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«J’ai tout perdu à cause de mon alcoolisme»

7 juin 2015

Les femmes alcooliques sont souvent stigmatisées. Des réunions chez Alcooliques Anonymes leur sont réservées.

Commencer avec un verre ou deux. Devenir accro à l’alcool sans s’en rendre compte et sombrer. Vivre l’enfer. Se retrouver au plus bas, se couper du monde extérieur et trouver dans l’alcool le seul réconfort, le seul recours. Chaque jour, nombreux sont ceux qui s’enlisent un peu plus dans le tourbillon de l’alcool. Certains arrivent à prendre conscience de leur problème et à trouver de l’aide pour s’en sortir. Mais la route est longue, ils le savent. Et puis, l’alcoolisme est une maladie incurable. On peut rester sobre, mais il est aussi facile de replonger. Le combat est donc quotidien.

 

Chaque matin en se réveillant, Armand, 68 ans, se fait la promesse de ne pas toucher à ce premier verre qui pourrait le faire replonger. Il recommence comme ça tous les jours encore et encore, et cela fait 28 ans que ça dure. L’abstinence n’est pas une chose évidente, il le concède. C’est pourquoi, chaque semaine, comme de nombreux autres camarades alcooliques, il se rend aux réunions des Alcooliques Anonymes (AA). Là-bas, il raconte son histoire sans cesse pour aider les autres et s’aider lui-même, car en parler ouvertement reste l’une des meilleures thérapies contre ce mal.

 

Son histoire, dit-il, c’est celle d’un homme qui boit quelques coups et qui, à l’âge de 35 ans, après son mariage, commence à boire de «manière désordonnée», plus vite, plus fréquemment. Plus les jours passent, plus il doit assouvir ses envies d’alcool. Il s’engouffre sans s’en rendre compte. Il s’enferme dans sa bulle. Sa vie vire au cauchemar, mais il préfère fermer les yeux et nier ce qui lui arrive. Pour pouvoir boire toute la journée, il ne va pas travailler. Devant la gravité de son état, ses proches essaient de le raisonner. Rien n’y fait. Armand ne veut rien entendre. Il devient agressif quand on lui parle de son problème, qu’on lui cache ses bouteilles. Pour assouvir le manque et calmer ses tremblements, ses maux de tête et ses angoisses, il se jette sur l’eau de Cologne et les baumes après-rasages. À ce moment-là, sa vie est au bord de l’éclatement : «J’allais tout perdre. Ma femme, mes enfants, mon travail. Mon couple ne tenait plus qu’à un fil. Mes enfants avaient peur de moi.»

 

Rechutes

 

C’est après une rencontre avec un prêtre qu’Armand se rend aux Alcooliques Anonymes sans grande conviction : «Je ne voulais pas arrêter de boire. Je voulais juste arriver à me contrôler un peu.» Rentrer dans ce programme est compliqué pour lui. Quand on est accro à ce point, se passer de l’alcool devient la chose la plus difficile à faire. «Je ne voulais pas accepter mon addiction. J’ai mis plus d’un an avant d’être convaincu. J’ai fait plusieurs rechutes, mais j’ai recommencé à chaque fois. Mais un jour, j’y suis arrivé», raconte Armand. Pour lui, un jour devient une semaine et une semaine devient une année et ainsi de suite. Les années se suivent et il ne touche toujours pas à l’alcool. Si on lui avait dit, lorsqu’il a sombré, qu’on peut vivre heureux sans alcool, Armand n’en aurait certainement pas cru un mot. Et pourtant, c’est bien sa réalité depuis 28 ans.

 

Croire que c’est possible de s’en sortir, cela a pendant longtemps été pour Lindsay inimaginable. L’alcool lui a tout pris. Sa maison, son travail, mais aussi sa dignité, sa confiance en lui, l’estime qu’il avait de lui-même. Plus il buvait, plus il ne lui restait plus rien. Vendre ses effets personnels pour pouvoir se payer ses grogs à longueur de journée, se retrouver dans la rue à dormir dans un marché ou un bâtiment abandonné, il a connu tout ça. Lindsay revient de loin. Il en est conscient. «J’ai tout perdu à cause de l’alcoolisme», dit-il.

 

Trente ans d’addiction à l’alcool n’est pas facile à effacer. Et depuis dix ans, Lindsay fait preuve de courage et de persévérance pour ne plus toucher à son pire ennemi. C’est à l’âge de 18 ans qu’il commence à prendre quelques bières. Puis au décès de sa femme, il plonge tête la première dans l’enfer de l’alcool. Pour noyer son chagrin, il trouve du réconfort dans la bouteille. Il touche le fond, se coupe du monde extérieur. «Je ne prenais pas de douche. Je ne mangeais pas. Je ne faisais que boire. Je n’avais pas toute ma tête. Je n’avais besoin que de l’alcool», raconte-t-il. Autour de lui, les gens ne font plus attention à lui et la solitude le pèse. Au fond du gouffre, il pense au suicide tant il est détruit. Dans sa tête, rien n’est clair. Au boulot, chaque matin, il se cache à l’arrivée de son boss pour qu’il ne sente pas son haleine qui sent le rhum à plein nez

 

Un jour, alors qu’il trouve refuge dans la cour d’une église, le secours lui vient d’un prêtre qui lui parle de l’association Alcooliques Anonymes. La reconstruction est longue, mais Lindsay s’accroche malgré les rechutes du début. «Aller à ces réunions m’a sauvé. J’ai repris confiance en moi alors que je me sentais comme un moins que rien. Je ne savais pas que l’alcoolisme était une maladie incurable. J’ai eu besoin d’un traitement médical et aujourd’hui, j’ai repris ma vie en main», confie l’homme de 57 ans. Aujourd’hui, Lindsay a effectivement retrouvé un toit et un travail. Il est jardinier, un travail qu’il adore. Il prend du plaisir dans les petites choses de la vie et essaie d’oublier l’ivresse de l’alcool. Il sait que la guerre contre son addiction n’est pas finie et que ce sera le combat de sa vie.

