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14 juillet 2015 03:45
Dans la grande salle à manger du Foyer Vivre Debout, la télé ne semble pas intéresser grand monde, si ce n’est Alexandra qui est la seule à s’agiter en faisant de grands signes et des sons difficilement compréhensibles. Ses cris et ses rires passent inaperçus et se heurtent à l’indifférence de ses compagnons. Plusieurs de ses camarades, les bras croisés et les yeux fixant le sol, semblent dans un autre monde. Certains regardent la télé sans vraiment la regarder. Ici, chacun vit dans sa bulle.
Au Foyer Vivre Debout, centre résidentiel qui accueille les personnes vivant avec un handicap mental ou physique, le temps semble s’être arrêté. Ils sont nombreux à ne pas savoir pourquoi ni depuis combien de temps ils sont là. En fait, ils vont pour la plupart finir leurs jours ici. Certains, comme monsieur Baichoo, sont nés orphelins. D’autres ont toujours vécu dans les hospices. Il y a aussi ceux dont les familles, incapables de prendre soin d’eux, les ont placés en foyer.
Ce centre, créé par des personnes atteintes d’un handicap il y a 32 ans pour les personnes vivant avec un handicap, avait à ses débuts pour mission de leur permettre de devenir autonomes. Aujourd’hui, les choses ont quelque peu changé, au grand regret de Patrick Seejawan, l’un des derniers fondateurs du Foyer Vivre Debout. «On s’était tous rencontrés dans un hospice et on voulait se débrouiller et avoir notre propre maison. On vivait tous ensemble sans aucune aide extérieure. On faisait le ménage et à manger. On gérait l’administration de l’association», raconte l’homme de 64 ans.
Des amis qui ont fondé l’association, il ne reste aujourd’hui plus que lui. Au fil des années, dit-il, le Foyer Vivre Debout a quelque peu perdu de son essence. «Avant, c’était une maison. Aujourd’hui, c’est un peu plus un foyer. Depuis quelques années, les résidents que nous recevons ne peuvent pas être autonomes. Nous avons donc désormais une administration qui prend soin de nous», regrette-t-il.
Souffrant d’un handicap physique l’obligeant à circuler en fauteuil roulant, Patrick Seejawan n’a pourtant rien perdu de son envie de rester autonome malgré sa condition physique. Pas question que quelqu’un d’autre touche à sa chambre. Pour prouver aux autres et à lui-même qu’il peut encore y arriver, il y fait le ménage et range ses vêtements. Malheureusement, ces derniers jours sont éprouvants. Comme frappé par un autre coup du sort, Patrick Seejawan souffre aujourd’hui d’un cancer des intestins qui le consume à petit feu.
Heureusement, il peut compter sur le soutien et l’aide des membres de l’équipe du foyer, qui veillent au grain à ce que tout se passe bien pour lui. Seul dans sa chambre, le vieil homme se perd souvent dans ses souvenirs. Dans sa mémoire, ils sont nombreux. Comme ses voyages en France, pendant lesquelles il a visité Vivre Debout France, le centre pour personnes handicapées qui l’a inspiré à créer, avec ses amis, l’association à Maurice.
Au foyer, tout le monde connaît monsieur Baichoo, l’un des premiers résidents des lieux. Lunettes rondes sur les yeux, écharpe nouée autour du cou : il est assis dans un coin à l’arrière de la grande salle à manger, juste à côté de la fenêtre, avec son carnet et son stylo à la main. C’est là qu’il se met toujours. Né avec la maladie du polio, qui l’a laissé avec un handicap sévère, cet orphelin a toujours vécu dans les hospices et les foyers. À 73 ans, il passe son temps à lire et à écrire des poèmes.
Passion pour l’écriture
Monsieur Baichoo est un autodidacte qui a soif d’apprendre et ce n’est pas le fait d’avoir arrêté l’école après le primaire qui l’empêche de vivre sa passion pour l’écriture. Quand on lui fait un compliment, il nie de manière timide son talent : «Non, je suis poète à mes heures perdues.» Résident incontournable de la maison, il est aussi bien plus que ça : «Je suis le trésorier de l’association.» Une responsabilité qu’il prend toujours très au sérieux. Même s’il n’a jamais connu ses parents, il a le sentiment d’avoir trouvé sa famille et une maison grâce au Foyer Vivre Debout.
