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Travailleuse du sexe et maman : «Ça m’a permis de nourrir mes enfants»

9 mars 2015

Il y a 11 ans, Pamela a intégré un réseau téléphonique à travers lequel les clients la contactent pour des services sexuels tarifés.

«À la maison, quand on parle de mon travail, on ne dit jamais prostituée. On parle de TS, ce qui veut dire travailleuse du sexe.» Avec ses quatre enfants, Pamela, comme on l’appelle dans le métier, ne ment jamais. Quand elle commence à se prostituer à l’âge de 20 ans, elle est déjà maman d’une fille de 2 ans et d’un garçon de deux mois. Cinq ans plus tôt, elle s’est enfuie de la maison de ses parents pour aller vivre avec un homme qui trempe dans des histoires de vol et de drogue. Lorsque celui-ci atterrit en prison, Pamela tombe de son nuage, se retrouve avec deux enfants en bas âge à élever seule, sans maison ni argent. Désemparée et sans repère.

 

Elle passe quelques nuits sous un arrêt d’autobus avec ses deux bambins, erre ici et là jusqu’à ce qu’un homme lui propose de l’argent contre du sexe. Elle accepte. Par obligation, dit-elle. Elle le fait deux, trois, quinze, vingt fois jusqu’à ne plus pouvoir compter. C’est ce qu’on appelle «trase» dans le jargon. À la maison, Pamela est une maman comme les autres. Au début, elle jongle difficilement avec son rôle de mère et de TS. Mais à mesure que ses revenus augmentent, elle peut offrir à ses enfants un train de vie confortable.

 

Elle intègre un réseau téléphonique qui regroupe quelques filles et choisit un pseudonyme : Pamela. «C’était difficile de coucher avec des inconnus pour de l’argent, mais ça m’a permis de nourrir mes enfants et d’avoir un toit sur la tête.» Le bien-être et le bonheur de ses enfants, c’est tout ce qui compte. Elle reprend contact avec les membres de sa famille, mais le jour où ils apprennent dans quel secteur elle travaille, leur attitude change. Leur colère et leur déception la heurtent de plein fouet. «Ils mettaient une tasse, des couverts et une assiette de côté pour moi parce qu’ils ne voulaient pas de contact avec moi de peur que j’aie le sida et qu’ils soient contaminés», confie-t-elle avec une pointe d’amertume.

 

N’empêche, elle continue pour ses enfants. Afin de passer le maximum de temps avec eux, elle s’organise. Le matin, elle les prépare pour l’école et évite de travailler tard : «J’essaie d’organiser mes rendez-vous pour travailler pendant qu’ils sont à l’école.» Elle touche entre Rs 1 000 et Rs 2 500 pour un service sexuel et entre Rs 5 000 et Rs 6 000 pour passer la nuit avec un client, ce qu’elle accepte de faire de temps en temps. Elle se paye alors les services d’une baby-sitter. Aujourd’hui, à 31 ans, Pamela peut se faire entre Rs 15 000 et Rs 18 000 par mois en travaillant à son rythme. Câline et proche de ses enfants, elle a voulu, il y a cinq ans, parler de son travail à sa fille aînée qui est aujourd’hui en Form III : «Je veux que mes enfants comprennent que c’est un métier avant tout et leur inculquer le respect de l’autre.»

 

Être contrainte de vendre son corps pour gagner de l’argent et nourrir ses enfants, c’est aussi le quotidien de Marine. Elle a commencé à se prostituer après le décès de son époux, il y a plusieurs années. Depuis, elle n’a qu’un rêve : avoir une maison avec de la lumière et de l’eau courante, voir ses bambins regarder la télé, les aider à faire leurs devoirs. Elle a bien essayé de chercher un travail un peu plus acceptable, mais il fallait toujours présenter un minimum de certificats et c’est justement ce qu’elle n’a pas : «Je suis allée à l’école jusqu’en CPE seulement.»

 

Du coup, elle s’organise comme elle peut sur le trottoir. Des fois, elle trouve des clients, d’autres fois non. Un travail difficile, d’autant que le regard accusateur de la société lui donne l’impression d’être un déchet. «Souvent, les gens nous insultent en pleine rue. Ils nous maltraitent, nous tapent. Ils ne savent pas qu’il y a des enfants qui attendent que leur mère rentre à la maison. Combien de nos amies sont mortes ainsi ?» confie-t-elle avec émotion.

