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24 février 2015 04:25
«Il a eu une belle mort…» Cette expression est souvent utilisée pour évoquer le décès de quelqu’un qui a eu une mort douce, paisible, au bout de l’âge. Même si ce départ reste toujours aussi douloureux, les proches ont tendance à mieux le vivre, car le fait que celui-ci ait été prévisible est plus facile à accepter. Par contre, tel n’est pas le cas quand on perd un proche brutalement dans un accident, une noyade, un suicide, un meurtre ou un autre événement dramatique. La mort, dans ces cas-là, est violente et pour ceux qui restent, le chagrin est foudroyant. On se rend soudain compte qu’on n’a pas pu faire nos adieux à l’être cher, qu’on ne le verra pas demain, qu’on ne l’entendra plus jamais. Ce départ brutal que rien ne laissait présager frappe tel un ouragan bousculant tout sur son passage. Dans ces moments-là, on a l’impression qu’on ne pourra jamais surmonter sa peine.
Cela fait plus de deux ans que les réunions familiales chez les Sheoraj ne sont plus les mêmes. Chaque fête, chaque anniversaire, est une occasion de plus de parler de Rajkumar, de ce qu’il aurait dit, de ce qu’il aurait fait. Le deuil est douloureux et le chemin est long avant d’arriver à accepter la mort d’un proche dans des conditions tragiques et de reconnaître qu’il ne sera plus là. Manita, la sœur de Rajkumar, en sait quelque chose : «Nous ressentons toujours son absence. C’est très dur, mais nous faisons en sorte de nous souvenir toujours autant de lui. Son épouse parle tout le temps de lui à leur fille qui avait 5 ans au moment du drame. Quand j’offre un cadeau à notre mère, j’écris mon nom et celui de mon frère. Nous avons fait une récente photo de famille et grâce à Photoshop, nous avons pu l’intégrer sur cette photo. Nous faisons tout pour le garder vivant.»
Le 18 décembre 2012, le constable Rajkumar Sheoraj, alors en patrouille dans la région de Flic-en-Flac, a été fauché de plein fouet par un conducteur qui était sous l’emprise de l’alcool. Manita, dont il était très proche, garde des souvenirs douloureux de ce jour : «J’ai reçu un appel vers 1 heure du matin, m’informant que mon frère avait eu un accident. Je me suis immédiatement rendue à l’hôpital et là, j’ai appris qu’il est décédé. Les mots ne sont pas assez forts pour décrire ce que j’ai ressenti sur le moment. J’ai senti mon cœur se déchirer de douleur. Ma mère et ma belle-soeur étaient inconsolables et sous le choc. Elles le pleurent toujours. Il a laissé derrière lui une enfant. C’est tellement injuste.»
Le choc, la détresse, la colère…
Injustice. C’est bien souvent ce que ces familles ont le sentiment de vivre. Dans leur tête, les questions se bousculent : pourquoi lui ? Pourquoi si jeune ? Est-il mort tout de suite ? A-t-il eu mal ? Des interrogations qu’elles ruminent sans cesse et qui restent, bien évidemment, sans réponse. La mort, qui surgit comme un voleur, ne laisse aucune possibilité de préparation. Elle arrache par surprise, laisse une plaie béante dans le cœur et bouleverse à jamais les plans d’une vie.
Rajshree Bulatoo parle souvent de son époux à ses trois enfants qui gardent encore des souvenirs de leur père. Son décès, il y a quatre ans alors qu’il était en service, les a marqués à jamais. Chandraduth Bulatoo, 37 ans à l’époque et policier de son état, effectuait un simple contrôle de routine lorsqu’il a été violemment heurté par un chauffard. Son corps, nous raconte son épouse, avait été retrouvé à 20 mètres de l’impact. Il est mort sur le coup. La violence inouïe avec laquelle son mari s’en est allé l’a alors hantée. Elle est passée par plusieurs phases, plusieurs émotions : le choc, la détresse, la colère. Puisqu’elle ne s’inscrit pas dans l’ordre naturel des choses, la mort violente engendre souvent une vive colère chez les endeuillés. Ils ont besoin de trouver le responsable et de réclamer justice.
