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20 avril 2015 17:19
À 22 ans, Caroline a versé bien plus de larmes qu’il n’en faut. Dans ces moments-là, elle pense aux mauvaises décisions qu’elle a prises. Si elle avait fait les bons choix, elle serait peut-être aujourd’hui en train d’étudier ou de travailler, de mener une vie de jeune femme comme les autres, épanouie et libre. Au lieu de cela, elle se retrouve dans un centre pour femmes battues. Il y a un mois, elle a quitté la maison conjugale en prenant avec elle ses deux enfants. Son mari venait de la frapper en public, alors qu’elle se trouvait à l’église. Pour Caroline, ça a été la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Depuis qu’elle est loin de lui, elle se sent mieux. Mais les regrets et l’incertitude de son avenir la minent.
Elle a 15 ans lorsqu’elle tombe enceinte de celui dont elle est tombée amoureuse quelques mois plus tôt. Aujourd’hui, Caroline est incapable de se souvenir de ce qui l’a poussée, à l’époque, dans les filets de cet homme. Jeune et naïve, elle a cru pouvoir fonder une famille et mener une vie heureuse. À cet âge, dit-on, on croit que tout est rose, que tout est beau. Les premiers mois sont d’ailleurs plutôt heureux. Enceinte, elle participe aux examens du School Certificate et ses résultats sont très bons. Mais, pour elle, comme pour toutes les femmes victimes de violence, le rêve a été de courte durée.
À 17 ans, elle attend son second enfant. Quelques mois plus tôt, Caroline s’est mariée. Elle a arrêté l’école pour s’occuper de son premier enfant et elle étudie à la maison pour pouvoir prendre part aux examens du Higher School Certificate qu’elle réussit haut la main. C’est justement à cette période que sa vie bascule : «On se disputait comme le font tous les couples et j’ai dit un truc banal. Je ne me souviens plus de ce que c’était. Il s’est jeté sur moi et m’a frappée. J’étais enceinte de six mois.» Profondément choquée, Caroline, malgré les coups, ne bouge pas. À cause de ses enfants et parce qu’elle dépend totalement de lui. Crédule et perdue, elle ne sait pas faire la différence entre ce qui est acceptable ou pas : «Dans ma tête, je savais que ce n’était pas normal. Mais je disais que ce n’était pas non plus anormal qu’un mari tape sa femme.»
Après les coups, son mari cherche le pardon en demandant des câlins et en lui offrant des cadeaux. Elle y croit avant de sombrer de nouveau. La plupart du temps, il lui refuse de l’argent pour elle, les enfants et la maison, prétextant qu’il n’en a pas. «Souvent nous ne mangions que du riz et des lentilles», dit-elle. Il décide lui-même de ce qu’elle va porter, des vêtements, précise-t-elle, qui seraient bien plus adaptés à une femme de 60 ans qu’à une jeune femme de son âge. Elle n’a pas le droit de voir sa famille et encore moins de sortir. Il l’isole pour mieux la contrôler. Caroline, elle, souffre. Elle pleure souvent, beaucoup trop souvent : «J’ai essayé de mettre fin à mes jours tellement j’étais mal. Il m’a tellement rabaissée. Il me traitait de tous les noms», alors que c’était lui qui lui était infidèle.
Des années de souffrance
Être systématiquement dénigrée, humiliée, rabaissée, insultée et isolée, cela a été la réalité de Nushreen, 49 ans, pendant les 30 dernières années. Il y a trois semaines, après des années de soupçons, elle a suivi son époux et l’a découvert en flagrant délit chez sa maîtresse. Dans sa tête, tout se bouscule. Voilà à quoi se résument toutes ces années de violence et de souffrance. Elle ne pouvait plus rien supporter. Tout ce qu’elle voulait, c’était de partir loin. Du coup, elle s’est réfugiée au centre SOS Femmes. Tout ce temps, elle est restée là, à tout supporter pour ses quatre enfants, mais aussi parce que c’est sur son terrain familial qu’ils ont construit leur maison. Elle ne pouvait accepter de tout lui laisser et de tout recommencer à zéro. Cela lui semblait comme une terrible injustice.
C’est à l’âge de 18 ans que Nushreen se marie. Son époux, dit-elle, n’a jamais eu un mot gentil à son égard. Quand ce n’était pas les coups, c’étaient les insultes. Soit le repas n’était pas assez bon, soit il arrivait trop tard. Quand elle avait le malheur de rentrer en retard à la maison, elle se faisait traiter de tous les noms. Tout ce qu’elle faisait n’était jamais assez bien pour lui. «On ne pouvait jamais dialoguer. Quand j’essayais de lui parler, il criait plus fort que moi et me faisait croire que tout était de ma faute», confie Nushreen. Au fil des années, elle apprend à se taire, à s’effacer pour ne pas attirer les foudres de son mari. Au final, elle arrive à se contenter du peu de tranquillité qu’il lui laisse quand il passe ses nuits chez sa maîtresse.
Mais à chaque fois qu’il revient, c’est comme s’il ne peut pas la supporter. Les remarques désobligeantes sont incessantes et cinglantes. Elle fait tourner la maison et la cuisine. Tout lui est servi sur un plateau, mais rien n’est jamais assez bien à ses yeux. Et puis, dans ses pires moments, il la bat, même devant les enfants. «Une fois, il ma tapée tellement fort que j’ai fait pipi dans ma culotte. Cette fois-là, je suis allée à la police, mais ils m’ont dit que mon mari, qui est un fonctionnaire, risquait de perdre son travail. J’ai eu peur et je suis rentrée chez moi», se souvient-elle.
Comme tous les hommes violents, les compagnons de Nushreen et de Caroline sont arrivés, au fil des années, à exercer un véritable contrôle sur elles. Outre la violence physique, il y a aussi la maltraitance verbale et psychologique, qui fait aussi mal que les coups. Lorsqu’ils s’emportent pour une broutille, ils arrivent toujours à détourner la situation, à se faire passer pour la victime et à faire porter le chapeau à leur partenaire. Malheureusement, de nombreuses femmes victimes de violence vivent dans le déni et l’inconscience. Elles se replient sur elles-mêmes pensant qu’il n’y a pas d’autre issue que de revenir auprès de ce mari qui leur a fait tellement de mal.
Aujourd’hui, Nushreen ne sait pas de quoi sera fait son avenir. Devra-t-elle tout abandonner et repartir à zéro à son âge ? Caroline, elle, espère pouvoir trouver du travail, un endroit où vivre avec ses enfants. Mais quand et comment y arriver ? Dans leurs têtes, les questions se bousculent, elles qui sont au tournant de leur vie.
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