La maman de service au centre s’appelle Lorraine Monrose. Cela fait quatre ans qu’elle vit au foyer en permanence pour prendre soin des résidents. Après une longue carrière au service des personnes vivant avec un handicap, c’est tout naturellement qu’elle a pris de l’emploi dans le centre. C’est elle qui leur donne le bain, à manger et les médicaments. Elle veille sur eux comme une maman veille sur ses enfants. «J’aime mon métier. J’éprouve beaucoup d’amour pour eux et ils me le rendent bien. Ils sont un cadeau du ciel», dit-elle. Chaque soir, c’est dans le dortoir des filles qu’elle dort pour pouvoir mieux veiller sur elles, lance Lorraine. Elle qui connaît sur le bout des doigts chacun des résidents. Il y a Michael, par exemple, qui est toujours tranquille et Yolande qui est de nature de très sensible.
Soudain, Alexandra se lance au milieu de la pièce en criant et en sautillant. C’est une chanson qui passe à la télé qui la met dans tous ses états. Visiblement contente, elle se met à danser dans l’indifférence la plus totale de ses camarades. Elle se lance sur Virginie, une jeune femme silencieuse qui hésite avec un petit sourire. Comme Alexandra, elle souffre d’un handicap mental. Elle se laisse finalement persuader et rejoint son amie au milieu de la pièce pour quelques pas de danse. Elle bouge. Elle sourit. Quand la musique s’arrête, elle revient sagement à sa place. Son regard se ferme de nouveau. Elle semble ailleurs.
Mais très vite, Jérôme, l’un des bénéficiaires qui viennent passer la journée au centre, fait le clown et attire son attention. Virginie le fixe, avant de sourire du coin des lèvres. Elle ne le sait pas, mais elle ne rentrera pas chez elle. Elle n’en a pas conscience, mais elle a trouvé sa nouvelle famille au Foyer Vivre Debout et ça, elle le sent quelque part au fond de son cœur.
Apprendre aux personnes vivant avec un handicap à devenir plus autonomes. C’est le rêve que caressaient François Sockalingum, Patrick Seejawan et leurs camarades. Lorsqu’ils entendent parler du Foyer Vivre Debout qui se trouve en France, la bande d’amis, qui s’est rencontrée dans les hospices, se lance dans un projet ambitieux : mettre sur pied une association et trouver une maison où ils pourront vivre en autonomie communautaire. Motivés, ils lancent leur projet et trouvent une maison, la Maison du Bien-être à Curepipe où ils s’installent tous ensemble sans aucune assistance extérieure.
Cependant, avec la disparition des membres de l’équipe au fil des années, la philosophie première de l’association s’estompe. «Aujourd’hui, nous sommes devenus un foyer avec une équipe permanente qui prend soin des résidents. Nous sommes un centre résidentiel, mais aussi un ‘‘day-care’’ pour les personnes qui souffrent d’un handicap physique ou mental», confie Jovahnie Gontran, la manager du foyer.
Celui-ci accueille actuellement 22 personnes qui viennent principalement des hospices, de l’hôpital Brown-Séquard ou d’autres centres comme le CEDEM. La Maison du Bien-être, ils y trouvent une deuxième famille. Ils y sont nourris, logés et blanchis gratuitement, avec une équipe dévouée qui veille sur eux 7/7 pour leur offrir le meilleur des soins et des encadrements adaptés à leur condition. Deux fois par semaine, souligne notre interlocutrice, les résidents reçoivent la visite de volontaires qui donnent des cours d’initiation à la peinture, à la couture, au dessin et à l’alphabétisation. «Nous organisons aussi des activités et des sorties à la plage ou dans les jardins pour leur permettre de prendre de l’air frais, de voir du monde et la vie extérieure», explique Jovahnie Gontran.
La maison, dotée d’une partie administrative, possède plusieurs chambres pour les hommes, un grand dortoir pour les dames, une grande salle à manger et une petite cuisine. Malheureusement, avec le temps, la maison et le mobilier ont pris un sacré coup de vieux et demandent une rénovation afin d’être remis en état. Cependant, comme le souligne Jovahnie Gontran, le financement n’est pas toujours facile à trouver. «Ce que nous avons, c’est pour faire tourner la maison et prendre soin des résidents. Des fois, c’est même difficile de boucler le mois. Alors, nous n’avons pas de quoi rénover la maison bien qu’elle en ait bien besoin», lance-t-elle en espérant que son appel sera entendu.
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