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Mortalité infantile : L’impossible deuil des mamans

6 septembre 2014

Perdre un enfant est la pire des épreuves pour une mère.

Elle l’imagine encore. Ses petits doigts roses, ses yeux qui s’entrouvraient à peine, la douceur et la chaleur de sa peau. Des souvenirs douloureux d’une joie trop courte suivie d’une souffrance à vie. Sa petite Sofia aura, pour toujours, trois mois. Même si, parfois, Nafisah essaie de la retrouver dans le visage de sa petite sœur qui est, elle, âgée de cinq ans, aujourd’hui.  Faire le deuil de cette enfant désirée, aimée et pleurée, est impossible pour la jeune femme. Si ça fait dix ans que son bébé est décédé, elle n’a pas encore, accouché de la souffrance. Sa peine vit toujours en elle. 

 

Comme une mélodie triste qui vient tisser un voile de souffrance, même les plus beaux jours. «Une partie de moi est morte avec elle», confie cette maman qui pleure encore son inimaginable perte. 

 

Comme elle, certaines femmes font face à cette terrible souffrance. Et les derniers chiffres font réfléchir. La mortalité infantile est en hausse selon le rapport de Statistics Mauritius, publié il y a quelques jours : Population and Vital Statistics. De janvier à juin, 104 enfants de moins d’un an sont décédés. Ils étaient 83, pour la même période, en 2013. Il s’agit de chiffres de mortalité infantile : une statistique calculée par rapport au nombre d’enfants morts avant l’âge d’un an (malformation, mort subite du nourrisson, infection, entre autres causes).  Cette hausse inquiétante de 25,3 % fait donc réfléchir sur le nombre croissant de césariennes, la prise en charge des nouveau-nés et le suivi des enfants. Une réflexion nécessaire car perdre un enfant est la pire des épreuves pour une mère. Nafisah le sait.

 

Sofia a vu le jour après sept mois de grossesse. Une prématurée. Mais pas trop : «Les médecins disaient qu’elle allait vite se remettre.» Sa chambre était prête, ses chaussons en laine et ses bonnets avaient été tricotés par sa grand-mère. Il y avait du rose partout à la maison. Et du bonheur, beaucoup de bonheur : «J’avais toujours rêvé d’être maman. Mon époux était comblé. Nous formions enfin une famille.» Les nuits blanches, l’angoisse des jeunes parents, les moments câlins, Nafisah se souvient de tout : «Je venais voir si elle respirait. J’avais peur de la perdre. Je n’avais jamais senti autant d’amour et de peur.» 

 

Aimer son enfant, c’est un peu s’oublier et oublier le monde. Sofia était devenue sa vie. Le cœur de son univers. Et c’est un soir d’été, alors que le monde s’était couché depuis longtemps, que sa vie a basculé dans le noir : «Je me suis réveillée, j’avais les seins engorgés. Sofia ne s’était pas réveillée pour sa tétée. J’ai réalisé qu’elle ne respirait plus.» Les années ont passé, mais il n’est pas plus facile pour elle de raconter ce cauchemar : «J’ai hurlé. Mon mari s’est réveillé.» À partir de là, tout est flou. Elle se rappelle du bruit assourdissant des battements affolés de son cœur, de la sensation de vide, de la sensation d’infinie tristesse : «Mais au fond de moi, je m’accrochais à l’espoir qu’elle aille mieux.»

 

Mots apaisants

 

Malheureusement, Sofia était déjà morte : «Son cœur a arrêté de battre. On nous a dit que c’étaient des choses qui arrivaient. Surtout qu’elle était prématurée.» Des jours qui ont suivi, elle ne se souvient que de ses pleurs, de cet immense vide et de ce sentiment destructeur de n’avoir pas été à la hauteur : «Je me sentais responsable. Je croyais que je n’avais pas été une bonne maman.» Le berceau vide, les vêtements de bébé (qu’elle conserve encore au fond de sa penderie), le lait qui ne servirait plus et qui lui comprimait la poitrine : toutes ces choses du quotidien creusaient le chemin de sa dépression. Des idées noires, des envies de mourir ; sourire lui était devenu impossible. Son mari s’était lui éloigné : «Nous n’étions plus un couple. Nous étions devenus deux personnes qui souffraient chacun de leur côté.»

