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Toxicomanie : «Chaque jour est une bataille...»

18 mai 2015

Cela fait 29 ans que Joe Ah-Choon, aujourd’hui directeur du Centre d’Accueil de Terre-Rouge, n’a pas touché à la drogue.

 La descente aux enfers. «Quand tout ça a commencé, j’avais 17 ans. Jusque-là, j’étais un collégien comme les autres, sauf qu’avec les amis, comme beaucoup de jeunes, on voulait s’amuser, avoir du plaisir, tenter, s’aventurer, vivre. Alors, on a commencé à fumer du gandia. J’ai plongé petit à petit. Opium, cocaïne, psychotrope, ainsi de suite. Ça a duré 15 ans.» De ces années sombres, Joe Ah-Choon garde un souvenir amer. Il y repense tous les jours. Malgré les 29 dernières années d’abstinence, il sait qu’il n’est pas guéri. Il est conscient qu’il peut sombrer à nouveau : «Chaque jour est une bataille pour ne pas replonger.» Alors, chaque 24 heures, comme le veut la devise du Centre d’Accueil de Terre-Rouge, qu’il dirige depuis plusieurs années, il prend un nouvel engagement. La promesse de ne plus jamais toucher à ces saletés et d’aider les autres à s’en sortir.

 

Parler de son histoire est, pour cet homme de 60 ans, une thérapie pour lui, mais aussi pour les autres. C’est une preuve qu’il y a, dans ce tourbillon infernal, une autre issue que la prison ou la mort. C’est avec tout de même une grande frayeur et beaucoup d’inquiétude qu’il voit débarquer de plus en plus de jeunes de 14-15 ans au centre. Comme lui, ils se sont laissés tenter par les produits illicites en voulant juste essayer un coup avant de s’engouffrer petit à petit dans cet univers destructeur. Pour Joe, tout a commencé par un joint. Après, il a eu envie de goûter à autre chose. Dans son groupe d’amis, c’était lui le leader. Son père, raconte Joe, était bookmaker et propriétaire de casino, ce qui fait que l’argent n’était jamais un problème : «Toutes les fêtes commençaient avec de la drogue. Je finançais tout. J’avais quitté la maison en quête d’indépendance. J’y revenais quand j’étais à sec. Je n’étais pas un voleur, je prenais juste sans demander.»

 

 

Au fil des années, les premières sensations de plaisir et de bien-être procurées par la drogue s’estompant, il faut trouver des choses plus fortes, des doses plus fréquentes : «Il n’y a pas un produit que je n’ai pas pris.» Comme beaucoup de toxicomanes, Joe n’échappe pas à la case prison et c’est là-bas qu’il a le déclic. «Ça faisait des mois que je n’avais pas vu ma mère. Un jour, mon frère l’a emmenée me voir. J’ai eu un choc quand je l’ai vue. Elle était squelettique. Pendant toute la visite au parloir, elle n’a pas arrêté de pleurer et j’en étais la cause», se souvient-il avec douleur. Cette image de sa mère désemparée, il la prend comme une gifle en pleine figure.

 

Combattre cette addiction

 

Quelque temps plus tard, sa mère, atteinte d’une tumeur, décède. C’est à l’église, lors des funérailles, qu’il fait la promesse de s’en sortir. Joe rencontre par la suite quelques membres de la communauté Fiat, qui, dans une petite bicoque, lancent le Centre d’Accueil de Terre-Rouge pour accueillir les toxicomanes et les alcooliques. «J’ai suivi un programme résidentiel de huit semaines. J’ai appris comment combattre cette addiction et j’ai énormément appris sur moi-même et sur les autres. Je suis devenu fort. J’ai découvert la foi. C’est elle qui m’a sauvé. Je me suis laissé guider par la spiritualité», explique Joe Ah-Choon.

 

Dans l’atelier ou dans la cuisine, tout le monde met la main à la pâte.

