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Relation mère-enfant : Un cordon difficile à couper ?

28 avril 2014

Sherianne est très proche de sa mère.

Je l’aime. Elle me pourrit la vie. On s’adore. On se déchire. Avec sa mère, les relations sont la plupart du temps complexes et intenses. Protectrice, exemplaire, fusionnelle, mais aussi parfois étouffante et exigeante… la mère marque de son empreinte la vie de son enfant. Ne pas être proche de sa mère, c’est difficile. L’être beaucoup trop peut rendre périlleuse la quête de son propre chemin. Dans les premières années, mère et enfant ne forment souvent plus qu’un et partagent une relation presque exclusive qui, cependant, peut parfois devenir toxique au fur et à mesure que l’enfant grandit, si justement ce fameux «cordon» n’est jamais coupé. Se détacher, grandir, s’épanouir, s’émanciper hors du giron maternel est une opération délicate, mais nécessaire à l’éclosion de la personnalité d’une personne. 

 

En pratique, le cordon, Preety Aubeeluck l’a coupé il y a sept ans, le jour où elle a quitté le pays. Si elle mène aujourd’hui sa propre vie loin du giron maternel, la présence de sa mère dans son existence a toujours toute son importance. «Mon inspiration», «mon courage», dit-elle.  

 

Voilà sept ans que Preety et Ragini sont séparées. 

 

Quand il s’agit de parler de sa maman, la jeune femme est très volubile. Ragini, sa mère, est pour elle sa plus grande force. Elles sont très proches l’une de l’autre et la complicité qui les unit ne s’est pas altérée, bien que Preety ait quitté le pays, il y a sept ans, pour mettre le cap sur l’Angleterre. La séparation, bien qu’elle ait été dure, n’a fait que raffermir les liens qui les unissent. «On se parle tous les jours. Elle m’appelle tous les soirs pour me demander comment était ma journée, ce que je fais, entre autres. Il n’y a pas eu un seul jour depuis sept ans où elle n’a pas appelé pour prendre de mes nouvelles. Le fait que je sois partie n’a rien changé à notre relation, bien au contraire», raconte la jeune femme. 

 

Si elle considère sa mère comme une amie, Preety est tout de même consciente que celle-ci la voit toujours comme sa petite fille et que «ça prend du temps pour qu’elle me voie comme la jeune femme que je suis devenue». Semblables sur bien des points, Preety et Ragini ont le même caractère. «Ce qui n’est pas toujours une bonne chose», estime la jeune femme qui rigole souvent du fait qu’on la prenne pour la sœur de sa mère. Qu’elles soient si proches, raconte Preety, n’empêche pas qu’elles partagent des avis divergents, qu’elles ne soient pas toujours d’accord sur tout. «Mais ma mère me connaît mieux que personne et on arrive toujours à surmonter nos différences. On a toujours besoin de sa mère, la mienne me manque beaucoup, mais je sais que même si elle est loin, elle sera toujours là pour moi», souligne Preety. 

 

«Fils à maman»

 

Les gens ont souvent tendance à croire qu’il est beaucoup plus difficile pour les hommes de se défaire de ce lien quasi exclusif qui les lie à leur mère. Il n’est pas étonnant d’entendre d’ailleurs des réflexions, comme «fils à maman» ou encore «il est toujours dans les jupes de sa mère». Pourtant, cette réflexion pourrait bien relever d’une idée reçue. Selon Marie Lion-Julin, psychanalyste et auteure du livre Mères : libérez vos filles, le fils affirme sa virilité pour se libérer de l’emprise de sa mère alors que, pour la fille, il en est autrement : «Entre mère et fille, plus encore qu’entre mère et fils, il y a une relation en miroir, et un risque d’abus identitaire. La fille attend de sa mère la transmission de la féminité. La période pré-oedipienne dure plus longtemps chez la fille. Elle a d’autant plus de mal à couper le cordon que sa mère n’est pas prête non plus à la laisser partir. On ne libère pas si facilement ses filles. Surtout à l‘époque où les diktats de beauté et de mode incitent les femmes à rester connectées au monde des plus jeunes !»

 

Les relations mères-filles sont souvent très fortes. Comme celle qui unit  Sherianne Lanfray et sa mère qui ne peuvent se passer l’une de l’autre. Sans elle, dit-elle, «je ne suis rien». Fusionnelles, mère et fille partagent une relation toute en symbiose. «Dans nos joies et dans nos moments difficiles, nous sommes tout le temps là, l’une pour l’autre, et ce sera toujours ainsi. On s’entend vraiment bien et, comme dans toute relation mère-fille, nous avons des conflits qui ne durent pas», explique Sherianne. Ces conflits surviennent quand la jeune femme essaie de préserver un peu de son intimité bien qu’elle se confie toujours à sa mère qui la voit toujours comme sa petite fille : «Parfois, elle se montre un peu trop protectrice, mais je pense qu’elle réagit ainsi car elle se soucie de mon bien-être et veut le meilleur pour moi.» 