 

Malgré les conseils des aînés, leurs mots apaisants et leur présence, Nafisah sombrait : «Je ne sortais plus, je m’alimentais par nécessité. Toutes les choses que j’aimais faire n’avaient plus aucune saveur. Je ne me reconnaissais plus. J’avais été une maman. Je n’étais plus rien.» Des mois d’une vie volée. Des heures interminables à refaire son histoire, à faire revivre Sofia : «Puis, mon mari a décidé qu’il fallait nous sortir de cette tristesse. Nous sommes allés voir un psychologue puis un psychiatre. J’ai pris des médicaments pour soigner ma dépression. Et j’ai remonté la pente.»

 

Un peu plus tous les jours : «Ça n’a pas été facile. Mais je l’ai fait. Je ne sais pas comment. J’ai repris le travail. Nous avons reconstruit notre couple. Sofia est toujours présente en nous. Elle nous accompagne et elle veille sur nous.» La vie a continué et elle a fini par reprendre ses droits : «Je suis tombée enceinte à nouveau. C’était le retour de l’angoisse et d’une peur insidieuse qui ne me quittait plus.» Les neuf mois de grossesse ont été une lente agonie physique et psychologique. 

 

La naissance, à terme, une délivrance de courte durée : «Pendant les premiers mois, je ne dormais plus. Je veillais sur ma fille à chaque seconde. Je craignais le pire. Je priais sans cesse. Je faisais des marchés avec le destin. Je me disais : je ne respire pas pendant une minute, ça lui donnera de la vie.» Aujourd’hui, le temps a apaisé les choses. Sa seconde fille a grandi et se porte bien : «Je reste une maman trop protectrice, trop angoissée… Mais j’essaie de me calmer pour ne pas l’étouffer.»

 

Sofia est toujours là, omniprésente malgré son absence. Elle a une belle vie dans le cœur de sa mère : «Il ne se passe pas un jour sans que je ne pense à elle. Dans mon cœur, elle grandit avec sa sœur. Parfois, pour atténuer la douleur, je me dis qu’elle et sa sœur ne font qu’un. Je sais que c’est malsain.
Mais chacun gère ses épreuves à sa façon. J’ai appris à ne pas être trop sévère avec moi-même.»

 

Se donner du temps : celui de pleurer, d’aimer et de laisser partir. C’est le combat d’Anouchka, au quotidien : «Je le dois à mes deux autres enfants. Ils me permettent de m’en sortir tous les jours. De ne plus me recroqueviller sur moi-même les jours qui sont ceux de Théo.»

 

Le jour de sa naissance, le jour de sa mort. Entre ces deux dates, deux semaines se sont écoulées. Quatorze jours et des poussières. Des instants de vie et d’amour bien trop courts : «Il avait une malformation du coeur. Il n’est jamais rentré à la maison. Il est mort à l’hôpital.» C’était il y a quinze ans et l’évocation de ce souvenir fait, encore et pour toujours, naître des larmes dans les yeux d’Anouchka : «Ce n’est pas normal de voir mourir son enfant. C’est inhumain. Porter un enfant pendant neuf mois, l’aimer avant même de le tenir dans ses bras, l’imaginer dans toute sa splendeur, penser à sa vie future et le perdre, c’est horrible.» Le minuscule cercueil, la mise en terre, l’impossible adieu hantent ses nuits depuis.

 

Force de vivre

 

Et si la venue de ses deux autres enfants a calmé la douleur et lui a redonné la force de vivre, Théo a une place bien spéciale dans son cœur : «Je l’aime, tout simplement. Et il me manque. J’imagine l’adolescent qu’il aurait pu être. J’imagine la vie de famille que j’aurais eue.» La mort de son fils a signifié la mort de son couple : «À l’époque, on n’allait pas voir le psychologue. On gérait chacun sa peine. Mon ex-mari voulait aller de l’avant très vite. Je n’y arrivais pas. Il n’avait pas eu Théo en lui. Il n’était pas encore papa. Moi, j’étais déjà maman à partir du moment qu’on m’avait appris que j’étais enceinte.» Les deux années qui ont suivi la mort de son fils se résument à un seul mot : cauchemardesque. 

