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11 décembre 2015 15:03
Une vie de misère. Dans sa maisonnette de Cité Débarcadère, à Pointe-aux-Sables, Ursula Auguste, 43 ans, se démène pour trouver une solution afin de soulager Janoëlle, 14 ans. En ce mois de décembre et dans cette région côtière, la chaleur ne fait pas de cadeau. Allongée sur un lit, le regard vide et fixe, l’adolescente, vêtue d’un débardeur et d’une couche visiblement trop petite pour elle, est inconfortable. Sa mère essaie de la rafraîchir aussi souvent que possible et compte sur le ventilateur pour lui apporter un peu de fraîcheur.
Ursula a souvent le cœur qui saigne en regardant sa fille. Au fond d’elle, les sentiments se bousculent et se heurtent. «C’est tellement dur», dit-elle. Bien sûr, il y a l’amour inconditionnel et incomparable qu’elle porte à Janoëlle, mais il y a aussi souvent de la colère, du découragement, de l’inquiétude. Les conditions de vie d’Ursula et de sa famille y sont aussi pour beaucoup dans la souffrance qu’elle ressent. Avec son époux, sa plus grande fille et Janoëlle, Ursula vit dans une maison d’une chambre seulement, offerte par sa belle-mère, qui fait office de chambre à coucher, de salon, de toilettes, de cuisine. La famille dispose de peu de moyens et offrir à Janoëlle de meilleures conditions de vie est devenu un parcours du combattant. «Mon époux est maçon. Des fois, il y a du travail et d’autres fois non. Moi, je fais le ménage chez une dame pendant deux heures. Malheureusement, je ne peux faire plus, car je dois veiller sur Janoëlle», souligne-t-elle.
Ursula est une femme forte à qui le travail ne fait pas peur. Cependant, des fois, elle sent que le courage lui manque. Elle parle à Janoëlle, l’appelle par son nom, mais celle-ci n’affiche aucune expression. L’adolescente est dans cet état depuis la naissance. Quinze jours après sa venue au monde, se souvient sa mère, les médecins détectent chez elle une hydrocéphalie, une maladie rare qui se caractérise par une accumulation excessive de liquide céphalo-rachidien à l’intérieur des cavités du cerveau. Au fil des jours et des semaines, la tête du bébé ne cesse de grossir et l’opération est inévitable lorsqu’elle atteint l’âge de deux mois. «Ils ont mis un tube dans son crâne pour que sa tête ne grossisse plus», se souvient sa mère. Mais la petite ne guérit pas.
À cette maladie s’associent des malformations importantes au niveau du cerveau, qui plongent la petite dans un état végétatif. Janoëlle est atteinte d’un handicap moteur sévère qui lui paralyse tout le corps : «Ses mains et ses pieds sont de travers et son corps est déformé à cause de sa colonne vertébrale qui ne tient pas droit. Les médecins nous ont dit qu’il n’y avait rien à faire.»Les sévères déformations physiques lui ont donné l’aspect d’un bébé, un grand bébé de 14 ans avec de longs bras et de longues jambes recroquevillés. À cause de ce handicap, Janoëlle n’a jamais marché, jamais parlé. Les seuls signes qu’elle peut lancer à son entourage, raconte sa mère, ce sont quelques grognements et, beaucoup plus rarement, un «ma»pour désigner sa mère.
Celle-ci reste à son chevet jour et nuit. Il faut bouger Janoëlle régulièrement pour éviter les escarres sur son corps, lui donner à boire et à manger - de la purée essentiellement, car elle ne sait pas mâcher -, la doucher, l’habiller, la nettoyer quand il n’y a pas de couches. «Ça coûte très cher et nous n’avons pas toujours les moyens d’en acheter. Quand j’en ai, je les garde pour la nuit. Pour le jour, je m’arrange comme je peux. J’utilise des bouts de plastique et de chiffon que je mets en dessous de son corps»,confie-t-elle avec tristesse. Cette précarité, Ursula aimerait en sortir, mais en attendant, elle se débrouille comme elle peut avec ce qu’elle a. Sa plus grande inquiétude, dit-elle, c’est l’avenir de Janoëlle. Les années passent et emportent avec elles la force physique et le courage d’Ursula. Les questions se bousculent dans sa tête : jusqu’à quand ses bras pourront-ils porter Janoëlle ? Qui s’occupera de sa fille quand elle n’en sera plus capable ? Qu’adviendra-t-il d’elle quand elle-même ne sera plus là ?