 

Il y a aussi ces rencontres qui se révèlent dangereuses. Pamela se souvient d’un événement en particulier, qui aurait pu tourner au drame. Un jour, raconte-t-elle, un client l’appelle et lui donne rendez-vous. Elle s’y rend et, à sa grande surprise, huit hommes l’attendent sur place. Choquée, elle sent venir le danger : «Je savais que je n’en sortirais pas vivante. J’ai dit que je voulais aller aux toilettes et j’ai pris la fuite.» Une fois dehors, elle court aussi vite qu’elle peut, mais est prise en chasse : «J’ai atterri dans un champ de cannes et je me suis cachée dans un tuyau d’irrigation. J’y ai passé toute la nuit.»

 

Dans ce métier, Pamela et Marine ont dû faire face à beaucoup de choses : la drogue, la violence, les «fortes têtes» comme les appelle Pamela, les secrets dévoilés sur l’oreiller. Elles ont côtoyé, disent-elles, des gens importants. Pamela se rappelle particulièrement d’une soirée avec «des personnalités» pour laquelle elle aurait été payée Rs 30 000. Ce train de vie, ce rythme d’enfer, amène aussi celles qui y sont soumis à sombrer dans la drogue et l’alcool. Certaines trouvent la force de se relever au nom de leurs enfants, d’autres non.

 

Pamela arrive à souffler un peu quand son mari, qui fait des allers-retours en prison, est à la maison. Elle lui laisse la responsabilité de nourrir la famille qui s’est agrandie avec la venue de deux autres enfants. «Il est au courant de ce que je fais et il sait que ce n’est pas par plaisir, mais pour nourrir nos enfants. Il salue mon courage et il est fier de moi», lâche-t-elle. Depuis quelque temps, elle fait une pause. Elle a même trouvé un autre travail. Cependant, le salaire qu’elle touche n’a rien à voir avec ce qu’elle gagnait avant : «Je boucle difficilement les fins de mois, alors que ça n’arrivait pas avant. Je ne sais pas si je vais recommencer. Je pense qu’il y a de fortes chances que oui.» L’important, dit-elle, c’est que ses enfants soient bien.

 

 

Noorinah Lotun, neuropsychologue : «Une atteinte à la dignité humaine»

 

 

Qu’est-ce qui peut, selon vous, pousser quelqu’un à se prostituer ?

 

À un niveau général, il ressort que le début des pratiques sexuelles tarifées semble coïncider soit avec une précarité financière, soit avec une rupture ou un bouleversement comme une séparation, un deuil ou encore une agression sexuelle. La prostitution est une atteinte à l’intégrité physique et psychique de la personne, une atteinte à la dignité humaine. Elle entraîne un taux important de troubles psychotraumatiques accompagnés de troubles de la personnalité importants.

 

Justement, quelles conséquences pour la travailleuse du sexe ?

 

Il y a la perte de l’investissement de son propre corps et la perte du soin de celui-ci et de sa santé. Cette dissociation entraîne souvent une anesthésie émotionnelle et des perturbations de la conscience. La personne devient cible de sa mémoire traumatique, elle est envahie par des réminiscences la faisant revivre en permanence les violences avec la même souffrance. De plus, viennent s’installer des conduites de contrôle et d’évitements qui sont des stratégies parfois efficaces mais handicapantes pour échapper à la mémoire traumatique.

 

C’est donc très dur psychologiquement…

 

L’impact des violences chez ceux qui pratiquent le travail du sexe est non seulement psychologique, mais également neurobiologique avec des atteintes de circuits neurologiques et des perturbations endocriniennes des réponses au stress. Comment combattre ce processus provoqué par la nécessité de s’adapter à un contexte d’effractions corporelles répétées et qui impose un vécu d’instrumentalisation du corps à l’individu ? Ce sont malheureusement des blessures invisibles qui atteignent l’être au plus profond de lui-même par les émotions, mais également par le silence et l’indifférence.

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