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27 juillet 2014 01:08
Ils aiment profondément leur métier… ou presque. On parle souvent de phobie, de maux de ventre et même de crise d’anxiété lorsque les enfants ressentent des difficultés à s’adapter au monde scolaire. Sauf qu’aujourd’hui, les élèves ne sont plus les seuls concernés. Les enseignants ont, eux aussi, de plus en plus souvent, la boule au ventre en franchissant le portail de l’établissement. Angoissés, stressés, surmenés… ils n’en peuvent plus. Les raisons qui les poussent au découragement sont nombreuses, arguent-ils. On dit souvent qu’ils pratiquent le plus beau métier du monde. Mais eux n’en sont plus si sûrs.
Devant l’indiscipline et l’insolence récurrentes des élèves, qui se montrent même parfois violents comme en témoignent certains faits divers ces derniers temps, les enseignants ont de plus en plus de mal à asseoir leur autorité. Face à un enfant roi qui se croit tout permis, leur marge d’action est souvent quasi nulle. Un étudiant sort son portable en pleine classe ? On le confisque et après ? Un enfant ne fournit aucun travail et se permet de vous ridiculiser en pleine classe ? Vous allez en parler au proviseur et ensuite ? Une bagarre éclate entre élèves ? Préparez-vous à subir un interrogatoire de la part des parents. Eh oui ! Il ne fait pas toujours bon d’être dans les souliers des enseignants ces temps-ci.
Et ça Sweety le sait bien. Quand il s’agit de parler de son métier, cette enseignante dans un collège d’État ne cache pas son amertume et frôle la crise de nerfs. Se rendre au collège pour une journée de travail ? Ça fait longtemps qu’elle n’en a plus très envie. Fatiguée et dépassée par des élèves qui sont sans scrupule, elle n’en peut plus. Dans les situations les plus difficiles, l’enseignante se sent souvent livrée à elle-même. «Ces jeunes pensent qu’ils peuvent faire tout ce qui leur passe par la tête, qu’ils peuvent se comporter comme ils veulent et dire ce qu’ils veulent. Notre autorité est constamment bafouée. Tout le monde ne fait que penser à nos vacances mais pas à l’enfer que nous vivons», dit-elle sans mâcher ses mots.
Journées éprouvantes, manque de motivation, frustration, dévalorisation de soi, voilà les qualificatifs qu’utilisent ceux qui partagent les journées des élèves. En cinq ans de métier, Eric a lui aussi vu de toutes les couleurs. Pourtant, son travail, il l’adore. Devenir prof a toujours été son plus grand rêve. Il se voyait transmettre son savoir et aider les jeunes à trouver leur voie. Il se voyait aussi évoluer professionnellement dans un milieu dynamique et interactif sauf que les idées qu’il s’était faites n’ont pas grand-chose à voir avec ce qu’il vit depuis qu’il a pris de l’emploi dans un collège privé. «Ils sont à un âge où ils sont en pleine crise identitaire et où ils cherchent à impressionner leurs amis. Sans compter que leurs hormones leur jouent des tours. Additionné au fait qu’ils se prennent pour le centre du monde, ça crée forcément un cocktail explosif pas toujours facile à gérer», confie-t-il.
Menaces
Ainsi, selon lui, les jeunes étudiants refusent de plus en plus de se soumettre aux règles de discipline en classe, «mêmes les plus basiques». Devant une salle de classe remplie d’ados rebelles, les profs doivent lutter pour se faire respecter et faire primer la discipline. «Aujourd’hui, ils se permettent de vous répondre avec insolence, ils refusent de rester tranquilles, de faire leurs devoirs. Quand on ose leur remonter les bretelles, ils jouent aux victimes en nous menaçant de nous envoyer leurs parents. Ils disent connaître leurs droits, mais ne connaissent absolument pas leurs responsabilités», indique l’enseignant.
