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Par Sabine Azémia
30 mars 2015 15:20
Il est 9 heures. Nous sommes au centre Autisme Maurice, à l’avenue Berthelot, Quatre-Bornes. Les petits élèves, âgés de 5 à 12 ans, sont prêts à attaquer une nouvelle journée. Les activités vont bientôt commencer et ils s’activent, encadrés de huit éducatrices, dans leur salle de classe «cosy». Au premier abord, ce sont des enfants comme les autres, mais au fur et à mesure, alors que certains semblent plus ou moins joyeux, d’autres semblent agacés, secouent la tête, se réfugient dans leur monde. La présence de gens qu’ils ne connaissent pas dans leur environnement y contribue certainement. Mais les éducatrices les rassurent très vite et font tout pour aider tous leurs petits protégés à bien commencer leur journée.
Au centre, chaque enfant a un emploi du temps propre à lui. «On leur permet de développer une certaine motricité, comme ils sont tous différents, ils ont tous une attention différente», explique Sheetul Ratinon, une éducatrice, qui a cinq enfants sous sa responsabilité. Un petit bonhomme de 5 ans, qui reprend le chemin de l’école après une semaine de congé suite à une conjonctivite, semble un peu perdu et a besoin d’une attention particulière. «Il arrive difficilement à reprendre goût à l’école. Il est agité et nous essayons de l’aider à s’adapter», confie Sheetul.
Les éducatrices ont du pain sur la planche. «Notre quotidien n’est jamais monotone. C’est une nouvelle aventure tous les jours. Nous devons nous adapter à eux, les comprendre, leur apporter ce qu’ils recherchent, être vraiment à l’écoute pour qu’ils se sentent bien dans leur peau», reconnaît Sheetul. Afin de leur permettre de mieux s’intégrer dans la société, les éducatrices offrent «une attention particulière pour chaque travail qu’ils font et tout cela se fait dans la gaieté et la bonne humeur, un tableau de récompenses avec des pointages est utilisé pour.»
Développer leur créativité
Au centre, pour communiquer, c’est souvent des consignes visuelles comme des pictogrammes. Pour permettre aux enfants de mieux s’intégrer et de mieux communiquer, plusieurs images montrant des activités sont collées sur un tableau. «On fait de notre mieux pour les aider à développer leur sens cognitif, leur motricité et à être autonomes. On les initie à l’écriture, aux couleurs, aux contes afin de développer leur créativité.»
Dans la salle suivante, six garçons assis autour d’une table jouent avec des Lego. Certains sont dans leur monde tandis que d’autres semblent pensifs. Adrien, 10 ans, construit une maison avec les Lego, tandis qu’un de ses petits camarades de 8 ans ne s’intéresse pas vraiment à cet exercice. Plongé dans ses pensées, celui-ci fixe ses camarades. «Ses centres d’intérêt sont restreints, il adore la pâte à modeler», explique Corine Groeme, éducatrice. Toutefois, l’interaction est visible entre Gary et ses amis.
Malgré les nombreux défis, Lorine Donald, autre éducatrice au centre, adore son métier tout comme ses collègues. «C’est ma première expérience dans le domaine et, après cinq ans, je peux dire que c’est très enrichissant pour moi. Ce qui les différencie des autres, c’est qu’ils ont des habitudes précises, il ne faut pas casser la routine», explique Lorine.
C’est quand ils n’arrivent pas à se faire comprendre que les crises surgissent, il faut tout mettre en visuel pour qu’ils arrivent à mieux s’exprimer. Ce qui facilite aussi le quotidien, c’est une routine plastifiée avec des pictogrammes qui donnent l’aperçu de la journée. Le but des éducatrices est d’intégrer chaque élève dans les différentes situations. «Plusieurs activités sont organisées afin que chaque enfant partage un moment d’interaction, telles que la peinture, le puzzle, les mathématiques ou des sessions de pâte à modeler», relate Lorine.
Les plus grands – cinq adolescents et une jeune adulte – évoluent, eux, dans un tout autre monde au centre Autisme Maurice, à Beau-Bassin. Un nouveau projet a été mis en place depuis près d’un an, dans une atmosphère plus vivante et dynamique, afin de leur permettre d’être autonomes. Plusieurs activités sont ainsi organisées par trois éducateurs : des sessions de peinture abstraite, de la sculpture, de la cuisine, du jardinage, entre autres.
Comme les petits, ces grands élèves ont besoin de beaucoup d’attention et d’affection. «On essaie autant que possible d’être à l’écoute, car si on les ignore, ils crient pour se faire entendre», lance Vincent Rosemond, éducateur au centre de Beau-Bassin. La meilleure chose à faire pour comprendre un enfant autiste, c’est «de l’observer pour mieux le connaître, ce qui demande beaucoup de patience et de compréhension».
Trouver des solutions pratiques est nécessaire dans le quotidien des éducateurs pour mieux interpréter les enfants atteints d’autisme et leur redonner l’espoir de vivre une vie quasi-normale reste l’objectif principal d’Autisme Maurice.