 

Le phénomène de mère-copine est apparu, selon la psychanalyste et psychologue Malvine Zalcber, dans les années 1970. Les nombreux coups de fil quotidiens, les demandes de conseils récurrentes, les confessions sur sa vie sentimentale, sa vie de couple ou de famille, font aussi partie des relations modernes et étroites entre mères et filles. Pourtant, selon la spécialiste, avoir un comportement excessif «peut faire écran et dissimuler des cordons mal coupés ou des relations fusionnelles». Où se termine la complicité et où commence le non-respect de la vie privée de son enfant ? Telle est la question. Bien qu’elle soit très proche de sa mère, Sherianne aurait aimé, dit-elle, avoir un peu plus d’intimité : «Parfois, ça m’énerve qu’elle veuille tout savoir sur ma vie privée, mais après, je me dis qu’elle essaie simplement de me garder on the right track comme on dit.» 

 

Les garçons ne sont pas épargnés par ce phénomène, loin de là. Il a fallu plusieurs années à Yannick Guylène pour se rendre compte qu’il ne voulait plus laisser sa mère gouverner sa vie privée. L’amour qui les lie est certes, inconditionnel, mais les désirs de l’un et les attentes de l’autre ont fini par les éloigner l’un de l’autre. «Quand j’étais petit, c’était toujours elle et moi. Nous étions vraiment proches. Et puis, les années passent et on grandit. On change, on a des ambitions différentes et qui ne sont pas comprises. Du coup, il y a des clashs», confie le jeune homme qui a fini par prendre ses distances de sa mère. Selon lui, le fait qu’ils aient le même caractère n’a pas aidé à arranger les choses.  

 

Yannick refuse que sa mère gouverne sa vie privée. 

 

Par jalousie ou tout simplement parce qu’elles se rendent compte qu’une autre femme prendra une place tout aussi importante dans la vie de leur fils, les mères peuvent se transformer en des belles-mères pas très commodes pour la femme de leur fils. Cette guéguerre, explique Yannick, a bien eu lieu entre son épouse et sa mère. Cela fait trois mois qu’il n’a, avoue-t-il, pas adressé la parole à sa mère : «Aujourd’hui encore, elle veut trop diriger ma vie. Elle pense qu’elle me connaît plus que moi-même et ça, je ne crois pas que ce soit possible.» Cependant, cette distance a fini par le faire réaliser que l’amour qu’il porte à sa mère sera toujours aussi fort que quand il était petit. 

 

Comme quoi, l’amour entre une mère et son enfant, peu importe ce qui se passe entre eux, est pour ainsi dire indestructible. Et souvent, on a du mal à couper le cordon…

 


 

Le saviez-vous ? 

 

Selon les psychanalystes, la liberté est à prendre et non pas à recevoir de la mère. Ce cap peut être franchi en toute quiétude si l’on accepte le fait que l’on puisse s’éloigner de ses enfants sans jamais être complètement séparés d’eux. «Il est nécessaire que soient démêlés ces fils délicats tissés depuis l’enfance et qui déterminent le rôle primordial de la mère sur le destin de son enfant», a expliqué la psychanalyste Malvine Zalcberg.

 


 

Huit étapes vers l’autonomie

 

L’accouchement est la première séparation physique entre une mère et son enfant. Pendant les neuf mois de grossesse, maman et enfant ont partagé une relation exclusive. De nombreuses femmes ont tendance à mal vivre cette période car elles ressentent un grand vide. 

 

Le sevrage, expliquent les spécialistes, c’est d’accepter de déléguer les responsabilités en ce qui concerne son enfant. Cela commence dès l’allaitement, une période importante pour la mère comme pour l’enfant. Un moyen d’y arriver, c’est, par exemple, de laisser à d’autres personnes le plaisir de donner le biberon. 

 

La reprise du travail est une période délicate pour la maman qui culpabilise de laisser pour la première fois son bout de chou. Selon Nicole Fabre, psychanalyste et psychothérapeute, les enfants ne «peuvent qu’être heureux si elles-mêmes (les mamans) le sont. Surtout si elles se montrent disponibles le soir, affectueuses, sans les étouffer de câlins pour compenser»

 

L’école marque une étape importante dans la vie d’un enfant et de sa mère car elle marque la première grande séparation. Pour l’enfant, c’est la première confrontation au monde extérieur. Les parents, eux, angoissent, mais il suffit de faire confiance aux enseignants, à l’école. Déléguer encore. 

 

Les amis occupent une grande place dans la vie d’un adolescent. Au fur et à mesure que l’enfant grandit, il se détache un peu plus de ses parents. Malgré cette séparation, il est important de lui imposer des limites à respecter, mais aussi de lui faire confiance afin de favoriser son autonomie. 

 

Le premier amour de son enfant soulève de nombreuses inquiétudes chez les parents. Il est important de lui parler des risques qu’il/elle encourt sans trop brusquer les choses et sans empiéter sur son jardin secret. 

 

Les premières sorties sans les parents sont en général une étape délicate dans la relation parent-enfant. La communication et la confiance sont indispensables pour passer ce cap en douceur. 

 

Le départ de la maison est une étape difficile et douloureuse pour les parents. Selon les spécialistes, «ce départ se prépare comme une retraite». L’objectif, à partir de là, est de créer une nouvelle relation, d’adulte à adulte, avec son enfant.

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