C’est justement pour cela qu’il y a quelques semaines, Manita a décidé de faire une marche pacifique avec l’aide des autres familles de policiers tués en service. Non seulement pour conscientiser sur les dangers de la route, mais aussi pour dénoncer le manque ou la légèreté des sanctions prises à l’encontre de ceux qui commettent de tels délits. «La douleur causée par le décès de mon frère est pénible et difficile à surmonter. Nous sommes d’autant moins apaisés vu que le verdict de la cour contre le chauffard a été banal. Quand nous avons su que celui qui avait tué mon frère avait reçu une simple amende et une interdiction de conduire pendant six mois, nous avons été bouleversés, écoeurés», avoue Manita. Elle souligne que sa famille fera bientôt appel de ce jugement.
Rajshree et ses enfants ont aussi tenu à participer à cette marche. Comme de nombreuses autres familles, elle a également porté plainte. Mais le chauffeur impliqué dans la mort de son mari, déclare-t-elle, n’a reçu qu’une amende de Rs 50 000 et a vu son permis de conduire être suspendu pendant six mois. Une sentence trop minime pour une perte aussi grande, assure cette épouse dont le chagrin est encore vivace : «Mes enfants parlent toujours de leur père. Nos discussions tournent souvent autour de lui. Vous ne pouvez pas savoir comme c’est difficile de se battre tous les jours contre ce chagrin immense. J’élève seule mes trois enfants et je me débrouille comme je peux. La vie n’est plus pareille sans lui.»
Comprendre, accepter et survivre
Comme dans bien des cas, lorsque la mort est imprévisible, toutes les formalités qui suivent un décès sont encore plus difficiles à affronter. Souvent, on n’a pas planifié toutes ces choses-là, on n’a jamais vraiment parlé de ce qui se passerait au cas où l’un des partenaires ne serait plus là.
La mort d’un enfant bouleverse également et irrémédiablement l’ordre logique des choses. Car, dans la pensée collective, ce sont les parents qui s’en vont les premiers. Ainsi, perdre son enfant est l’une des pires épreuves qui soient pour un parent. Voir cet enfant que l’on a tant espéré, tant attendu et tellement aimé, pour lequel on rêvait déjà d’un avenir prometteur, s’en aller de manière trop tôt et de façon brutale, est une douleur qui meurtrit ces parents au plus profond d’eux-mêmes. Nicole Kalee a perdu sa fille, Anne-Christine, âgée de 18 ans au moment des faits, dans un terrible accident de la route, alors que celle-ci se rendait à l’école. La jeune fille se trouvait ce matin-là à la gare de Quatre-Bornes, attendant l’autobus qui la mènerait à son collège, lorsqu’un bus l’a mortellement fauchée. Sa mère était en route pour son travail lorsqu’elle a appris qu’un accident impliquant une jeune étudiante venait de se produire. Quand elle apprendra qu’il s’agit de sa fille, elle sentira le sol se dérober sous ses pieds. Incapable de se relever et de regarder en face cette dure réalité.
Elle mettra du temps avant de comprendre, d’accepter, de survivre. Elle a cru mourir avec sa fille. À un moment, elle s’est même demandée si elle pourrait vivre de nouveau. Nicole faisait alors face à un second drame puisqu’elle avait perdu son époux quelques années plus tôt. «J’ai fait une longue dépression et j’ai dû avoir de nombreuses séances chez le psychologue pour pouvoir reprendre pied», confie-t-elle. Avec le temps, la douleur poignante s’est estompée, sans pour autant disparaître. Petit à petit, Nicole s’est relevée, puisant sa force en Dieu : «La prière m’a beaucoup aidée. Dieu m’a donné une force intérieure incroyable et le courage de continuer à vivre.» Son plus grand moteur, c’est sans aucun doute sa seconde fille, Mélissa, pour qui elle a voulu être une maman forte et courageuse. «Aujourd’hui, je peux dire que je suis heureuse. J’ai une vie équilibrée. Je travaille. Je me suis remariée. J’ai construit ma maison. Je m’occupe de ma famille. Ma plus grande fierté, c’est de voir Mélissa qui s’apprête à finir ses études à l’université. C’est une très belle jeune femme», raconte Nicole.
Les années ont passé et elle a souhaité se concentrer sur son avenir et celui de sa fille. Elle pense souvent à Anne-Christine, mais est incapable d’en parler. «C’est une blessure sur laquelle j’ai mis un pansement. À chaque fois que je parle d’elle, je plonge de nouveau dans cette profonde tristesse. J’arrête de respirer. Je ne sens plus mes jambes», dit-elle. Dans pareille situation, Nicole se demande ce qu’Anne-Christine serait devenue aujourd’hui. Elle serait certainement une jeune femme professionnelle et épanouie. Probablement mariée aussi, pourquoi pas. Dans ces moments-là, elle la voit, elle se souvient de ce beau sourire qu’était le sien. Son enfant n’est plus là, mais vit dans son cœur de mère. Et puis, Nicole referme ce pansement afin de continuer à vivre, à avancer, à sourire à la vie.