Le combat des parents
Sarika Vilar, 34 ans, est femme au foyer. Son fils Aaron, 6 ans, est autiste et elle avoue que c’est un vrai combat au quotidien. «C’est mon fils et je l’aime. Mais par moments, c’est très dur pour nous. Il faut le surveiller en permanence, le calmer quand il a des crises. Il faut beaucoup de courage, de persévérance et de soutien pour avancer», confie Sarika. Son époux et elle ont appris que leur fils souffrait de ce mal alors qu’il avait 2 ans. «Je ne connaissais pas vraiment l’autisme. Aaron avait des problèmes de comportement. Personne ne savait ce qu’il avait. Il vivait dans sa bulle. Après la prise en charge, il a beaucoup changé. Mais le regard des autres nous affecte beaucoup. Même dans les cliniques, beaucoup de personnes ne comprennent pas ce que c’est l’autisme. On l’accompagne comme il faut», dit cette maman.
Un encadrement est toutefois important, poursuit-elle. «Selon moi, tout enfant a droit à l’éducation. La prise en charge est importante pour son épanouissement personnel. On aimerait avoir le soutien du gouvernement, car c’est un handicap. Les parents ont vraiment besoin d’accompagnement. Car c’est très difficile pour certains dont les enfants ne sont pas suivis. Ils ont besoin de thérapies et ça coûte. Je connais des parents qui ont deux enfants autistes et c’est très difficile pour ces familles.»
Eddy Céline, père de Shaun, reconnaît aussi que le quotidien n’est pas facile. «Nous avons appris qu’il était autiste en allant voir un médecin. Son développement tardait par rapport aux autres enfants. Nous nous investissons à 200 % pour aider notre fils. Tout se fait par habitude au quotidien, à travers ce qu’il entend, voit et rencontre. Il doit toujours être assisté de la famille. Un enfant autiste a ses repères, mais comme il est rempli d’énergie, il faut vraiment de la patience pour l’entourer. On ne peut pas le laisser seul. Il grandit et cela devient de plus en plus difficile. Par exemple, quand il est devant la télé ou devant l’ordinateur, on doit s’assurer qu’il se porte bien. On doit tout faire pour lui, il est assisté dans tout ce qu’il fait.»
Lui aussi est d’avis qu’une structure adaptée doit être créée pour accueillir plus d’enfants autistes. «On souhaite avoir plus de soutien pour son épanouissement. Mon fils a été à l’APEIM pendant trois ans et aujourd’hui, on se bat au quotidien pour que l’État crée un autre établissement pour les enfants souffrant de ce mal.»
Questions à… Joffrey Bodet, Psychologue au centre CEDAM - Autisme Maurice
Comment aider un enfant autiste à mieux s’intégrer dans la société ?
La chose la plus importante est la prise en charge précoce. Un diagnostic précis doit être posé le plus tôt possible pour savoir si l’enfant est autiste. Il faut faire des évaluations spécialisées qui se font sur deux demi-journées. Une fois que le diagnostic est fait, la prise en charge, comptant l’orthophonie, l’ergothérapie, la psychomotricité, va aider l’enfant à se développer. Les prises en charge doivent être intenses pour aider l’enfant à développer son niveau de communication, son niveau de socialisation, son niveau de motricité pour qu’il puisse s’adapter plus efficacement à son environnement.
Peuvent-ils intégrer une école comme les autres enfants ?
Les enfants autistes ne peuvent pas intégrer un cursus scolaire classique, ils ont besoin de classes spécialisées avec des professeurs formés pour enseigner à ces enfants. Difficultés à communiquer, à socialiser, à regarder dans les yeux : ils n’aiment pas le contact avec les autres. Ils sont très sensibles à la routine. Il est difficile de donner un profil bien défini de tous les enfants autistes.
Combien de personnes sont atteintes d’autisme à Maurice ?
En 2014, l’Organisation mondiale de la Santé a évalué la prévalence de l’autisme. Et sur un nombre de 100 naissances, il y a un enfant autiste ou ayant des troubles apparentés à l’autisme. Maurice compte entre 10 000 et 12 000 autistes de tout âge. L’autisme n’est pas une maladie, c’est un trouble ou un syndrome : on ne guérit pas de l’autisme, on peut seulement l’évaluer. En revanche, c’est un handicap à vie qui nécessite une bonne compréhension des symptômes et une prise en charge efficace. Celle-ci est très importante pour une bonne intégration dans la société.
Est-ce qu’ils peuvent travailler après ?
Cela dépendra du niveau intellectuel. Cela concerne 20 % à 25 % des autistes : il faut avoir toute la prise en charge.
Des conseils pour les parents d’enfants autistes ?
Si vous observez des difficultés chez les enfants, allez voir des spécialistes. Plus l’enfant est pris en charge rapidement, mieux il va se développer. Il vaut mieux aller voir un spécialiste. Si jamais un diagnostic est posé, il faut s’entourer de personnes qui s’y connaissent et, à la maison, travailler sur le développement de l’autonomie, du cadre éducatif et de la discipline. Il a besoin de connaître certaines techniques spécialisées. Les parents sont accueillis ici pour mieux encadrer leurs enfants.
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