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4 août 2015 17:59
Parce qu’elle bouleverse l’ordre des choses. Parce qu’elle va à l’encontre même du sens de la vie. La mort d’un enfant est un arrachement brutal, un bouleversement, une déchirure, qui laissent à jamais les parents meurtris. Il y a aussi, dans la douleur, la notion d’une séparation qui laisse comme amputé d’une partie de soi, le sentiment d’avoir perdu la seule chose pour laquelle on se bat et pour laquelle on pourrait soulever des montagnes. La perte d’un enfant est un événement traumatisant pour un parent. La mort de cet être si cher leur est tellement inconcevable qu’ils n’arrivent pas à l’accepter et à l’intégrer dans leur esprit. Au fil des années, de nombreux parents qui ont fait face à cette terrible épreuve arrivent à survivre. Mais au fond, la blessure est indélébile.
Ce matin-là était un matin comme les autres chez la famille Sanne. Après avoir pris le petit déjeuner et préparé ses deux fils, Anushka Sanne sort pour accompagner ses enfants à leur cours de catéchèse. Adriano, 9 ans, et Lucas, 8 ans, la devancent un peu. «Je verrouillais la porte quand une voisine est venue m’appeler. Quand je suis arrivée sur la route, mon fils était allongé sur le sol», confie-t-elle. Après, les images se brouillent dans sa tête. Son fils a été percuté par un camion. Le choc est tellement puissant qu’Anushka perd connaissance sur l’asphalte. Lorsqu’elle reprend connaissance, c’est pour sentir le sol frémir sous ses pieds. Lorsqu’on lui apprend que son fils de 9 ans seulement n’a pas survécu à l’accident, elle plonge dans l’abîme.
À chaque fois qu’elle en parle depuis ce terrible jour où son fils lui a été arraché, Anushka est incapable d’aller plus loin dans ses souvenirs. «Mon monde s’est écroulé. Il n’avait que 9 ans et il était mon bras droit», lâche-t-elle entre deux sanglots.
Pourquoi moi ?
Faire le deuil de son enfant, de cet être qu’on a tant voulu et tant espéré est impossible pour les parents. Au chagrin s’ajoutent le déni, la colère, le désespoir, l’incompréhension et un profond sentiment d’injustice. Pourquoi lui ? Pourquoi moi ? Ce sont des questions qui reviennent sans cesse dans leur esprit. Ces interrogations ont longtemps occupé l’esprit de Maliga Armoogum. Encore aujourd’hui, elle se surprend parfois à penser à sa fille lorsqu’elle regarde ses deux autres enfants. Elle aurait eu 23 ans si, à quelques semaines de l’accouchement, les choses ne s’étaient pas compliquées. «C’était en 1992. J’étais enceinte de mon deuxième enfant. La grossesse se passait bien. Mon mari et moi, nous étions très heureux. Nous avions tout préparé pour accueillir notre petite fille, mais la suite ne s’est pas passée comme prévu. J’ai fait une tension de grossesse», raconte-t-elle.
Lorsqu’elle se met à saigner au huitième mois de grossesse, Maliga prend peur et se rend directement en clinique. L’accouchement est déclenché, mais elle ne redoute pas le pire. Un enfant qui naît avant terme n’est plus vraiment un problème. Mais voilà, lorsque son médecin lui apprend qu’elle a accouché d’un mort-né et que le bébé, dû à des complications, est mort depuis 72 heures dans son ventre, Maliga n’en croit pas ses oreilles. La nouvelle lui fait l’effet d’une gifle : «Je n’arrêtais pas de me demander pourquoi ça avait mal tourné. J’avais porté cet enfant avec tout mon amour. C’était très dur.»
Dans ces moments-là, le soutien de la famille et des proches apporte du réconfort. Le retour à la vie active semble impossible, mais lorsque les parents endeuillés doivent s’occuper du reste de la famille, ils s’arment de courage et se battent pour surmonter leur peine. «Je devais rester forte pour mon premier enfant. Et puis, un an plus tard, je suis tombée enceinte à nouveau. Je pense souvent à cette fille que j’ai perdue et, avec mes enfants, on en parle souvent.»
Avoir un autre enfant semble pour le moment une idée inconcevable pour Cristelle Tan Yan. La douleur est encore trop forte, trop présente. La joie de devenir mère pour la première fois a vite cédé la place à la tristesse et au désarroi. En février, la jeune femme met au monde Kimberley qui naît avec une grave malformation due à la maladie spina bifida. À son réveil après la césarienne, la nouvelle de la maladie de sa fille la traverse comme une onde de choc.
Lorsqu’elle la voit pour la première fois dans les soins intensifs, Cristelle ne fait pas attention au «gros trou qui se trouve au niveau du bas de sa colonne vertébrale». Elle s’attarde au contraire sur son visage. Une fois dans la salle postnatale, Cristelle ne peut freiner les larmes qui lui montent aux yeux : «Je voyais toutes ces femmes qui avaient accouché comme moi et qui tenaient leur enfant dans les bras alors que mon enfant était loin de moi.»