Pascale Inassee Bodet, psychologue clinicienne : «Ne pas parler de la personne décédée n’est pas une bonne chose»
Le deuil est un événement douloureux. C’est un mélange de plusieurs sentiments, plusieurs émotions qui déstabilisent. Comment aborder et faire face à cette étape de la vie ?
Le deuil est une perte, un passage naturel dans le cycle de la vie. Il y a la naissance, l’adolescence, le passage à la vie d’adulte et ainsi de suite. La mort est le passage de la vie à un autre état, mais on ne peut pas mettre une image et des mots dessus. C’est justement cette dimension de l’inconnu qui rend le deuil difficile, car personne ne sait ce qu’il y a après la mort. Tout dépend de nos croyances, de notre religion. Ceux qui ne sont pas religieux vont se rattacher aux croyances scientifiques. Le deuil se déroule en plusieurs étapes : choc, sidération, déni, colère, tristesse et ensuite acception. L’objectif, après toutes ces étapes, c’est de construire une relation de souvenirs avec le défunt.
Après avoir accompagné un proche atteint d’une maladie grave, le choc de son décès, aussi déchirant que cela puisse être, est un peu moins ébranlant qu’une mort soudaine et brutale. Peut-on se préparer à la mort de quelqu’un ?
C’est possible de se préparer à la mort, mais ça ne veut pas dire qu’on ne va pas souffrir. Le choc n’est pas aussi brutal qu’une mort par accident, par suicide et autres. Quand les circonstances de la mort sont tragiques et soudaines, il y a plusieurs situations qui font que le processus de deuil devient difficile. Par exemple, quand il n’y a pas de corps, c’est encore plus difficile de faire ce travail de deuil parce qu’on a l’impression que la personne pourrait revenir. On a toujours en tête qu’elle n’est peut-être pas morte. Du coup, on peut rester dans le déni et le travail de deuil devient très compliqué.
Les proches peuvent-ils aider à faire le deuil ? Souvent, on préfère ne pas parler du défunt de peur de réveiller les souffrances. Est-ce une bonne chose ?
Mettre des mots sur notre tristesse, s’exprimer, c’est l’un des aspects importants du deuil. Accepter aussi que ce sera un moment de souffrance. Ne pas parler de la personne décédée n’est pas une bonne chose. Il faut se poser, en pleurer. Ce sont des étapes humaines. On ne peut s’empêcher d’être triste. Certains essaient de réprimer leurs émotions, mais cela ne fait que retarder le processus de deuil.
Souvent, les proches des défunts veulent connaître les faits exacts du drame. Ils font appel à la justice pour, en quelque sorte, rendre justice au défunt. Cela fait-il partie du processus de deuil ?
Dans certains accidents ou quand il y a faute médicale, par exemple, il peut y avoir un sentiment d’injustice qui est légitime. Les proches ressentent un désir de réparation qui passe par la justice. Dans d’autres situations, cela peut être synonyme d’un deuil compliqué. Quand il n’y a pas de preuve d’injustice, par exemple, et que les proches réclament quand même justice, car ils cherchent un responsable, ils ne font que projeter leur colère sur une tierce personne.
La mort d’un enfant est un drame, probablement le plus douloureux de tous et souvent inacceptable. Elle plonge dans une détresse incomparable. Pourquoi ?
Dans nos croyances, on s’attend à ce que les parents meurent avant les enfants. C’est la logique des choses. Et le cas contraire dérange l’ordre des choses. Ce n’est pas une loi à laquelle on s’attend. Le deuil est encore plus dur. Les étapes du deuil seront les mêmes, mais elles seront plus intenses.
Comment faire pour sortir de ce marasme ?
En parler et accepter de prendre du recul pour vivre ce temps de deuil est une étape importante. Les rituels le sont tout autant parce qu’ils nous permettent d’accompagner nos morts dans ce passage. Mais ils le sont aussi pour nous, car ils nous permettent de marquer ce temps de séparation en étant entourés et d’honorer la mémoire des défunts.
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