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9 octobre 2015 12:55
Côté face, il y a une société qui nous pousse à consommer toujours plus sans vraiment faire attention à ce que nous jetons à la poubelle. Côté pile, il y a des dizaines et des dizaines de familles qui vivent dans des conditions précaires et qui n’ont rien à se mettre sous la dent. C’est en cherchant une solution pour créer un pont de solidarité entre le gaspillage et la pauvreté que Julia Venn et Davide Signa ont lancé, en janvier, Manzer Partazer. Une initiative à but non lucratif, qui est basée sur la solidarité entre les hôteliers, les restaurateurs, les boulangers et des associations qui récoltent des denrées alimentaires pour les offrir aux familles qui en ont besoin.
Pour Julia Venn, une Allemande, et Davide Signa, un Italien, tout est parti d’un constat. À Maurice, comme partout ailleurs, le gaspillage de nourriture est une réalité qu’on a tendance à nier. Pourtant, les chiffres, souligne Julia Venn, engagée dans la gestion équitable de l’alimentation, devraient faire tiquer les consommateurs et les entreprises opérant dans ce secteur. Sur l’échelle mondiale, plus de 41 200 kilos de nourriture sont jetés chaque seconde dans le monde, ce qui représente un gaspillage alimentaire de 1,3 milliard de tonnes par an. En gros, 1/3 de la production globale de denrées alimentaires dédiée à la consommation est gaspillé. Et Maurice n’est pas en reste.
Mais grâce à la volonté de ces deux jeunes, installés chez nous depuis quelque temps, est né le mouvement Manzer Partazer, The Mauritian Food Sharing Project. «Le projet est basé sur une approche directe du partage de la nourriture, qui exploite le plus possible les ressources existantes pour créer une situation où tout le monde est gagnant, autant ceux qui donnent que ceux qui reçoivent, tout en respectant les normes sanitaires. Nous sauvons en quelque sorte la nourriture qui serait perdue, comme les restes des buffets des hôtels ou des restaurants ou les surplus de supermarchés et boulangeries, en la donnant aux gens qui sont dans le besoin grâce à un processus de partage de nourriture gratuit et facile à mettre en place», explique Davide Signa dont le seul objectif est que les plats des buffets ne finissent plus dans les poubelles, mais dans l’estomac des bénéficiaires des ONG pour qu’ils puissent manger à leur faim.
Julia Venn et lui agissent comme des facilitateurs entre ceux qui souhaitent offrir la nourriture qu’ils n’utiliseront plus et ceux qui ont besoin de trouver quelque chose à manger. Le but : réduire le gaspillage de nourriture de bonne qualité et consommable en la partageant. C’est ce que nous explique Julia Venn : «Nous travaillons avec des donateurs qui collectent et rendent accessibles pour nous leurs excédents de nourriture, ce qui leur permet de prendre un engagement environnemental et social, tout en diminuant leurs frais liés au recyclage des déchets. D’autre part, nous mettons en relation nos donneurs de nourriture et ceux qui la reçoivent, tels que les ONG, les centres communautaires, les orphelinats, les maisons de retraite et les écoles qui se sont engagés à recevoir la nourriture donnée et à la partager avec les personnes qui en ont le plus besoin. Cela permet d’augmenter la qualité des repas et de diminuer la malnutrition tout en supprimant les coûts d’achat et de préparation de la nourriture.»
Les donneurs disposent de contenants offerts par Manzer Partazer dans lesquels ils peuvent transporter la nourriture. Celle-ci est ainsi distribuée tous les jours ou quelques fois par semaine aux bénéficiaires qui ont été préalablement identifiés par les ONG et l’équipe de Manzer Partazer. Le système de travail des deux responsables du projet est bien rodé. «Nous prenons également en compte les restrictions alimentaires des communautés religieuses, par exemple, en faisant remplir aux associations un formulaire bien précis. Et pour ne pas créer de dépendance, nous souhaitons mettre en place une rotation, c’est-à-dire ne pas donner tous les jours ou tous les mois à la même association», explique Julia Venn. Ce projet novateur et fort louable a séduit de nombreuses personnes, dont la Commission de l’océan Indien qui travaille avec Manzer Partazer pour lancer cette initiative aux Comores, aux Seychelles et à Madagascar.
Outre le partage, Manzer Partazer prône une politique de «zéro frais». Selon la jeune femme, il n’y a pas de coût de packaging, pas de stock, pas de transport et pas de transformation de la nourriture qui entrent en jeu pour le donateur et le receveur. Ainsi, la nourriture est collectée gratuitement et distribuée par le personnel du donneur qui utilise ses propres moyens de transport sans avoir de coûts supplémentaires. Tout est donc gratuit pour tout le monde.
Cependant, tient à faire ressortir Julia Venn, ce n’est pas parce que c’est gratuit que les normes d’hygiène et de sécurité alimentaire ne sont pas respectées. Au contraire ! Leur projet, dit-elle, est conforme au Food Act. Toutes les mesures de sécurité sanitaire sont scrupuleusement respectées, ce qui fait qu’il n’y a aucun risque alimentaire pour les receveurs : «Il est important que les donneurs sachent qu’une fois que la nourriture qu’ils ont offerte quittent leur locaux, ils n’ont plus aucune responsabilité.» La question de sécurité est extrêmement importante pour Manzer Partazer.
Par ailleurs, pour prévenir une éventuelle implication judiciaire pour tout problème de nourriture, un contrat qui protège légalement tous les donateurs de nourriture a été mis en place. «Nous pouvons vous assurer en premier lieu que nos futurs donateurs et receveurs sont sélectionnés d’après nos critères pour assurer une consommation sans danger des aliments. Notre équipe accompagne les donateurs de nourriture et les receveurs pendant le déroulement du don et pour la partie logistique afin de s’assurer que les procédures sanitaires sont bien respectées et que rien n’altère la consommation des denrées récoltées», précise Davide Signa.
Depuis son lancement, de nombreux volontaires mauriciens se sont joints à la cause. Des jeunes de différentes universités, mais aussi des jeunes professionnels qui se sentent concernés par cette question de réduction du gaspillage alimentaire. Au fil des mois, l’équipe de Manzer Partazer a pris de l’ampleur et touché bon nombre de bénéficiaires. Cependant, la tâche, confie Julia Venn, devient de plus en plus difficile : «Malheureusement, les donneurs ne sont pas nombreux. Nous avons du mal à faire avancer la cause, car cette conception n’est pas encore bien ancrée dans les mœurs des Mauriciens. Nous sommes persuadés qu’il y a de la nourriture potable qui reste dans les grandes surfaces, les hôtels et les restaurants, par exemple. Nous lançons donc un appel pressant aux potentiels donneurs. Engagez-vous pour combattre le gaspillage et aider ceux qui vivent dans la pauvreté.» C’est leur appel pour une société où le gaspillage de nourriture n’aura plus sa place.
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