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27 janvier 2016 18:34
Il est 10 heures et, sous la varangue, un brouhaha se fait entendre. Ils sont là, une quinzaine d’enfants répondant avec enthousiasme aux questions de Michelle, une de leurs accompagnatrices. Cette semaine, les cours ont repris à la ferme pédagogique de Verdun, après les longues vacances de fin d’année. Les enfants sont visiblement heureux d’être de retour et ne se font pas prier pour participer aux activités proposées. En même temps, rien de plus normal. Ici, c’est un peu comme leur maison. Ils s’y sentent bien, entourés et surtout en sécurité.
Ce lieu pas comme les autres a été lancé par l’ONG Safire (Service d’Accompagnement, de Formation, d’Insertion et de Réhabilitation de l’Enfant) en 2014, afin d’accueillir les enfants de rue – aujourd’hui couramment appelés les enfants en situation de rue –, de les soutenir et de les accompagner, de trouver avec eux un chemin de vie autre que la rue. S’ils sont ici et pas dans une école normale, c’est parce qu’ils ont connu, depuis leur plus jeune âge, un parcours différent des autres. Issus de milieux vulnérables où le tissu familial est souvent fragile, ils ont souvent été très peu scolarisés, ayant du mal à s’adapter au système scolaire.
Dépourvu d’un guide, ils vivent souvent dans un environnement familial précaire où l’importance de l’éducation, partie intégrante des droits des enfants, est oubliée. Seuls à la maison, ils sont livrés à eux-mêmes. Ils traînent les rues, sont exposés à toutes sortes d’influences et de dangers comme la drogue, l’alcool, la prostitution. Certains, sans encadrement et sous l’emprise de personnes malveillantes, sont exploités. D’autres tombent dans la délinquance et la suite est, dans bien des cas, prévisible.
Les choses auraient pu mal tourner pour Jonathan*. Pendant plus d’un an, alors qu’il était âgé de 9 ans seulement, il a passé ses journées à errer ici et là : «J’étais en Std IVlorsqu’on m’a mis à la porte de l’école. Je me bagarrais trop avec les autres enfants. Mes parents m’ont dit qu’on allait trouver une autre école, mais ce n’est jamais arrivé. Je passais mes journées à errer dans la maison, à traîner dans la rue. J’allais tous les jours au centre de jeunesse de la localité pour jouer. Je ne faisais rien d’autre.»Un jour pourtant, le destin de Jonathan change grâce à une rencontre avec l’une des éducatrices de Safire. C’était il y a quatre ans. «Comme tous les jours, je me suis rendu au centre de jeunesse pas trop loin de chez moi et Michelle accompagnait les enfants de l’association pour une journée récréative. Je crois qu’elle avait fini par me repérer et elle m’a demandé pourquoi j’étais là au lieu d’être à l’école»,se souvient celui qui est aujourd’hui un ado.
Cette rencontre, il s’en rappelle aujourd’hui encore comme un tournant dans sa vie. Une vie qui n’a plus rien à voir avec celle qu’il menait auparavant, avant que l’équipe de l’ONG le prenne sous son aile. Depuis qu’il fréquente la ferme pédagogique de Verdun, créée comme une alternative pour les enfants qui ne s’adaptent pas au système scolaire lambda, sa vie n’est plus la même. Finies les journées à ne plus rien faire. Aujourd’hui, avec ses amis, il apprend non seulement à lire et à écrire, mais participe aussi à des activités artistiques qui ont pour but de leur permettre de s’épanouir et de développer leur potentiel ainsi que leur talent.
Qui dit ferme, dit agriculture. Et Jonathan, comme tous les autres enfants de l’association, en sait quelque chose. Ici, dit-il, il a appris bien plus de choses qu’il ne l’aurait imaginé : «J’ai appris à planter, à m’occuper du jardin, à faire un peu de mécanique et même à conduire un tracteur. J’ai aussi appris la discipline, à ne pas dire des jurons et à ne pas me bagarrer avec les autres.»Même s’il n’arrive pas à mettre des mots sur ce qu’il vit, Jonathan a bien conscience que cette expérience a définitivement changé sa vie. «Je ne sais pas encore ce que je veux faire plus tard, mais je sais que je veux faire quelque chose de ma vie. Ça, c’est sûr !»confie-t-il.
Jessica*, elle, a un rêve. C’est tout nouveau, car avant, elle ne se voyait pas ailleurs qu’à la maison. Mais depuis qu’elle fréquente le centre, elle aimerait faire quelque chose de sa vie. Elle se voit bien devenir coiffeuse dans le futur. C’est son projet de vie. Il y a encore quelques mois, l’adolescente passait ses journées à ne rien faire, sans aucune perspective pour l’avenir. Les éducateurs de Safire ont su déclencher chez elle ce petit déclic. Elle qui a quitté l’école il y a plusieurs années a fini par comprendre qu’elle peut entreprendre des choses et les réussir : «Avant, je ne savais ni lire ni écrire. Maintenant, j’arrive à me débrouiller. Ce qu’on fait ici est très intéressant et nous fait avancer.»
Offrir de nouvelles perspectives à ces enfants qui ont trop souvent perdu envie, confiance et estime de soi, donner un nouveau sens à leur vie : c’est la mission de Safire qui permet à l’enfant de se développer à son rythme grâce à un programme taillé sur mesure. Yash, 17 ans, est conscient que, sans les éducateurs de rue sur qui il est tombé alors qu’il flânait dans la rue comme à son habitude, sa vie ne serait pas la même aujourd’hui.