 

Vingt-neuf années après, il n’a pas retouché à la drogue, mais il ne croit pas qu’il sera un jour complètement guéri. Il a certes l’impression de revenir d’une guerre au cours de laquelle il a perdu de nombreux camarades «coltar» et d’être l’un des rares survivants. Mais, pour lui, cette guerre ne sera jamais finie. La lutte contre la drogue, il en a d’ailleurs fait son cheval de bataille en rejoignant l’équipe du centre dont il est aujourd’hui le directeur. Il a mené jusqu’ici 144 programmes de réhabilitation et de réinsertion en faveur des toxicomanes.

 

Joe Ah-Choon n’est pas le seul à être sorti des abîmes de la drogue. Beaucoup l’ont fait, à l’instar de Patrick Cotte. Il a tout essayé, du gandia au brown sugar, en passant par l’opium. Et tout cela très tôt : «Je devais avoir 14 ans la première fois. Ça a duré 27 ans.» Rêvant de liberté et obnubilé par son addiction aux produits illicites, il quitte très tôt la maison familiale et coupe contact avec sa famille. Entre ses allées et venues en prison – une quinzaine de fois environ, dit-il –, il arpente les rues, vole pour pouvoir se payer ses doses et vend de la drogue pour les caïds. Pendant des années, il traîne une réputation de «grand vagabond» et de drogué invétéré.

 

Entre la salle de gym et les jeux, les bénéficiaires ont de quoi faire.

 

Cependant, un jour, à la prison, en se regardant dans la glace, il découvre ce qu’il est véritablement devenu. Il en prend conscience brutalement et ça lui fait l’effet d’une douche froide. «Je ne ressemblais plus à rien, si ce n’est à un épouvantail. Je me faisais peur à moi-même. J’avais honte et pitié de moi. Ce jour-là, j’ai pris la décision d’arrêter.» Il a déjà entendu parler du Centre d’Accueil de Terre-Rouge et demande à un ami de l’y accompagner. «J’ai commencé par un programme de désintoxication médicale. Je m’en souviens encore. C’était à l’hôpital Brown-Séquard, dans la salle 13», se rappelle-t-il.

 

Comme beaucoup d’autres, Patrick suivra le programme de réhabilitation, qui, au fil des années, est passé de huit à neuf semaines, et un plan de réinsertion d’un an. Quand on lui demande s’il a flanché depuis, il répond du tac au tac : «Jamais !» La décision qu’il a prise ce jour-là en prison a été la plus forte, dit-il. Patrick s’en est fermement tenu. Depuis, il vit dans la sobriété et l’abstinence. En 2008, lorsqu’il reçoit la proposition de devenir animateur au centre, il a du mal à y croire. Pour lui, c’est une chance. La vie lui sourit. Il accepte ce challenge comme la promesse de repartir sur de nouvelles bases et de commencer enfin sa vie.

 

Patrick Cotte a refait sa vie et il est aujourd’hui l’heureux papa d’une petite fille.

 

L’une de ses plus grandes joies, c’est aussi d’avoir retrouvé la foi : «Le bon Dieu m’a accepté de nouveau dans sa famille et son église. La prière m’a permis de changer de vie.» Reconnaissant d’avoir eu une seconde chance, il mène aujourd’hui une vie paisible. Lui qui avait peu de chance de s’en sortir a finalement fait un pied de nez à cette addiction où il s’engouffrait un peu plus chaque jour. Aujourd’hui, confie-t-il, il est le plus heureux des hommes. Il y a deux ans, il s’est marié et neuf mois plus tard, il est devenu papa. «J’ai eu une petite fille. Je n’aurais jamais pensé pouvoir fonder une famille, pourtant. Il n’y a pas plus heureux que moi», dit-il, les yeux qui pétillent de bonheur. Aujourd’hui, il se sent véritablement sauvé d’une vie de toxicomane.

