«Mo papa peser. La pes ti pwason. La ligne la monte. La ligne la kase.» Chaque matin, dans la cour de l’église Saint-Augustin, à Rivière-Noire, un doux vacarme se fait entendre. Les voix des enfants qui connaissent sur le bout des doigts cette chanson appellent à la découverte. À l’intérieur de la garderie L’Étoile, les plus grands de la bande s’amusent en compagnie de leur puéricultrice qui retient leur attention avec l’une de ses activités ludiques.
Les pièces qui affichent des couleurs vives sont joliment décorées avec des jeux et des peluches posées ici et là. Les salles, dont chacune est réservée à une tranche d’âge en particulier, ont toutes été rebaptisées et portent des noms comme Papillon ou La Chambre Rose. Dans deux containers, convertis en nurseries et rattachés au bâtiment, plusieurs berceaux qui accueillent des bébés à partir de trois mois. Dans un coin de la grande varangue, quelques membres de l’équipe s’occupent de nourrir les bébés placés dans les poussettes alors qu’Ariana a installé sa classe dans la cour pour le moment de détente. L’ambiance y est chaleureuse.
À première vue, le lieu a tout d’une garderie comme les autres, sauf que ce n’est pas le cas. Ce n’est qu’en discutant avec Armand Rivet et Annick Fender, qui étaient là dès le début, qu’on en apprend un peu plus sur l’histoire de la garderie L’Étoile qui est en réalité une crèche solidaire adressée aux enfants issus de milieux vulnérables de la région et de familles défavorisées. «Nous sommes devenus au fil des années un lieu d’accueil, d’éducation, de soin pour les enfants et de formation pour les parents. L’établissement, qui est géré par plusieurs bénévoles, assure un bon départ dans la vie et facilite leur intégration scolaire grâce à un encadrement et une pédagogie appropriées», souligne Armand Rivet, vice-président du conseil d’administration de l’association.
Attentionnées et dévouées, les puéricultrices sont comme des deuxièmes mamans pour les petits de la garderie.
Tout commence, raconte Annick, la directrice, au début des années 90, à Rivière-Noire. C’est lors d’une visite dans l’une des cités de la région en compagnie d’une amie religieuse qu’elle découvre les enfants dans la rue, livrés à eux-mêmes, alors que leurs parents travaillent. Les difficultés que rencontrent les familles de milieux défavorisés de Rivière-Noire pour la garde de leurs enfants en bas âge les interpellent. Certaines mamans ne travaillent plus afin de veiller sur eux et ne peuvent plus répondre aux besoins de la famille. D’autres confient la garder à leurs plus grands enfants qui doivent alors arrêter l’école. «Quelque temps plus tard, un événement nous a terriblement bouleversés. C’est l’histoire d’un enfant de 8 ans qui veillait sur son petit frère qui n’était alors qu’un bébé. Sans aucune surveillance, il jouait avec le feu et ça a mal tourné. Le bébé y a perdu la vie», raconte-t-elle. Lors d’une réunion de quartier, les deux femmes en parlent et avec d’autres, elles décident de faire quelque chose pour venir en aide à ces familles et prévenir ce genre de drames.
C’est dans un esprit d’entraide et de solidarité que la garderie L’Étoile voit le jour, grâce à l’aide de Soroptimist, dans une petite maisonnette en forme d’étoile d’où son nom aujourd’hui. Le but est d’avoir un lieu sain et sécurisant pour les enfants et de permettre aux parents de travailler pour pouvoir gagner leur vie et répondre aux besoins de leur famille. D’une vingtaine d’enfants à ses débuts, la garderie accueille aujourd’hui 120 petits. Les bénévoles ont fini par créer La Garderie et la Maternelle L’Étoile Association qui gère aujourd’hui deux garderies, dont une à Tamarin, et une école maternelle. Face à la charge de travail, une contribution de Rs 650 est demandée aux parents, une somme que beaucoup n’arrivent pas à honorer à cause de leur situation financière compliquée : «Nous ne sommes pas rigide sur cette somme, car cela reste une action sociale. Mais nous avons des engagements comme le repas chaud à fournir, le matériel à trouver, les employés à payer.»
Milieux difficiles
À la garderie, tout est mis en place par Annick et son équipe pour s’occuper comme il faut des enfants. Très proches d’eux, les puéricultrices s’en occupent avec bienveillance et attention. «Ils viennent de milieux difficiles et ça a un impact sur certains. Ici, nous fonctionnons donc comme une famille où on parle, on rit et on joue ensemble. Nous voulons créer une relation de confiance pour qu’ils soient apaisés», nous dit-elle. De nombreux enfants issus de ces milieux vivent des situations pénibles qui ont un impact considérable sur leur vie et leur comportement. Le travail de l’équipe de la garderie, souligne Armand Rivet, est donc de «redonner à ces enfants la confiance dans l’adulte par du temps de qualité et surtout de la tendresse».
