Publicité
18 juillet 2015 18:26
«Seul, je n’y serais pas arrivé», lance John. Assis dans les locaux d’AILES (Aides, Infos, Liberté, Espoir et Solidarité), cet homme de 54 ans tient difficilement en place. Il a préféré, dit-il, venir passer ses journées à l’association et filer un coup de main au lieu de traîner les rues à la merci de la tentation. Depuis que les heures de la distribution de la méthadone, utilisée dans le traitement de la dépendance à la drogue, ont changé, sa vie n’est plus la même. Depuis quelque temps, la distribution de méthadone commence à 6 heures du matin dans les postes de police au lieu de 9 heures. «Ça pose un vrai problème, car l’effet de la méthadone se dissipe dans le courant de la journée et je ressens très vite les symptômes de manque», confie John. Chauffeur VIP de profession, John a été contraint de quitter son travail : «Je me suis retrouvé en état de manque au volant. C’était devenu infernal et dangereux pour mon patron. Quand j’ai fait un accident, je me suis dit que la situation était grave et j’ai démissionné.»
Comme beaucoup de méthadoniens (le nom qu’on leur attribue dans le jargon de ce milieu), John est stressé face à la nouvelle situation. Outre le changement des heures de distribution de la méthadone qui pose problème, le centre d’induction de Sainte-Croix aurait, selon eux, fermé ses portes sans aucune raison apparente. Ce qui fait que les toxicomanes qui veulent sortir de la drogue et qui doivent suivre une cure de 14 jours pour pouvoir bénéficier du traitement de la méthadone sont contraints de se rendre à Mahébourg, le seul centre encore opérationnel. Dans les rues, soulignent les travailleurs sociaux, l’inquiétude gagne aussi du terrain. La panique et le découragement se lisent sur les visages. Des sentiments qui font suite à des rumeurs qui circulent en ce moment, disant que le ministère de la Santé va arrêter le traitement de la méthadone. «C’est ce que le ministre a dit dans une fonction récemment. Et il y a plusieurs signes qui nous poussent à croire que c’est vrai. Si c’est effectivement le cas, ce sera la catastrophe pour nous. Moi, je le sais. Sans la méthadone, je replonge», déclare John.
S’il a tellement peur, c’est qu’il revient de loin, de très loin. Son addiction à l’héroïne et à l’opium a commencé alors qu’il n’avait que 16 ans. Cela lui a pris dix ans, dit-il, avant de pouvoir arrêter de se piquer. Aujourd’hui, ça fait trois ans que, grâce au traitement de substitution de la méthadone, John n’a pas touché à une seringue. Lorsqu’il a commencé, il prenait 140 mg par jour et aujourd’hui, il en est à 30 mg seulement. Il est confiant de pouvoir s’en sortir définitivement, mais aujourd’hui, il craint qu’un arrêt brutal de son traitement lui fasse beaucoup de mal. Sans la méthadone, explique-t-il, il serait définitivement perdu. Et pas seulement lui, car il estime que ce programme est essentiel pour ceux qui veulent s’en sortir. «La consommation de l’héroïne progresse. S’il n’y a plus de méthadone, ce sera un véritable carnage, surtout que les drogues synthétiques ont aussi fait leur apparition. La vie de beaucoup de gens dépend de ça», s’inquiète-t-il.
Ceux qui travaillent avec les usagers de drogues et les méthadoniens sur le terrain sont tous inquiets face à la situation et la tournure qu’elle pourrait prendre si la rumeur se confirme. Cindy, l’une des chevilles ouvrières de l’association, le sait. La méthadone est une béquille pour ceux qui, comme elle, ne veulent plus toucher à la drogue. Pendant des années, elle s’est retrouvée au fond du gouffre comme une loque, oscillant entre manque et sensation forte. Son addiction était tellement importante qu’il lui fallait toujours plus pour se satisfaire et même le plus, dit-elle, n’était souvent pas suffisant. Sa vie se résumait à la drogue, à la prostitution et au vol. En 2000, après un test de dépistage, elle apprend qu’elle est séropositive. Elle n’en a cure. Il n’y a que sa dose qui compte.
