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15 avril 2015 16:34
Nicolas Ritter : Son histoire, sa bataille
Parce que l’accès à des soins de qualité pour tous, à l’égalité des chances et à la justice sociale est une notion essentielle à ses yeux. Parce que, pour lui, être séropositif ne veut pas dire être incapable de travailler, d’aimer ou de vivre en société. Parce qu’il croit de toutes ses forces en la possibilité d’une île Maurice qui viendra à bout du sida. Pour toutes ces raisons, Nicolas Ritter a fait de la lutte contre le VIH plus qu’un combat personnel.
Lorsqu’il apprend sa séropositivité en 1994, Nicolas Ritter, comme tout le monde à cette époque, pense tout de suite à la mort. Pour rester en vie, il se voit dans l’obligation de se rendre à La Réunion pour des traitements car, à Maurice, à cette époque, il n’existe aucun protocole de soin et d’accompagnement pour les personnes vivant avec le VIH. Là-bas, il rencontre un groupe de personnes de l’association RIVE (Réunion Immunodéprimé Vivre et Écouter) qui milite pour le bien-être des personnes vivant avec le VIH à La Réunion et dans la zone océan Indien.
Devant l’engagement militant de ces personnes dans la lutte contre le sida, Nicolas Ritter prend conscience de l’importance de combattre les préjugés qui entourent la maladie si on veut la vaincre. «Il me semblait inconcevable, injuste et révoltant qu’il puisse exister de telles différences autour de l’accès à l’information, à la prévention et aux soins dans l’océan Indien. Apprendre sa séropositivité à cette époque, c’était prendre conscience qu’on allait mourir assez rapidement. Je me suis donc dit : “Mourir pour mourir, faisons en sorte que le temps qui me reste à vivre puisse être un temps d’action, d’amour, de partage et de lutte contre les inégalités”. C’est la raison pour laquelle je suis retourné à Maurice et me suis engagé dans cette folle aventure», raconte Nicolas Ritter qui a créé PILS (Prévention information et lutte contre le SIDA) en 1996.
L’aventure commence avec un groupe d’amis. Ils n’ont pas grand-chose si ce n’est une volonté à toute épreuve. Leur objectif premier est de briser le silence autour de la maladie et de militer pour un accès plus rapide aux traitements vitaux. Depuis, Nicolas Ritter et son équipe sont sur tous les fronts, que ce soit pour l’amélioration de la qualité de vie des personnes vivant avec le VIH et leur accès aux systèmes de santé ou pour le respect de leurs droits humains constitutionnels. «Nous travaillons en réseau avec nos partenaires des secteurs public, privé et associatif, avec les organisations internationales, et, plus important, avec les personnes qui vivent avec le VIH, car il est primordial que les personnes concernées participent activement au changement qu’elles souhaitent dans leur vie», souligne-t-il.
Son parcours, son engagement et sa dévotion ont fait de lui une figure incontournable de la lutte contre le sida. Il y a eu des coups durs comme celui de constater un désengagement de la classe dans ce combat, mais il y a aussi eu de grandes joies. Il se rappellera certainement de cette jeune fille de 18 ans, née avec le virus du sida, qu’il a vu grandir et s’épanouir : «Nous l’avons sauvée elle et sa mère au moment de sa naissance. La maladie de sa mère était très avancée et la petite n’a pas pu échapper à la transmission. Néanmoins, grâce au courage dont ses parents ont fait preuve, grâce à la mobilisation des associations PILS et RIVE, et des formidables soignants, cette jeune femme est aujourd’hui en pleine santé, veut devenir médecin et trouver le remède contre le sida.»
Stéphane Oozeer : À jamais contre l’illettrisme
Il n’a, dit-il, jamais supporté l’injustice, principalement à l’encontre des enfants. Lorsqu’il s’est rendu compte du nombre d’enfants qui ne savaient ni lire ni écrire, Stéphane Oozeer n’a pu s’empêcher de vouloir faire bouger les choses. Mais son engagement et son dévouement pour l’alphabétisation remontent à un peu plus loin.
Alors qu’il est étudiant en Form I, il termine second de sa classe. Mais très vite, ses notes chutent. Aux examens du School Certificate (SC), rien ne va plus. Il échoue dans tous les sujets, sauf en français. Après une troisième tentative, il réussit au GCE O Level, fait son entrée dans le monde du travail en tant que manœuvre et pose des bornes pour définir les lotissements d’un morcellement. Entre-temps, il obtient un diplôme en génie civil et un autre comme arpenteur. Il décide alors de s’engager et de venir en aide à ceux qui, comme lui, ont eu à faire face à l’échec. «Le droit à l’éducation est un droit fondamental et universel qui doit être accessible à toutes les personnes sans aucune discrimination. Il est malheureux de constater qu’à Maurice, quand vous avez un peu plus de difficultés que les autres à maîtriser les lettres, on vous met dans un coin.»