 

Anouchka arrête de travailler, retourne vivre chez ses parents, se bat contre une dépression (non diagnostiquée), s’effondre à chaque fois qu’elle voit un enfant, fait une tentative de suicide, puis une deuxième. Elle est sauvée in extremis par ses parents : «J’avais 22 ans. Je n’avais pas les armes pour combattre ma peine. Enfin, je crois qu’on n’est jamais en âge de faire face à ça.» À la troisième tentative, la plus grave, ils la placent en hôpital psychiatrique : «Ça a été comme un électrochoc. Je comprends maintenant qu’ils le faisaient pour mon bien. Mais à l’époque, j’étais tellement en colère.» Pour sortir de là, elle n’a qu’un choix : se reprendre en main. Et vite : «Je voulais mourir, mais pas comme ça. Pas dans ce lieu.»

 

Elle survit à deux mois d’internement et elle en ressort beaucoup plus forte : «Pour y arriver, j’ai rangé Théo dans un coin de mon cœur. Je me suis forcée à faire comme s’il n’avait jamais existé. J’ai effacé ma vie d’avant. Il fallait que j’avance.» Et elle se décide à la reconstruire au plus vite. Au bout de six mois de relation, elle se met en couple avec un autre homme, tombe enceinte quelques semaines après et accouche d’une petite fille en bonne santé : «C’est là que Théo est revenu. Je m’étais préparée à ce moment. Je pouvais l’accueillir avec beaucoup plus de sérénité. Et il est toujours en moi.» Elle n’en parle jamais aux autres, se contente des conversations avec son fils disparu, de lui raconter ses journées, ses peines et ses joies : «Un jour, je le reverrai au paradis. C’est une idée qui m’aide à tenir le cap.»

 

Les jours de grande tristesse, elle imagine cette rencontre. Elle voit ses minuscules doigts, ses beaux yeux noirs et elle rêve de sentir la chaleur et la douceur de sa peau… 

 


 

Le saviez-vous ? 

 

Une bonne nouvelle ! Si tout se passe bien, il se pourrait que les bébés susceptibles d’être victimes de la mort subite – ou inattendue – du nourrisson puissent être diagnostiqués. Ces décès, qui concernent les petits âgés de un mois à un an, sont sans causes identifiées et soudains. Le Dr Hannah Kinney, neurologue à l’hôpital pédiatrique de Boston, a identifié, avec son équipe de chercheurs, une forme de vulnérabilité du cerveau chez certains bébés ; des anomalies qui viendraient perturber la respiration, le rythme cardiaque, entre autres. Et cela provoquerait leur mort précoce. «Ce sont ces anomalies qui vont empêcher le bébé de se réveiller quand sa température est trop élevée ou en cas de mauvaise ventilation», explique le médecin dans un article publié dans la revue Pediatrics. Les recherches se poursuivent pour élaborer un test qui permettra de détecter cette vulnérabilité. 

 

 


 

Le deuil : tout un travail 

 

Le site http://www.pediatre-online.fr/ consacre un excellent article à l’importance du deuil pour les parents. En voici quelques extraits. Pour retrouver l’intégralité du texte, cliquer sur ce lien : bit.ly/1u2OuTG.

 

«La mort d’un enfant est considérée, aux yeux de tous, comme profondément injuste. Elle provoque un ébranlement émotionnel considérable, surtout lorsqu’elle survient soudainement…»

 

«Contrairement à ce qui se dit beaucoup actuellement, le deuil n’est pas une série d’étapes que l’on franchirait pour arriver à une conclusion à un moment donné. Il est réactivé, poursuivi, élaboré au cours des événements de la vie du couple. C’est un processus de toute une vie, un long travail intérieur pour ceux qui demeurent pour toujours parents de leur enfant dans son absence.»

 

«Le deuil est accompagné d’angoisse et de culpabilité. Cette culpabilité est liée en profondeur à l’ambivalence de nos sentiments, au fait qu’une part de négatif est toujours liée à du positif.»

 

«C’est en cela que consiste le travail du psychologue : être là, aux côtés de l’autre, l’écouter pour lui permettre de formuler pour celui à qui il s’adresse, et du coup pour lui-même, ce qui est son chemin à lui, son chemin de vie qui inclut la mort.»

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