Puis, un jour, vient le déclic. Après avoir accouché de son quatrième enfant, elle se retrouve à la rue avec son nouveau-né dans les bras. Elle décide alors de changer de vie : «Cet enfant ne devait pas payer pour les erreurs que j’avais commises. En 2006, j’ai commencé un traitement pour ma maladie et j’ai fait une cure de 14 jours avant d’être mise sous méthadone.» Depuis, Cindy ne s’est plus droguée et sa vie a pris une autre tournure. Depuis plusieurs années, elle vient en aide à ceux qui, comme elle, ne connaissaient que la drogue dans la vie et milite pour la prévention au sein de l’association AILES où elle est employée. «Aujourd’hui, c’est la méthadone qui me permet de mener une vie normale. Je sais qu’un jour j’arrêterai la méthadone, mais cela ne peut pas se faire brutalement du jour au lendemain», déclare Cindy.
Chez AILES, les allers et venus des bénéficiaires de l’association et de leur famille se multiplient. La rumeur s’est propagée comme une traînée de poudre. Nadia se fait un sang d’encre pour son mari et elle. «Surtout pour lui. Parce que je sais qu’il va recommencer s’il arrête la méthadone», confie-t-elle. C’est lui qui lui a fait goûter à sa première dose il y a quatre ans, le jour de son anniversaire. Une première fois qui en entraînera d’autres, encore et encore : «Nous avons tout perdu à cause de la drogue. J’ai même dû vendre mon corps pour pouvoir payer les doses.» Le programme de substitution a été libérateur pour son époux et elle. Si cela devait cesser, ce serait, dit-elle, un véritable drame pour eux et les autres. «Il y aura mort d’homme, croyez-moi», souligne Nadia.
Dans l’enfer de la drogue, il n’y a pas que les consommateurs. Il y a aussi les familles qui souffrent de cette addiction. Patricia a couru chercher des réponses et trouver du réconfort dès qu’elle a entendu à la radio le ministre de la Santé parler de l’éventuel abandon de la méthadone comme substitution à la drogue. Elle a senti son sang se glacer dans ses veines et un frisson la parcourir. Mère de famille, elle n’a jamais touché à la drogue. C’est son fils qui en a été la proie : «Il devait avoir 17 ans lorsqu’il m’a annoncé qu’il se droguait. J’ai senti mon monde s’écrouler. J’ai tout fait pour l’aider à s’en sortir, mais l’appel de la drogue était plus fort.» Pendant des années, raconte-t-elle, sa vie a été un véritable cauchemar à cause de ce fils devenu infernal sous l’influence des drogues. «Il était violent. Il traînait les rues et volait pour pouvoir se payer ses doses. Je ne sais plus combien de fois j’ai vu la police débarquer à la maison pour l’emmener», se souvient Patricia.
Traumatisée par la transformation de son fils et l’enfer qu’il vivait et faisait vivre à sa famille, Patricia n’a pourtant jamais baissé les bras dans sa lutte pour que son enfant s’en sorte. Il y a cinq ans, lorsque celui-ci a commencé à suivre le traitement de la méthadone, son cœur de mère a enfin vu une lueur d’espoir, après longtemps. «Aujourd’hui, grâce à ce traitement, mon fils a retrouvé une vie normale. Il va prendre son traitement chaque matin avant d’aller travailler. Je n’imaginais pas que ce serait possible, pourtant. Je ne veux pas le perdre à nouveau», implore cette maman. Car la méthadone est la seule chose qui lui permet ainsi qu’à son fils d’avoir une vie normale. Comme beaucoup d’autres familles dans la même situation.
Le programme de la méthadone est toujours d’actualité jusqu’à preuve du contraire. C’est ce que confirme le ministère de la Santé qui tient à apporter certaines clarifications face aux rumeurs et à l’inquiétude des patients sous méthadone ainsi que des associations qui militent pour le respect de leurs droits. Anil Gayan, ministre de la Santé, avait récemment évoqué, lors d’une fonction, la possibilité de trouver une autre solution que la méthadone pour les toxicomanes qui veulent sortir de l’enfer de la drogue. Selon une source, un programme de réhabilitation est actuellement à l’étude, mais rien ne dit que la méthadone sera interdite du jour au lendemain.
Publicité
Publicité
Publicité