Stéphane Oozeer intègre plusieurs associations avant de décider de tracer son propre chemin : «J’ai compris que cela n’allait pas marcher. J’avais déjà ma petite idée sur la question. Pour moi, il était évident que la méthode à utiliser devrait être la méthode syllabique et la langue d’enseignement, le français. Il me fallait juste trouver un local et j’ai débuté dans une salle généreusement offerte par les sœurs Salésiennes à Plaisance, Rose-Hill.» Grâce à l’aide d’une bénévole, il commence à travailler avec huit élèves de Std III et IV, qui n’arrivaient pas à lire. L’envie d’apprendre qu’il retrouve chez ces enfants l’encourage à continuer. Petit à petit, d’autres volontaires se joignent à la cause pour finalement créer l’association Alphalec.
Au quotidien, Stéphane Oozeer et son équipe apprennent à lire aux enfants qui n’y arrivent pas. Selon leurs estimations, 20 000 enfants seraient analphabètes. «La tâche est immense, mais pas impossible. En 2014, Alphalec a pu atteindre 264 enfants et nous sommes présents dans 14 régions à travers le pays et ce, sans aucune aide financière. Pour arriver à ce résultat, il nous a fallu animer des classes d’alphabétisation tous les après-midi et même les week-ends. Mais il est très difficile de trouver des volontaires pour nous aider dans ce combat», soutient Stephane. Sa plus grande victoire : assister à la transformation de ces enfants. Lorsqu’ils arrivent chez Alphalec, ils sont, dit-il, perdus et découragés. Mais au fil des semaines, ils font des progrès et ils retrouvent l’envie d’apprendre. C’est la plus grande récompense de Stéphane.
Cadress Rungen : Une vie à lutter contre la drogue
«Il y a bien plus de joie à donner qu’à recevoir.» Cette phrase a guidé Cadress Rungen tout au long de sa vie. Dans son parcours, il retrouve l’influence de son père : «Je me souviens qu’il m’emmenait à l’hôpital pour rendre visite aux malades qui n’avaient pas de famille. Pour Noël, il achetait des cadeaux qu’on distribuait aux enfants qui n’avaient rien.» En grandissant, il intègre différents groupes comme les scouts et le comité de quartier. Il côtoie la pauvreté et développe la solidarité, il devient patriotique et prend conscience de l’éducation et de l’entraide. À 17 ans, raconte-t-il, il voit un sérieux problème faire surface dans son quartier. Les jeunes, dont ses amis, fument de plus en plus le gandia. En 1983, il assiste aux débuts du Brown Sugar et à ses ravages.
Le déclic viendra d’un événement qui le marque à jamais. Un jour, un ami lui demande de l’accompagner à l’hôpital où il va déposer son frère toxicomane qui avait fait une overdose. «Je lui rendais souvent visite à l’hôpital et, un jour, il m’a demandé de lui rendre un service. Il m’a dit : “Cadress, va dire aux jeunes que la drogue, c’est leur ennemi numéro 1”. Il est mort quelques heures après dans mes bras.» Ce message le touche en plein cœur et il ressent le désir de s’engager. Les rencontres au cours de vie ont aussi été des moteurs, comme celle avec son ami Jean Maurice Labour qui, lors d’une discussion, lui parle de son inquiétude face aux nombreuses overdoses fatales. Une réalité qui l’interpelle. Sa première intervention dans la lutte contre la drogue a lieu à l’église Immaculée lors d’une causerie pour conscientiser sur ce fléau tellement tabou à l’époque.
À partir de là, il n’arrête pas. À défaut d’être médecin, il devient infirmier. À l’époque, dit-il, les autorités sont quasiment absentes du terrain. Avec d’autres compagnons de route, il met en place le premier centre contre la drogue. Pour lui, le travail se fait sur le terrain. Il va à la rencontre des usagers de la drogue, leur parle, les écoute, leur explique les ravages de cette addiction. Au fil des mois et des années, d’autres centres voient le jour grâce à son travail et à ceux de ses camarades. Il met en place des programmes de sensibilisation, de soutien, d’écoute pour les toxicomanes et leurs familles.