D’ailleurs, une psychologue a été employée deux après-midi par semaine afin de rencontrer régulièrement les enfants en compagnie des parents, de la directrice et de la puéricultrice responsable de la classe. De plus, le repas chaud est l’une des priorités à la garderie. «Nous y tenons beaucoup. Comme ça nous savons que peu importe ce qui se passe chez eux, ils ont au moins eu un repas chaud», dit Annick. Face à la demande et pour mieux suivre les enfants, l’association a ouvert en 2009 une première classe de maternelle, puis une deuxième un an plus tard grâce à l’aide de ses membres et des sponsors. La maternelle, faite de deux containers transformés, accueille environ 45 enfants. La journée se passe tout aussi gaiement qu’à la garderie. Entre les activités d’éveil, du langage, de socialisation, de développement physique et cognitif, et les jeux libres, les enfants ont fort à faire.
Selon Annick Fender, l’équipe noue aussi des liens avec les parents qui n’hésitent pas à se confier. De plus, explique notre interlocutrice, un vrai changement a été constaté dans les cités des alentours : «Nous avons remarqué qu’avec la garderie, les parents étaient plus en confiance et bien plus motivés pour aller travailler. Beaucoup d’entre eux ont pris conscience de l’importance de l’éducation et veulent que leurs enfants aient une bonne éducation.» Lors des petits spectacles organisés par l’établissement, Annick Fender et ses puéricultrices ne peuvent que constater l’épanouissement de ces petits et la fierté dans les yeux de leurs parents.
Meliana Labonne, Ancienne bénéficiaire : «Je suis contente de ce que je suis devenue»
Je suis Meliana Labonne, 23 ans et habitante de Grande-Rivière-Noire. J’ai intégré la garderie L’Étoile à l’âge de 2 ans avec Annick Fender comme directrice. C’est là-bas que j’ai grandi et que j’ai eu une enfance heureuse entourée d’autres enfants de ma région. Je me souviens qu’à l’époque, la garderie se trouvait en face de l’église de Saint-Augustin sur le chemin qui mène à la mer. J’y ai vécu de merveilleux moments dont je garde un très bon souvenir. Après la garderie, je suis allée à l’école pré-primaire de La Preneuse, puis à l’école primaire de Saint-Benoît RCA à Tamarin.
Ayant eu des résultats satisfaisants, j’ai intégré le collège Saint-Esprit Rivière-Noire qui accueillait son premier groupe d’élèves en 2003. Avec l’aide et le soutien de mes parents, j’y ai passé six merveilleuses années. Après deux essais au School Certificate, j’ai pu intégrer le collège Lorette de Port-Louis pour le Higher School Certificate. Après mes études secondaires, le collège Saint-Esprit Rivière-Noire m’a proposé un poste de bibliothécaire et j’ai accepté. Aujourd’hui, je travaille et je prends des cours en Library and Information Science à l’Open University of Mauritius.
Mariée et maman d’une petite fille, c’était important pour moi qu’elle aille aussi à la garderie L’Étoile pour qu’elle bénéficie de la même chance que moi. Je suis contente de ce que je suis devenue et je serai toujours reconnaissante envers ceux qui m’ont aidée tout au long de mon cheminement. Je me souviendrai toujours d’Annick Fender qui accueille toujours des enfants à la garderie. L’équipe fait un travail formidable.
Marthe Lefèvre, Psychomotricienne : «Préparer leur apprentissage est essentiel»
À Maurice dans le cadre d’un projet de jeunes à l’étranger, organisé par la communauté du chemin neuf, la Française Marthe Lefèvre, psychomotricienne, s’est installée à la garderie L’Étoile il y a quelques mois. Son objectif est d’observer et d’accompagner les enfants dans leur développement moteur, intellectuel et affectif. Spécialisée dans le développement de l’enfant, la jeune femme travaille sur la construction du sens de la motricité et du développement psychologique. Dans un premier temps, la psychomotricienne est restée en observation pour approfondir les activités qui sont proposées aux enfants. «Il faut accorder une grande attention au développement affectif et psychologique. Il y a des exercices qui nous permettent de repérer très tôt si les enfants présentent des difficultés, des retards au niveau de l’apprentissage», explique-t-elle.
Selon Marthe Lefèvre, il est essentiel de considérer l’enfant dans son unicité, qui se construit dans un certain environnement, et qu’on l’aide à devenir une personne qui pourra apprendre. Celle-ci met l’accent sur l’importance du jeu libre : «Mettre à leur disposition du matériel qui convient à leur âge et les laisser aller à la découverte et explorer pour qu’eux-mêmes comprennent le monde qui les entoure et préparer leur apprentissage est essentiel à leur développement.» Dans un deuxième temps, la tâche de Marthe Lefèvre consiste à guider et accompagner l’équipe de la garderie L’Étoile pour qu’elle puisse répondre au mieux aux besoins des enfants. Les puéricultrices ont ainsi eu des sessions de travail avec la psychomotricienne, notamment des temps d’atelier, pendant lesquelles l’expression corporelle et la relaxation ont été liées à la formation.