 

Une fois par semaine, il se rend à la réunion des Alcooliques Anonymes pour témoigner de son histoire, le meilleur rappel pour ne pas replonger. À travers son histoire, il vient aussi en aide aux autres qui, comme lui, essaient de s’en sortir. Cette réunion, c’est un peu comme leur médicament, la garantie de leur sobriété. Pour rien au monde, ils ne sauraient la manquer. Husna, 50 ans, en sait quelque chose. Au début, comme beaucoup, elle n’était qu’une Social Drinker. C’est à la mort de son mari, alors qu’elle est âgée de 31 ans seulement et qu’elle est mère de deux enfants en bas âge, qu’elle plonge dans l’enfer de l’alcoolisme. Vin, liqueur, rhum, whisky, tout y passe. C’est au minimum une bouteille par jour. Au fil des mois et des semaines, l’alcool est devenu une obsession qu’elle croit la seule solution pour oublier ce qui la trouble. «J’avais besoin de ça pour vivre. Quand je n’en avais pas, je me mettais à trembler. Même si j’avais bien bu la veille, le lendemain matin, j’allais en chercher. C’était devenu ma priorité, plus rien autour n’avait d’importance», se souvient Husna.

 

Regard des autres

 

Aujourd’hui, elle le sait, son addiction a beaucoup fait souffrir son entourage et ses enfants pour qui cela a été difficile d’avoir une mère qui ne s’occupait que de sa bouteille. Ses parents ont font tout pour essayer de l’aider : centre de désintoxication, psychologue, psychiatre et tout le tralala. Rien n’y fait. Face à son cœur meurtri, à sa souffrance, sa solitude, elle pense à tort que l’alcool est la seule solution. Elle le découvre lorsqu’elle commence à se rendre aux réunions. «Je suis la première femme à avoir assisté et participé à ces réunions. Malheureusement, voir une femme alcoolique est encore tabou aujourd’hui. On la juge, la critique. Du coup, elle se cache par honte et par peur du regard des autres», dit-elle.

 

Participer à ces rencontres a été la meilleure chose qui puisse lui arriver. Bien sur, chaque jour est une bataille et il y a eu des rechutes. Mais elle s’est toujours relevée. Elle a appris à vaincre ses peurs, à retrouver la maîtrise de sa vie : «Je suis heureuse. J’ai un nouveau regard sur la vie. Pour moi, c’est un miracle.»

 

Il a fallu du courage et du temps à Husna et aux autres alcooliques pour devenir des abstinents. Aujourd’hui, ils savent que l’ivresse ne panse pas les blessures, mais qu’il vous y enfonce un peu plus à chaque verre. La lutte est quotidienne. Ils savent qu’ils ne seront jamais guéris, qu’ils ne seront jamais des buveurs normaux et que céder à la tentation d’un simple verre les conduira à la perte. Alors, ils s’accrochent tous les jours.

 


 

Alcooliques Anonymes : Un programme en 12 étapes  

 

Pour intégrer ce groupe et recevoir de l’aide, une seule condition s’applique : le désir de vouloir arrêter de boire. Présents à travers le monde, les Alcooliques Anonymes (AA) ont pour objectif premier d’aider ceux qui le souhaitent à devenir abstinents et à le rester. À Maurice, ils existent depuis 31 ans et, une fois la semaine, des centaines d’hommes et de femmes se rencontrent pour parler de leur combat, partager leurs souffrances et leurs espérances.

 

La méthode des AA est basée sur le principe des 12 étapes qui décrivent les attitudes et les activités considérées comme importantes dans cet effort pour parvenir à la sobriété, pour arriver à avoir une meilleure maîtrise de soi. En voici quelques exemples : «Nous avons poursuivi notre inventaire personnel et promptement admis nos torts dès que nous nous en sommes aperçus», «Nous avons admis que nous étions impuissants devant l’alcool – que nous avions perdu la maîtrise de notre vie» ou encore «Nous avons dressé une liste de toutes les personnes que nous avions lésées et nous avons consenti à réparer nos torts envers chacune d’elles».

 

La thérapie se traduit par des groupes de paroles et des échanges d’expérience, par ce programme en 12 étapes et le parrainage d’un alcoolique par un abstinent. Husna, qui co-anime les réunions des AA à Curepipe, a lancé en 2012 des rencontres exclusivement réservées aux femmes alcooliques. Chaque semaine, des réunions ont lieu aux quatre coins de l’île. Elles sont ouvertes à tout le monde et ne demandent ni frais d’entrée, ni cotisation. L’audiotex 302 6093 est aussi disponible.

 

Calendrier des réunions

 

- Rose-Hill (derrière Montmartre) les jeudis à 18 heures

 

- Beau-Bassin (cure du Sacré Coeur) les mardis à 18 heures

 

- Port-Louis (derrière l’Immaculée) les lundis à 17 heures

 

- Flacq (cure Ste Ursule) les samedis à 16 heures

 

- Goodlands (cure de l’église Ste Claire) les mardis à 18h30

 

- Vacoas (Cure Eglise de la Visitation) les samedis à 16 heures

 

-Trou-aux-Biches (Cure Eglise Notre Dame de Fatima) les samedis à 13 heures

 

- Curepipe (Centre St Jean, Forest Side) les mercredis à 18 heures

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