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Ces enfants sourds qui recouvrent l’ouïe : «L’entendre m’appeler maman est l’un des plus beaux jours de ma vie»

15 septembre 2015

Brice tout attentif dans les bras de sa mère Dominique.

«Elle avait 5 ans lorsqu’elle a parlé pour la première fois.» Cet instant, Sharmila s’en rappelle souvent. L’émotion, quand elle y repense, est toujours la même. Toujours aussi forte. Toujours aussi intense. Son vœu a fini par se réaliser et lorsque Slena parle pour la première fois, les mots sont difficiles et lourds. Un seul retient l’attention de sa mère. «Maman. C’était la première fois que je l’entendais m’appeler comme ça. C’était sans aucun doute l’un des plus beaux jours de ma vie», se souvient Sharmila Simathree qui ne peut cacher son émotion en se remémorant ce moment fort de sa vie. Cette joie, ce soulagement de savoir que son enfant peut parler, s’exprimer et avoir une vie normale, Dominique Tranquille l’a aussi ressenti. Son fils Brice, 6 ans aujourd’hui, arrive aujourd’hui à s’exprimer plutôt bien, alors qu’il est né avec une surdité profonde de 100 %. Pendant longtemps, ces deux mères ont rêvé d’entendre la voix de leur enfant, de les entendre dire maman comme tout autre enfant le ferait pour sa mère. Pendant plus d’un an après leur naissance, elles n’ont pas su que leur enfant était né avec un important problème de surdité. Puis, au fur et à mesure, les doutes se sont installés. 

 

Alors que les enfants commencent à dire leurs premiers mots entre 18 et 24 mois, Slena, qui approche les 2 ans, n’arrive toujours pas à parler. «Nous sommes allés voir un pédiatre et il nous a dit que certains enfants prenaient un peu plus de temps que d’autres pour parler», raconte sa mère. Malgré les mots rassurants du médecin, l’inquiétude des parents gagne du terrain lorsqu’ils remarquent que leur petite ne réagit pas aux sons. Lorsqu’ils l’appellent par son nom, Slena semble ne rien entendre. Lorsqu’une porte claque et les fait sursauter, elle reste impassible. «Je claquais les doigts près de ses oreilles, mais elle ne cherchait pas d’où venait le son. Il fallait que ce soit très fort pour qu’elle réagisse», se rappelle la jeune maman. La communication entre eux est difficile : «Elle pleurait et on n’arrivait pas à comprendre pourquoi. On lui parlait et c’est elle qui ne nous comprenait pas. Elle criait beaucoup. Elle était nerveuse.»

 

Dominique Tranquille n’a jamais compris pourquoi ni comment son fils est né sourd. Elle se dit que le fait qu’il soit né à six mois de grossesse et qu’il ait passé plus de trois mois dans un incubateur a peut-être eu une incidence sur son handicap. «Mon époux et moi, nous n’avons pas tout de suite remarqué qu’il n’entendait pas. Et puis, petit à petit, on a vu qu’il n’avait aucune réaction quand on l’appelait, quand on faisait du bruit pour qu’il nous cherche. Nous avons décidé d’attendre le 31 décembre pour voir comment il réagirait au son des pétards», se souvient la maman. Le test sera révélateur parce qu’au son des pétarades, Brice n’entend rien puisqu’il est sourd à 100 %. Comme lui, Slena est passée par un test de dépistage de surdité, connu comme Brainstem Evoked Response Audiometry (BERA). Slena est atteinte de 70 % de surdité d’un côté de l’oreille et de 95 % de surdité de l’autre. Lorsque la nouvelle tombe, ses parents sont sous le choc.

 

Parcours du combattant

 

Sa surdité est d’origine génétique, l’oncle de Kevin Simathree étant lui aussi sourd. Pour Sharmila et son époux, toutes les pièces du puzzle finissent par s’emboîter. Le fait qu’elle soit aussi souvent énervée, qu’elle ne parle pas et que la communication entre eux pendant tout ce temps ne soit pas passée. Commence alors pour le couple un véritable parcours du combattant pour que Slena puisse avoir les soins appropriés. «Elle a commencé par mettre un appareil auditif, mais ça ne lui a été d’aucune aide», souligne son père. Muette et sourde, son apprentissage se fait beaucoup plus lentement. Face à son handicap, il y a aussi le regard des autres que Sharmila a du mal à supporter : «Elle criait beaucoup et se mettait souvent à pleurer. Elle essayait de nous dire des choses qu’on n’arrivait pas à comprendre. Elle se mettait alors en colère, commençait à nous pincer, à me tirer les cheveux. Les autres pensaient qu’elle était simplement une enfant mal élevée. Il y avait des commentaires désobligeants qui font mal au cœur.» 

 

Motivés par l’envie de rendre la vie de leur enfant aussi normale que possible, de lui donner la possibilité d’entendre et de parler, les Simathree et les Tranquille se lancent alors à corps perdu dans les recherches pour comprendre le mal de leur enfant et les possibilités qui s’offrent à eux. Ils finissent par entendre parler de l’implant cochléaire adressé aux personnes souffrant d’une surdité profonde à sévère. Inopérable à Maurice, ils doivent se rendre à l’étranger pour cette opération chirurgicale qui consiste à insérer un appareil ultra-miniaturisé visant à restaurer l’audition à l’intérieur du cerveau. Cet appareil se compose d’un microphone qui capte les signaux sonores avant de les transmettre à un processeur vocal qui les traduira et les transmettra à des électrodes capables de stimuler le nerf auditif. Pour que Slena et Brice puissent entendre, l’opération est la seule issue.

