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30 septembre 2015 02:03
Un jour, dit-elle, elle racontera à sa fille que sa maman a été en prison, qu’elle était dans son ventre lorsqu’elle s’est retrouvée derrière les barreaux. Elle lui racontera comment elle est venue au monde et comment elles ont vécu pendant plus d’un an en prison. Elle lui dira tout sans rien lui cacher car c’est son histoire. Caroline, la vingtaine, n’en a pas honte. «J’hébergeais un cousin et il avait caché des objets volés chez moi à mon insu. Lorsque la police a débarqué, il avait disparu et comme c’était chez moi, on m’a arrêtée pour complicité de vol», confie-t-elle.
La jeune femme clame son innocence sans relâche mais rien n’y fait. Elle est incarcérée en cellule policière pendant 23 jours avant d’être envoyée à la prison des femmes alors qu’elle est enceinte de trois mois. Sa vie, qui était jusque-là toute tracée, vire subitement au cauchemar. Caroline se retrouve seule, sans le soutien du père de son enfant et de sa famille : «Tout le monde m’a laissée tomber. Ils n’ont pas cru à mon innocence. Mes parents avaient très honte de moi. Ils avaient peur de ce que les gens autour allaient dire et de leur regard sur la famille.»
Les mois qui suivent son incarcération sont difficiles et douloureux pour la jeune femme qui a perdu tout repère et tout goût à la vie. Après quatre mois d’emprisonnement, elle croit enfin voir la lumière au bout du tunnel lorsqu’elle obtient la liberté conditionnelle. Elle sollicite l’aide de sa famille pour la sortir de là mais ils semblent, à son grand désespoir, avoir fait une croix sur elle. Dans l’incapacité de payer sa caution, elle se retrouve alors coincée en prison, seule, brisée et meurtrie. Malgré la solitude et l’abandon des siens, Caroline décide cependant de faire face avec force et courage à la situation au nom du petit être qui grandit dans son ventre. Elle trouve du réconfort et de la compagnie auprès d’une autre détenue avec qui elle se lie d’amitié et, bientôt, l’heure de la naissance de son bébé arrive. Un moment important dans la vie d’une femme. Contrairement aux autres, ce n’est pas chez elle qu’elle rentre après avoir mis sa petite fille au monde mais à la prison. «C’était horrible. Je n’avais pas rêvé de ça pour mon bébé. Qui en rêve d’ailleurs ? Mais c’était comme ça. Au moins, je l’avais près de moi», confie Caroline.
Toute cette histoire, elle la racontera un jour à sa jolie petite qu’elle voit grandir chaque jour un peu plus et qui a aujourd’hui 19 mois. À sa sortie de prison, il y a quelque temps, la jeune femme est perdue. Ayant tiré un trait sur sa famille, elle se retrouve seule et sans issue de secours. Alors qu’elle désespérait de trouver un toit pour sa fille et elle, l’association Kinouété lui tend la main. Elle est accueillie avec sa fille dans le refuge de l’association dédié aux détenues qui recouvrent la liberté et qui n’ont nulle part où aller. Caroline réapprend à vivre et commence à peine à prendre ses marques dans la société.
Dans ce service de logement communautaire qui peut accueillir jusqu’à six femmes et leurs enfants, Caroline trouve une maison de passage où sa fille et elle sont en sécurité. En attendant de se remettre sur pied et de trouver un toit bien à elle, la jeune maman a même retrouvé du travail : «Je suis heureuse de pouvoir vivre une vie normale, de pouvoir travailler et subvenir aux besoins de ma fille. Aujourd’hui, elle va à la garderie. Je vais la déposer chaque matin, je la récupère l’après-midi. Les week-ends, on sort, on va manger un truc. On passe de bons moments ensemble», témoigne la jeune maman.
Dans la résidence, faite de containeurs transformés en maisonnettes, la vie s’organise de façon communautaire. Accompagnées des travailleurs sociaux et des psychothérapeutes, les bénéficiaires s’occupent bien évidemment de leurs enfants, qui sont sous leur responsabilité uniquement, mais aussi de l’entretien de leur chambre, des salles communes et de la cuisine. La dernière arrivée est une vieille connaissance de certains membres de l’association. Contrairement aux autres femmes du centre, elle n’a passé que quelques mois en prison mais a derrière elle un long parcours dans l’univers de la drogue.
Aujourd’hui, ça fait quatre mois que Rita est clean et elle espère bien le rester définitivement, pour elle et surtout pour ses enfants. Elle revient de loin, elle le sait. Les dix ans de consommation de drogues dures et les excès en tout genre l’ont rongée petit à petit. Lorsqu’elle regarde les photos d’elle avant, elle a toujours du mal à se reconnaître : elle est ronde, souriante, bien dans sa peau. Elle est aujourd’hui amaigrie et a les dents rongées par une consommation excessive de drogue qui laisse sur son corps des marques indélébiles.