 


 

 

 

Centre d’Accueil de Terre-Rouge :  un refuge pour se libérer de la drogue

 

De l’extérieur, le bâtiment du Centre d’Accueil de Terre-Rouge (CATR) ne paie pas de mine. La peinture délavée par le temps et la pluie donnent un aspect vieilli à la maison qui a été construite après la création du CATR en 1986 par des membres de la communauté Fiat. Le but, en mettant sur pied un tel centre, était d’aider les usagers de drogues et les alcooliques à s’en sortir. Depuis, cette mission a été respectée. Le centre, qui peut recevoir jusqu’à 15 personnes en même temps, accueille ceux qui souffrent de toxicomanie et d’alcoolisme pour un programme de réhabilitation résidentiel qui dure neuf semaines et un plan de réinsertion pendant lequel ils sont suivis une année durant. «Ici, c’est un havre de paix. Il n’y a pas de place pour l’agressivité», souligne Joe Ah-Choon, le directeur.

 

Une fois sur place, les bénéficiaires sont entourés et encadrés par des animateurs qui ne sont autres que des gens qui, comme eux, ont connu l’enfer de la drogue. Joe Ah-Choon et son équipe s’occupent d’abord de tout ce qui est traitement médical pour la désintoxication. Dans un deuxième temps, il y a l’accompagnement à travers des causeries, des séances de travail, des thérapies familiales : «Ce sont des exercices très importants. À ceux qui essaient de s’en sortir, nous disons et démontrons que c’est possible, qu’ils sont malades et qu’il faudra toujours se battre et rester forts. Nous travaillons aussi avec les familles pour leur expliquer l’importance de soutenir leurs proches dans ce combat.» Leur redonner confiance en eux-mêmes est un point essentiel de ce programme. «Ce sont des personnes marquées au fer rouge, abîmées, qui ont besoin de retrouver leur dignité», souligne notre interlocuteur. La majorité des toxicomanes se tournent vers la prière pour s’en sortir et ils peuvent pratiquer leur religion sans aucune restriction.

 

La prière est l’un des points d’ancrage de ceux qui veulent sortir de l’enfer de la drogue.

 

Au centre, les résidents doivent suivre à la lettre un programme de la journée. Ils y apprennent la discipline et la rigueur. L’hygiène de vie aussi, comment s’occuper de soi et d’une maison. Pendant neuf semaines, tout le monde fonctionne comme une famille. Tous font le ménage, la lessive et la cuisine. Tout est programmé à la minute près, du réveil jusqu’au coucher. Quand ils ne sont pas en séance de travail ou dans une discussion de groupe, les résidents travaillent dans l’atelier du centre où ils retapent des meubles, fabriquent des choses auxquelles ils donnent de la valeur. De nombreux meubles du centre ont été d’ailleurs fabriqués par ceux qui suivent le programme. Il y a aussi la salle de gym où ils passent beaucoup de leur temps à se refaire une santé. Les résidents ont souvent droit à des sorties organisées pour eux par les animateurs. Ils visitent alors les sites touristiques du pays, vont camper au bord de la mer. Des activités en phase avec la réhabilitation et la réinsertion.

 


 

Un appel à l’aide

 

Joe Ah-Choon, directeur du Centre d’Accueil de Terre-Rouge, lance un appel à l’aide pour rénover le dortoir des résidents.

 

Le Centre d’Accueil de Terre-Rouge a besoin de vous. Le bâtiment est dans un état déplorable, principalement le dortoir et la salle de bains, et doit être rénové. Cela n’a pas été fait depuis des années par manque de financement. Le centre est en partie subventionné par la NATRESA, mais ce n’est pas suffisant pour couvrir toutes les dépenses. L’équipe se fie à des contributions CSR pour le reste. Toutefois, celles-ci se font de plus en plus rares.

 

«Les lits sont là depuis l’ouverture du centre. Ils sont en très mauvais état. Ne parlons pas des armoires et de la salle de bains», confie Joe Ah-Choon. En fait, tout le bâtiment a besoin d’une remise à neuf. Entre son vieux plancher qui grince, ses meubles qui sont abîmés et ses murs qui auraient bien besoin d’une nouvelle couche de peinture, il y a de quoi faire. L’équipe a besoin d’aide pour faire tout cela. «Si on pouvait avoir quelques donations et de l’aide pour réparer ce qui est cassé et donner un coup de neuf, ça nous aiderait beaucoup.» L’appel est lancé.

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