 

«C’était une période très difficile de notre vie qui ne tournait qu’autour de Slena et de son handicap. C’était un bouleversement total. Il y a eu beaucoup de sacrifices. Nous avons eu l’aide financière de l’État et nous avons dû faire des pieds et des mains pour récolter le maximum de fonds afin de payer l’opération», confie Sharmila. En 2012, Slena, alors âgée de 6 ans, et ses parents s’envolent finalement pour la France où ils passent les trois mois nécessaires pour les soins, la programmation de l’appareil, l’adaptation, la thérapie et le suivi. Son adaptation est un peu plus lente, car l’opération, pour de meilleurs résultats, doit se faire avant 5 ans pour un enfant. 

 

Brice, lui, a un peu plus de 2 ans lorsqu’il se rend en Inde avec sa mère pour se faire opérer.  «Il a entendu pour la première fois», se souvient Dominique. Le changement a évidemment été radical. Brice a tout de suite bien réagi à l’implant. Sa première réaction a été bouleversante pour Dominique : «Je l’ai entendu m’appeler maman pour la première fois à 6 ans.» Un mot tellement simple et en même temps tellement profond qui touche irrémédiablement le cœur de Dominique et qui lui redonne le sourire et l’espoir.

 

Depuis, la vie de Slena et Brice, qui sont devenus amis à travers leurs parents qui se sont battus pour eux ensemble, n’est plus la même. «Il a fallu à Slena beaucoup de temps avant de pouvoir s’adapter, mais sa vie a complètement changé. Aujourd’hui, elle essaie de parler et elle y arrive petit à petit. Elle peut même lire. Nous la comprenons de mieux en mieux. Elle est aussi beaucoup plus calme», confie Kevin qui est en admiration quand sa petite se met à lire à haute voix la prière du soir. Brice est tout aussi loquace. Ensemble, ils ont des conversations animées qu’eux seuls peuvent comprendre. Un pas de géant pour Slena et Brice qui ne peuvent que sourire à la vie.

 


 

Une association pour le bien-être des enfants sourds

 

Slena et Brice font partie des premiers enfants mauriciens à avoir eu recours à l’implant cochléaire. Après ce moment difficile de leur vie, Kevin et Sharmila ainsi que d’autres parents ont décidé de créer la Cochlear Implant Association pour venir en aide aux enfants qui naissent avec un problème de surdité et qui doivent avoir recours à l’implant cochléaire. Bien que ce soit la seule solution pour les enfants qui naissent avec une surdité profonde, cette opération n’est pas un remède miracle. Tout se joue, souligne Kevin, après l’opération, car c’est la période la plus délicate du processus. Outre le suivi médical, la rééducation et la thérapie orthophonique sont primordiales pour l’adaptation de l’enfant avec son nouvel appareil et le développement de son langage. Hors, c’est à ce niveau que  bloque le service hospitalier, dit-il. «L’enfant avec un implant a besoin de plusieurs séances de thérapie par semaines pour qu’il puisse comprendre l’appareil, développer son sens de l’audition et du langage. Sans ce travail, il serait incapable de parler. L’hôpital nous donne une séance de 15 minutes une fois par mois seulement, ce qui n’est pas normal», explique-t-il.

 

Après avoir surmonté les difficultés pour rendre l’opération possible, le combat ne s’arrête pas là pour les parents. L’éducation proposée à ces enfants, poursuit Sharmila, n’est pas adaptée à leurs besoins : «Avec leur implant, ils n’ont plus de handicap. Cependant, leur apprentissage ne peut pas se faire normalement. Ils ont besoin d’une attention particulière parce qu’ils apprennent plus lentement.» L’une des principales vocations de l’association est donc de militer pour que les droits de ces enfants soient respectés et qu’ils bénéficient de toutes les facilités nécessaires à leur développement. L’autre vocation de la Cochlear Implant Association est d’informer au maximum la population pour que les parents qui se retrouvent dans la même situation puissent réagir le plus tôt possible et savoir vers qui se tourner. «Souvent, les parents ne savent pas ce que c’est. Une fois la surdité détectée, ils ne savent pas quoi faire. Peu ont entendu parler de l’implant cochléaire aussi. Tout ça leur fait perdre du temps et augmente le risque que l’opération ne soit pas réussie, car l’âge  limite est de 5 ans», déclare Kevin.

 

C’est dans cette optique que l’équipe de l’association organise, le 27 septembre, une journée d’information au Bahai Centre à 14 heures. Un médecin sera sur place et une causerie aura lieu afin d’informer au maximum les Mauriciens. Kevin invite donc tous les Mauriciens qui veulent en savoir plus de venir les rejoindre : «Nous espérons aussi que les parents qui sont dans la même situation que nous, dont les enfants portent un implant, viennent nous rejoindre au sein de l’association afin que nous puissions unir nos forces pour eux.»

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