Savoir se faire respecter, c’est tout ce que souhaitent les profs. Sauf qu’y arriver n’est pas toujours évident. Les remarques désobligeantes au collège ? Jane, également prof dans un collège d’État en a elle aussi entendu plusieurs et, à chaque fois, elle a dû lutter contre ses larmes pour ne pas s’effondrer en face de ses élèves : «Il n’y a pas de punition, pas de rappel à l’ordre qui marche. Nous ne pouvons que les laisser faire car nous ne pouvons agir. Les parents ont démissionné de leurs responsabilités. Quand on leur donne rendez-vous, soit ils ne viennent pas, soit ils sont eux aussi dépassés ou ils se rangent du côté de leurs enfants. Ils n’ont aucune emprise sur eux !» Souvent découragée par le manque d’efforts des élèves, elle subit de plein fouet le manque de reconnaissance envers son métier.
Heureusement, il y a aussi les bons élèves pour qui les profs ont envie de se battre et de se donner à fond. Les trouble-fêtes, eux, sont minoritaires mais leur comportement donne mal à la tête et ont cette capacité à nuire. Car, quand ils ne font pas leur désagréable, ils font l’école buissonnière ou alors sèchent les classes pour jouer aux cartes, boire ou fumer dans les toilettes, passent leur temps sur le terrain de foot, entre autres, au grand dam des profs et de la direction.
Le pire, explique Sweety, c’est que les enfants sont solidaires entre eux. Du coup, quand un incident survient, ils sont tous motus et bouche cousue. Et quand ils ont un prof dans leur collimateur, ils seraient capables de toutes sortes de petites ruses pour lui en faire voir de toutes les couleurs : «On travaille, on fait des sacrifices, on se met à leur service pour leur garantir un avenir solide, mais ils ne sont jamais d’accord avec les règles. Quand on les énerve, ils peuvent s’acharner sur nos biens et, malheureusement, ils restent impunis et ce n’est pas normal.»
Eric a récemment vécu une mésaventure qui lui est restée en travers de la gorge. Un de ses élèves, connu pour son mauvais comportement, lui a lancé un juron alors qu’il arrivait en classe. «Je lui ai réclamé des excuses mais il a refusé. Je l’ai emmené dans le bureau du recteur et on a appelé son papa. À ma grande surprise, celui-ci a pris fait et cause pour son fils en insinuant que j’avais menti et que son enfant n’aurait jamais fait une telle chose et que de toute façon, c’est de notre faute si jamais il a été déplacé. Je suis tombé des nues, je suis en colère, frustré et choqué», raconte le prof. Selon lui, les parents ont souvent tendance à tout mettre sur le dos des enseignants et de l’école, et à les prendre pour des «baby-sitters» : «On n’a plus de droit. On est impuissant. Le pire, c’est ce que tout ce qu’on dit et fait peut être retenu contre nous.»
Alors qu’il a toujours rêvé d’être enseignant, aujourd’hui, Eric décourage fortement ceux qui souhaitent lui emboîter le pas : «C’est un métier stressant. Les vacances ? C’est un mythe. On prépare sans cesse nos notes, nos lesson plans, nos research works, les papiers d’examens. On se donne à fond mais, au final, ils n’en n’ont rien à faire.» Pour être un bon prof, c’est sûr, il n’y a pas de recette infaillible.
Dans son livre, Graine de crapule (Dunod, 2004), Fernand Deligny, éducateur et collaborateur de la psychanalyste Maud Mannoni, décrivait l’impossible métier d’enseignant dans un recueil d’aphorismes. Il écrit : «Ce qu’il te faut faire, c’est te mettre devant et tirer, les tirer vers un but. Et tu peux t’arc-bouter, car c’est lourd et glissant. Pendant ce temps, bien occupé que tu es à les hâter vers la lumière et le soleil, ils vont chiper des poires dans les jardins voisins. Il faut donc te mettre derrière eux, pour les surveiller. N’ayant plus personne à suivre, ils s’égaient. Et tu rentres chez toi, bien dégoûté de ton nouveau métier de berger.»
Stress, fatigue, anxiété, dépression chronique… les maux dont souffrent les enseignants sont de plus en plus nombreux. Une récente étude sur la santé physique et morale des profs a récemment été menée en France. Pour ce faire, les cas de 2 500 enseignants ont été étudiés et il ressort que leur état est «préoccupant». Un prof sur cinq aurait une mauvaise santé. L’étude a, en effet, démontré que 34 % des profs de collèges et de lycées ont consulté un médecin en raison de lésions physiques ou psychiques au travail. Un quart d’entre eux ne se sentent pas en sécurité dans son établissement.
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