Rien à faire
Ce sont les mêmes interrogations qui minent Usha Boyjonauth, 46 ans, qui habite un peu plus loin dans la cité. Mère de trois enfants, elle consacre totalement sa vie à son dernier, Ashees, 16 ans, qui souffre d’un handicap sévère depuis la naissance. Enceinte de jumeaux à l’époque, elle accouche à six mois de grossesse et perd l’un de ses bébés. Ashees, lui, prématuré, restera longtemps dans le service néonatal. Les complications sont nombreuses : «Son cerveau et les fonctions vitales de son corps n’étaient pas développés. À
2 ans, les médecins nous ont annoncé qu’il était handicapé et qu’il n’y avait rien à faire.»Pour Usha, la nouvelle est terrible, mais elle finit par l’accepter.
«Peu importe son état physique, il reste mon enfant. J’aime tous mes enfants de la même manière, mais lui a besoin de moi un peu plus que les autres», confie-t-elle. Depuis, la mère de famille a mis sa vie entre parenthèses pour se consacrer uniquement à son fils. Comme Janoëlle, Ashees ne parle pas et ne marche pas. Du haut de ses 16 ans, son corps, bien qu’il soit lourdement handicapé, a grandi et n’est plus aussi léger. «Quand il était petit, ça allait encore. Aujourd’hui, il est grand et c’est difficile pour moi de le prendre dans mes bras comme avant. Je ne suis plus aussi jeune. Certaines tâches au quotidien deviennent compliquées», souligne Usha.
Ses journées sont cadrées selon un agenda précis. Comme Ashees n’a aucune notion de ce qui l’entoure, toutes les activités comme la douche, le repas, la sieste ont lieu systématiquement à la même heure pour lui permettre de se situer. Tous les jours, sa mère l’installe dans le salon dans un fauteuil qu’elle a trafiqué avec les moyens du bord. «Il avait un autre fauteuil avant, mais il lui faisait mal et il tombait lorsqu’il était agité. Comme nous n’avons pas de grands moyens, j’ai fait avec ce que j’avais sous la main», dit-elle. Usha a toujours été débrouillarde. Elle a arpenté les rues du pays à la recherche de médecins pouvant aider son fils, économisé chaque petit sou pour avoir un autre avis médical, frappé aux portes des écoles spécialisées et des associations pour trouver de l’aide. «À chaque fois, c’était des refus, des “on ne peut rien faire pour vous madame”», se souvient-elle.
Comme il ne parle pas, Ashees s’exprime avec des sons, des grincements de dents, des grimaces. Ce sont des sourires lorsqu’il est content, comme lorsqu’il entend ses chansons préférées à la radio. Pour lui faire plaisir, sa mère a donc demandé à sa sœur de lui trouver un CD avec toutes ses chansons. Par contre, lorsque quelque chose le gêne, Ashees est agité, grogne, raidit son corps. Pour le calmer, sa mère lui caresse le visage. Elle est complètement dévouée. Tous les jours depuis 16 ans, Usha dort avec son fils. Impossible de le laisser seul. Comme Ashees n’a aucun contrôle sur son corps, les chutes sont inévitables, alors sa mère agit comme barrière pour qu’il ne tombe pas, quitte à recevoir des coups.
Pire, à cause de son handicap, le lit standard dont dispose Ashees n’est pas adapté à sa condition. Pour l’aider à passer de meilleures nuits, souligne Usha, c’est un lit médical qu’il lui faudrait, mais la famille n’a pas les moyens d’en acheter un. Avec un seul salaire et la pension dont bénéficie l’adolescent, les Boyjonauth ont du mal à sortir la tête hors de l’eau. Les couches, la nourriture pour Ashees et les taxis qu’il faut payer pour se rendre à l’hôpital pompent la majorité du budget de la famille. Malgré les difficultés, Usha s’accroche, guidée par l’amour de ce fils qu’elle porte à bout de bras depuis sa naissance.
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