans le futur», dit-il. Zeennat Aumeerally aurait pu connaître un parcours semblable, car elle avait reçu une offre d’emploi qui lui aurait permis, dit-elle, de faire une belle carrière en Angleterre. Toutefois, elle n’a pas accepté, car elle était convaincue que c’est dans son pays que sa carrière prendrait toute sa valeur. Mais elle aussi comprend ceux qui décident de ne pas revenir. Après tout, dit-elle, «ils peuvent bien aider leur pays et l’honorer en étant loin».
James Chung, lauréat du Collège Royal de Port-Louis de 1993, vit au Singapour. Après ses études en Angleterre – il est détenteur d’un BSc Econometrics and Mathematical Economics de la London School of Economics et d’un MPhil Economics de l’Oxford University –, il est revenu à Maurice, mais n’y est resté qu’un an. «Il y a plusieurs raisons à ce choix. La première, c’était que mon épouse n’arrivait pas à s’adapter à la vie d’ici et la seconde, c’est que, pour moi, travailler à Maurice était frustrant. Le monde du travail est dominé par le népotisme et l’ancienneté au lieu des compétences et des capacités», explique-t-il.
Un épisode en particulier l’avait frappé alors qu’il travaillait à Maurice durant son court séjour : «Je me souviens d’une discussion à propos d’une promotion avec mon patron d’alors et il a passé son temps à m’expliquer pourquoi je ne pouvais être promu, notamment à cause de mon âge, j’avais 30 ans à l’époque.» Aujourd’hui, James Chung ne regrette pas son choix. Le Mauricien a travaillé comme Trader pendant 13 ans dans les banques américaines et européennes, avant de monter sa propre entreprise à Singapour. Bien qu’il ne soit pas physiquement à Maurice, c’est fièrement qu’il porte haut les couleurs de son pays dans le monde des affaires à l’étranger. Au final, n’est-ce pas là aussi la mission d’un lauréat ?
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