Tout commence lorsqu’elle tombe amoureuse d’un homme et mène avec lui une vie tumultueuse. Diplômée en informatique, elle travaille et gagne bien sa vie mais a envie d’un peu de folie, de goûter à l’interdit. Elle commence par fumer des joints et se met très vite à la drogue dure. Sa vie bascule mais Rita sait qu’elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même : «Personne ne m’a forcée à le faire. C’était mon choix à moi.» Elle ne peut fuir l’addiction et le besoin d’avoir des doses toujours plus fortes et plus puissantes se fait ressentir. Sa vie commence à lui échapper petit à petit et elle finit par s’enfoncer dans les méandres de la drogue. Elle perd son boulot, sa maison.
Au fond du gouffre, elle s’enfonce de plus en plus vite avec l’amour de sa vie : «Nous avons tout fait ensemble, kas yen, dormi dehors, partage un morceau de pain alors que nous n’avions rien à manger. Il ne m’a jamais poussée à vendre mon corps pour payer nos doses. Nous avons fait autrement.» Ils choisissent de voler. Rita ne vole pas les inconnus mais les siens. Chez sa famille, elle pique dans le portefeuille de sa maman, vient quémander quelques sous pour pouvoir acheter un pain, s’en va tracer sur la route à l’insu de tous pour pouvoir nourrir ses enfants et, bien évidemment, se payer sa part de nissa.
Si son mari fait souvent des allers-retours en prison pour vol ou violence, la jeune femme n’y échappe pas non plus. Elle est incarcérée une première fois, puis une deuxième. Des peines de courte durée dont elle sort plus avide que jamais : «Quand je suis ressortie la deuxième fois, ma consommation est devenue deux fois plus importante. J’étais enceinte de mon troisième enfant et je continuais à me piquer plusieurs fois par jour. J’ai fini par perdre mon bébé à plus de cinq mois de grossesse.» Quelque temps après, elle reçoit un appel d’un membre de Kinouété. «C’est mon époux qui lui avait demandé de me chercher. J’avais coupé les ponts avec lui, tout ce qui m’intéressait, c’était de me défoncer», se souvient-elle.
Lors de sa rencontre avec un travailleur social de l’association qu’elle connaît bien, le déclic finit par opérer. «C’était une conversation franche. Il m’a rappelé qui j’étais et ce que j’étais devenue. J’ai pris conscience du mal que je m’étais fait mais surtout du mal que j’avais fait à mes enfants. Je les avais négligés et je devais réparer mes erreurs.» Motivée à reprendre sa vie en main, elle se lance alors dans un programme de désintoxication avant de trouver refuge à la résidence de Kinouété.
Dans sa petite maisonnette, elle prend petit à petit ses marques et met tout en œuvre pour accueillir ses deux enfants le week-end et renouer avec eux ce lien qui a souvent été oublié. Aujourd’hui, elle a, dit-elle, envie de changer de vie pour retrouver la sérénité et offrir à ses enfants un avenir meilleur. Depuis quelque temps, elle a trouvé du travail et a déjà commencé à mettre quelques sous de côté. Pour le moment, cela ne signifie pas grand-chose mais si elle s’accroche, elle arrivera certainement à atteindre le but qu’elle s’est fixé : offrir un toit à ses enfants.
Depuis la création de l’association en 2001, les membres de Kinouété militent pour la réhabilitation et la réinsertion des anciens détenus. C’est justement pour tendre une main aux femmes ayant connu la prison que l’association a créé, il y a quelques années, un logement communautaire. Selon Michel Vieillesse, responsable de ce projet, le besoin s’était durement fait sentir lorsqu’ils se sont rendus compte que, pour changer de vie et évoluer, les femmes qui sortaient de prison avaient besoin d’un nouvel environnement.
Des containers ont donc été reconvertis en maisonnettes pouvant accueillir six femmes et deux enfants chacune. Les bénéficiaires ont un accompagnement social, psychologique et une aide pour tout ce qui est démarche administrative et autres. Les ex-détenues peuvent y rester pour une période d’un an maximum jusqu’à ce qu’elles soient stabilisées dans leur vie. Ce service, dit Michel Vieillesse, est important pour permettre à ces femmes de se relever et de réintégrer la société : «La majorité de ces femmes ont pendant longtemps vécu sous la dépendance. Pour changer, elles ont besoin de vivre dans un environnement sain où elles pourront retrouver leur identité, se sentir en sécurité, trouver de l’assistance et apprendre à devenir autonome de nouveau.» La priorité de l’équipe de l’association est d’accompagner ces femmes et de réussir le plan de réhabilitation qui a été précédemment établi.
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