C’est après son échec au CPE qu’il décide d’arrêter l’école. Ses parents ne s’en inquiètent pas et le laissent faire. Tous les jours, il ne fait rien de ses journées, arpente les rues de la localité avec ses amis, va à la plage alors qu’il devrait être sur les bancs d’une école. Un jour, lorsqu’il rencontre un des éducateurs de rue par hasard, il se laisse convaincre par l’idée de faire un essai à la ferme pédagogique de Verdun. Depuis, Yash est complètement différent de ce qu’il était auparavant. «Je me sens beaucoup plus à l’aise ici qu’à l’école. Ici, je m’occupe des poules et du jardin, mais j’apprends aussi à lire et à écrire. Avant, je ne faisais que traîner. Aujourd’hui, ce n’est plus pareil»,dit-il.
Bientôt, il espère pouvoir se lancer dans une formation professionnelle. Depuis quelques années, il s’est mis en tête de travailler dans l’aluminium. En attendant, Yash s’apprête à vivre une expérience incroyable. Lui qui n’a plus mis les pieds à l’école depuis longtemps n’imaginait pas un jour prendre l’avion et de surcroît se rendre à l’autre bout du monde. Pourtant, c’est ce qu’il s’apprête à vivre en mars prochain.
Avec trois autres enfants de Safire, il s’apprête à se rendre au Brésil, à Rio, pour participer à un congrès international sur le droit des enfants. Celui-ci aura lieu dans le cadre des Jeux olympiques. Le jeune homme a encore du mal à réaliser qu’il s’apprête à partir à l’autre bout du monde. Pour lui, ce sera l’expérience d’une vie, il en est persuadé.
*Prénoms fictifs
Un travail de longue haleine. Huit mois d’enquête, de recherche et d’analyse ont permis à l’équipe de Safire, en 2012, d’établir le nombre d’enfants de rue présents à Maurice. Une première du genre qui a un objectif précis : définir et quantifier les enfants de rue. Les chiffres de cette étude, menée en collaboration avec la Mauritius Family Planning and Welfare Association, démontrent qu’ils sont 6 780 enfants à être en situation de rue. La plupart de ces enfants sont âgés entre 11 et 16 ans, ne vont pas à l’école et travaillent dès l’âge de 13 ans. Pire, ils sont souvent victimes de maltraitance, d’abus sexuel ou sont exposés à la drogue et l’alcool. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ces enfants ont un toit où dormir. Mais ils sont en situation de rue, c’est-à-dire qu’ils y passent leurs journées pour diverses raisons telles que l’absence ou le lâcher prise des parents, une situation économique et familiale difficile. Ils vivent alors en marge de la société, incapables de s’y intégrer.
Leur cause est vouée aux enfants qui sont dans la rue. Depuis dix ans, l’équipe de l’association Safire se bat pour offrir à ces enfants une protection contre les dangers qui les guettent, de meilleures conditions de vie et un meilleur avenir. Contre la drogue, l’alcool, la prostitution, l’exploitation sexuelle et le travail abusif auxquels ils sont exposés dans les rues, l’ONG se dresse comme un rempart. Actuellement, 175 enfants sont pris en charge par l’association.
Une fois les enfants identifiés, les éducateurs de rue, explique Edley Maurer, responsable de l’ONG, commencent un gros et long travail de confiance avec eux. «Le tissu familial est souvent brisé et les enfants se retrouvent négligés. L’école, pour beaucoup, est un problème. Arrivés en CPE, ils n’en peuvent plus et jettent l’éponge. Et, comme à Maurice, ce n’est qu’à 16 ans qu’on peut aspirer à une formation professionnelle, ils passent leur temps à flâner dans les rues, à la merci des dangers qui s’y trouvent»,explique-t-il.
Le but du travail de Safire est ainsi de créer en premier lieu un lien entre l’enfant et l’éducateur. «Il y a toute une approche pour les aborder dans son environnement. Notre premier objectif de le mettre à l’aise, de créer un lien entre nous et l’enfant afin de construire une relation de confiance car ces enfants ont connu de nombreux échecs. Ils sont déconnectés des institutions et ont en eux un vide affectif. Nous sommes là justement pour créer un rapport dans ce vide afin de le ramener et bâtir avec lui un projet de vie»,explique Edley Maurer. Ce qui va mettre en place un programme individualisé pour permettre à la réhabilitation et à la réinsertion de l’enfant. Ensuite, il est question de l’accompagner car, dans bien des cas, il est en manque de repères, dépourvu de guide familial. Tout ceci a un but, celui de les réhabiliter, de permettre une réinsertion sociale, de faire naître en eux une estime de soi, de faire d’eux des citoyens responsables et autonomes.
La ferme pédagogique de Verdun, qui accueille 20 enfants par session et dont le programme dure un an, est une alternative pour ceux qui ne peuvent pas s’adapter au système éducatif normal. «Ils sont accompagnés et entourés. Notre système est basé sur l’agriculture, mais pas que. Ils ont des classes d’écriture, de lecture, des activités artistiques et culturelles au quotidien. Cela leur permet d’apprendre et de se développer à leur rythme»,souligne Edley Maurer. Outre ce programme de réhabilitation et de réinsertion, un autre important volet du travail de Safire est consacré à la prévention des dangers qui guettent ces enfants et à la promotion des droits de l’enfant. L’ONG, explique ce dernier, travaille actuellement sur un nouveau projet qui s’intitulera le Breakaway Homeet qui devrait voir le jour bientôt. Il s’agit d’un centre qui accueillera les enfants pour un programme résidentiel.
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