Pendant les mois qui suivent, la petite subit plusieurs importantes opérations. Cristelle et Christian se rendent tous les jours à l’hôpital. Quand son état le lui permet, ses parents la ramènent à la maison : «Elle a dû rester à la maison un mois maximum. À chaque fois qu’elle venait, il fallait repartir à cause des complications de santé.» La maladie de Kimberley lui semble comme une terrible injustice. «Je n’arrêtais pas de me demander pourquoi mon bébé était malade. Toutes les mamans ramenaient leur enfant à la maison, mais moi je n’y avais pas droit», se lamente la jeune femme.
«Le pire souffrance de ma vie»
À la cinquième opération, la petite est au plus mal. Le médecin convoque les parents pour leur dire qu’il y a peu de chance qu’elle survive. Pour eux, c’est le choc. Mais ils refusent d’y croire. Une semaine plus tard, le petit ange s’envole. Ses parents sont dévastés. «Mon bébé a lutté de toutes ses forces pendant cinq mois pour vivre. Mais la maladie l’a emportée. C’est tellement injuste. Je n’arrête pas d’y penser. Elle me manque. C’est tellement difficile. Perdre mon enfant est la pire souffrance de ma vie», confie Cristelle qui a le sentiment d’avoir perdu une partie d’elle-même.
Face à l’adversité et aux blessures, seul le temps peut guérir. En attendant que le temps atténue sa souffrance, il n’y a pas un jour où Yvon Rateau ne pense pas à son fils Jean-Yves. À 31 ans, il était un jeune homme actif, jovial et un grand blagueur. Père et fils travaillaient ensemble sur l’une des propriétés sucrières du Sud et le lien qui les unissait s’en était trouvé renforcé. Pourtant, le sort vient jouer les trouble-fêtes en décembre dernier. Le scénario de ce terrible jour ne cesse de tourner dans sa tête. Il est à la maison lorsqu’une de ses connaissances se précipite chez lui pour lui dire qu’il y a eu un accident et qu’il pense que Jean-Yves, qui était à motocyclette, est impliqué.
Pour Yvon et son épouse, c’est la panique. Une fois sur place, Yvon sent ses jambes défaillir : «J’ai vu mon fils allongé sur l’asphalte dans une mare de sang. Il était dans un piteux état. À ce moment-là, j’ai pensé au pire» Une fois aux urgences, les choses ne s’arrangent pas. «Le médecin m’a dit que son état était critique, qu’il n’y avait pas d’espoir, mais que la prière pourrait faire un miracle», se rappelle le père de famille. Son pressentiment se confirme aux petites heures le lendemain matin, lorsqu’il apprend que son fils est mort des suites de l’accident.
Depuis, les jours d’Yvon et de sa famille sont difficiles. Impossible pour eux d’oublier ce terrible drame. Souvent, quand une famille connaît une telle épreuve, chacun se mure dans le silence pour vivre son deuil à sa manière. En parler devient alors difficile. Chez les Rateau, les souvenirs reviennent chaque jour en mémoire. «C’est très dur de continuer sans lui. C’était notre fils unique. Sa sœur le vit très mal, mais nous devons faire face. Heureusement, nous avons le soutien de la famille et la prière nous aide beaucoup», confie Yvon.
Pour survivre à la mort de son enfant, seul l’amour et le temps peuvent panser la blessure. Une blessure qui ne se refermera jamais, mais avec laquelle on apprend à vivre.
Perdre l’enfant que l’on a tant espéré, tant attendu, tellement aimé. Celui qui donnait un sens à notre vie, pour qui on avait tant de projets et de rêves. Voir tout cela disparaître et s’effondrer comme un château de cartes, c’est certainement l’une des plus grandes douleurs auxquelles les parents se retrouvent confrontés.
La mort d’un enfant est inimaginable et inacceptable tant qu’ils ne se retrouvent pas en face à face avec cette dure réalité. Si la mort est un passage naturel dans le cycle de la vie, celle de son enfant vient bouleverser l’ordre des choses. Accepter cette fatalité est extrêmement dur pour les parents. «On avait des projets pour cet enfant. On s’était projetés dans l’avenir avec lui. Avec la mort, tout s’écroule. Ce sont des rêves brisés, des désirs qui s’écroulent», souligne Nicolas Soopramanien, psychologue clinicien.
Voir cet enfant partir, celui-là même qui représente la chose la plus importante, la raison pour laquelle on se bat dans la vie, cause un bouleversement terrible. «Par exemple, beaucoup de mères qui perdent leur enfant à la naissance se sentent coupables. Il y a l’attente de cet enfant qui doit normalement arriver vivant. Elles ont l’impression d’avoir fauté quelque part. Il y a un sentiment de culpabilité», explique le spécialiste.
Le sentiment de culpabilité se retrouve souvent chez de nombreux parents qui font face au décès de leur enfant. Ils se posent des centaines de questions : et s’ils avaient été là ? Et s’ils l’avaient mieux protégé ?
«Souvent, on fait un blocage et on essaie de renvoyer la culpabilité sur l’autre», précise Nicolas Soopramanien. Les parents essaient à tout prix de trouver des réponses pour panser leurs blessures alors que, souvent, il n’y en a pas. Face à la mort, ils se retrouvent impuissants.
Ne pas en parler force certains à vivre dans le déni. Le deuil se déroule en plusieurs étapes – choc, sidération, déni, colère, tristesse et acception – et c’est un long processus dans lequel le soutien familial et un encadrement psychologique ont un important rôle à jouer. Il y a aussi la notion du temps qui est primordial. Car seul le temps peut guérir les blessures.
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