Lorsqu’il épouse Ragini, il se demande si elle va le suivre dans son combat, mais est vite rassuré. Elle lutte à ses côtés depuis 25 ans maintenant. Ensemble, ils s’installent à Cassis et forment le Groupe A de Cassis, un quartier où la drogue fait des ravages. Cadress continue à travailler pour mettre en place plusieurs centres à travers le pays, dont le centre Lotus en prison. En 2000, l’infection du sida à travers les seringues infectées se propage comme une traînée de poudre.
En 2006, Lakaz A voit le jour. «Le but est de les accueillir et de les écouter sans juger, sans dire “il faut que tu changes”. Parce que seul le toxicomane peut prendre la décision d’arrêter. On les suit et les soutient avant, pendant et après le traitement à la méthadone. Ils peuvent y prendre une douche, manger, se changer.» C’est Ragini qui s’occupe à plein temps de Lakaz A. Son fils aîné Dean, lui, est éducateur de rue pour la plus grande fierté de son père. Aujourd’hui, Cadress se consacre plus à la formation des jeunes et à la relève. Ce combat est, pour lui, une joie qu’il souhaite partager avec les autres et faire découvrir au monde. Voir un toxicomane s’en sortir et une famille revivre sont pour lui ses plus grandes satisfactions.
Brigitte Michel : Plus jamais de stigmatization
Lorsqu’un de ses proches tombe dans l’enfer de la drogue, elle ressent le besoin d’en savoir plus pour pouvoir aider cette personne à s’en sortir. Elle qui a toujours été sensible à la détresse des gens souhaite s’engager pour faire avancer les choses. Brigitte Michel rencontre Cadress Rungen, puis Danny Philippe et Nicolas Ritter, qui ont été, dit-elle, ses mentors. Alors qu’elle est Outreach Officer au SOS Village de Bambous, elle souhaite s’engager plus profondément dans la lutte contre le fléau de la drogue. Elle rejoint alors l’équipe de PILS, travaille chez Étoile d’Espérance avant de fonder, en 2009, sa propre association, AILES (Aides, Infos, Libertés, Espoir et Solidarité), à Mangalkhan, quartier où le nombre d’usagers de drogues illicites, de personnes infectées et affectées par le VIH et les décès de plusieurs jeunes drogués ne cesse d’augmenter.
Avec AILES, elle met en place des programmes pour accompagner et soutenir les personnes usant des drogues et les séropositifs dans leurs traitements ainsi que les familles de l’endroit. Elle fait aussi la guerre à la discrimination à l’égard de ces personnes. Pour cela, son équipe et elle organisent des campagnes de prévention et de sensibilisation sur le VIH, les drogues, les hépatites et les comportements à risques, et participent aussi pleinement à divers événements comme le National Candelight et le World Aids Day. En 2013, elle est candidate au concours Women for Change à Deauville et sort parmi les cinq gagnantes.
Au sein d’AILES, son action consiste à coordonner tout le travail de terrain et de bureau, à organiser des réunions d’équipe, à mettre en place des stratégies pour trouver des fonds, entre autres. Si Brigitte Michel est bien convaincue d’une chose, c’est que les usagers de drogues et les personnes vivants avec le VIH sont les personnes les plus rejetées et les plus stigmatisées de la société mauricienne : «Je suis persuadée que ces personnes sont des victimes.» Les échecs, dit-elle, il y en a toujours. Lorsque le travail abattu s’écroule, que des gens meurent d’overdose ou que ceux qui sont sur méthadone sont traités comme des parias ou encore n’arrivent pas à se faire entendre et respecter, Brigitte Michel, elle, ne perd pas la foi. «Ma plus grande fierté, c’est de voir un client malade se relever et vaincre le sida. Il y a aussi la joie de rencontrer les personnes qu’on a soutenues et accompagnées, et qui reviennent du programme de la méthadone pour dire qu’elles vont bien, qu’elles se sont réconciliées avec leurs parents et qu’elles ont trouvé du travail», déclare-t-elle.
Pour Brigitte Michel, quelqu’un qui est dépendant de la drogue reste un humain malgré tout, une personne qui a des sentiments, une dignité. Ne pas prendre en considération les besoins de cette personne est, à ses yeux, injuste et inacceptable. Déterminée dans son combat, elle pousse aussi des coups de gueule contre les autorités qui, dit-elle, ne s’impliquent pas suffisamment dans ce combat : «En 2015, les tabous sont toujours présents et quand ces tabous, ces préjugés se retrouvent chez les décideurs politiques, c’est grave.»
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