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Par Yvonne Stephen
20 septembre 2025 20:42
Une voix singulière s’est éteinte. Ce vendredi 19 septembre 2025, après une brève maladie, Malenn Oodiah est décédé à l’âge de 68 ans. Ses funérailles ont eu lieu ce samedi 20 septembre. Sociologue, chroniqueur et observateur attentif de la société mauricienne, il laisse derrière lui une œuvre marquée par l’engagement, la réflexion critique et l’amour profond de son pays. Ses mots et ses actions étaient des phares, guidés par la quête de vérité, d’équité et de transmission. Des pages de journaux aux débats citoyens, de ses écrits à ses projets culturels, il a consacré sa vie à éclairer les consciences et à nourrir le dialogue. Il a également contribué, pendant près de 30 ans, au développement du groupe Beachcomber, où il a dirigé la communication et cofondé la Fondation Espoir Développement (FED). Plus tard, il a rêvé et fondé Lakaz Flanbwayan, à Bambous, maison de l’art et de la mémoire, ouverte aux artistes comme au grand public. Auteur de plusieurs ouvrages, dont Mouvement Militant Mauricien : 20 ans d’histoire (1969-1989) et Manifeste de l’Avenir (2024), entre autres, il a aussi été l’initiateur d’initiatives porteuses de réflexions telles que Projet de Société. Certains.es de ceux.celles qui l’ont côtoyé lui rendent un vibrant hommage, tout en gardant dans leur cœur son épouse Adi Teelock et leur fils Milan.
Katty Laguette-Labour, visual artists : «Il a aidé de nombreux jeunes»
«Je l’ai connu quand j’étais à l’université. Mon premier stage c’était avec lui et son équipe. Nous avons toujours eu de longues conversations sur la vie, sur le travail. Ensuite, nos chemins se sont recroisés grâce à Lakaz Flanbwayan où j’ai exposé et où j’ai visité de nombreuses expositions. Malenn a beaucoup fait pour les artistes, il a aidé de nombreux jeunes à se lancer et il a mis en place une belle galerie, un espace de rencontre pour mettre en avant l’art mauricien : un vrai cadeau pour mes enfants. La dernière fois que nous avons visité une expo en famille là-bas, nous nous sommes assis sous le préau (mon mari, Yann, nos enfants et Malenn), nous avons partagé un coca ensemble et nous avons discuté de la vie. C’était un moment très paisible, li ti extra kontan, li ti dir nou ki li ti ti aret fime et qu’il se sentait mieux.»
Roshaan Kulpoo, expert en inclusion financière : «Un patriote sincère»
«Une voix s’est tue. Une plume s’est arrêtée. Un militant s’en est allé. Malenn laisse derrière lui le souvenir d’un citoyen profondément engagé, d’un patriote sincère, d’un penseur éclairé et d’un intellectuel perspicace. Son Projet de Société et ses multiples publications resteront pour moi des souvenirs impérissables.»
Urvashi Babajee, auteure :«Li ti form mwa pou pa per»
«Je me sens vraiment attristée par son départ. C’est une grande perte pour le pays. Je l’ai rencontré à plusieurs reprises dans des espaces/événements privés et publics, et il savait que j’avais toujours été passionnée par l’écriture, l’art et l’environnement. En 2020, nous avons fait "Art Atak-L’art contre le Covid-19". Il m’a également donné l’opportunité de participer à son livre Close Up. Lorsqu’il a créé Projet de Société, il m’a approché pour faire partie des panélistes du troisième débat sur le thème "Comment imprimer le vivre-ensemble dans l’ADN mauricien". Nous avons beaucoup collaboré pour Lakaz Flanbwayan. Malenn ti met boukou laksan lor transmision, partaz konesans, ek ousi lor formasion pou tou sort laz, me sirtou pou bann zenn. Li ti enn vre militan, avek enn gran leker. Mo ti ena boukou respe ek admirasion pou konba ki li ti fer an Me 75. An tan ki enn zenn, kan mo kotway enn dimounn parey, li enn leson lavi. Li ti form mwa pou pa per, servi mo plim, fer tann mo lavwa si ena bann inzistis.»
Med Doba, acteur de la société civile : «Son départ laisse un vide, mais aussi une lumière»
«Malenn Oodiah ; un militant infatigable et un citoyen engagé dont la voix et les actions ont marqué notre société. Son engagement pour les causes sociales, son écoute bienveillante et sa capacité à fédérer autour de valeurs fortes ont laissé une empreinte indélébile. J’ai eu l’immense privilège de collaborer avec Malenn pendant 13 semaines à Lakaz Flambwayan, dans le cadre du projet "Ledikasyon Simin Lalimier", destiné aux enfants de La Ruche. Ce projet a été enrichi par sa présence, son énergie et sa vision. Malenn ne se contentait pas de parler de changement – il le vivait, le portait et l’incarnait. Son départ laisse un vide, mais aussi une lumière, celle qu’il a allumée dans le cœur de ceux qu’il a touchés. Que son souvenir nous inspire à poursuivre le chemin qu’il a tracé, avec la même détermination et le même amour pour l’humain.»
Ashvin Gudday, observateur et militant syndical : «Son esprit pour nous inspirer»
«Il fait partie des personnes qui m’ont grandement inspiré depuis que je me suis engagé dans le militantisme. Je l’ai rencontré pour la première fois en 2017 lors d’un débat "koz-koze" organisé par Dev Sunassy. Suite à cela, sommes restés en contact. Il aimait me dire : "Oeil de lynx", "striking pen" ! En 2018, nous avons eu une belle collaboration ; il m'avait invité à participer au troisième forum de débat de son Projet de Société. On bavardait souvent au téléphone ou par messages pour débattre de plein de choses. J'ai également assisté à ses activités à Lakaz Flanbwayan, une initiative exceptionnelle pour mettre l’art et la culture au centre de notre société. C’est un lieu qui nous offre «vitamin lizie», comme le disait si bien Malenn. Il était un grand homme, un fin intellectuel, passionné par l’écriture, il avait cette facilité à mettre en mots les émotions et les réflexions les plus subtiles. Il était profondément humain. Il nous a quittés mais son esprit reste pour nous inspirer à travers ses écrits.»
Shafick Osman, docteur en géopolitique : «Un intellectuel, un féru d’histoire politique»
«J’ai connu Malenn Oodiah en 1991 quand je travaillais au Mauricien, c’est-à-dire au tout début de ma carrière. Il est venu me voir un jour, dans la salle de rédaction, et il m’a proposé de créer une "boîte de communication" avec lui. Je lui ai dit oui, et très vite, il m’a introduit à son ami Radha Ramen et à son camarade Noor Adam Essack. C’est ainsi que Synergik fut créée, qui devint ensuite Vecteur Synergik quand nous nous séparâmes. On se rencontrait chez CREDEFI, son centre de documentation, qui était à l’étage de son appartement de l’époque. Bien des années après, nous nous sommes retrouvés sur des plateaux de radio. Malenn était un intellectuel, un féru d’histoire politique du pays, un fin analyste, mais aussi un conseiller stratégique et politique (au sens large du terme).»
Des mots, des idées…
Des interviews, des rencontres, des partages ; Malenn Oodiah a nourri nos colonnes de ses idées et de ses réflexions pendant de nombreuses années. Voici quelques-unes de ses dernières citations fortes :
«Même si nous ne sommes pas sur le même pont, nous sommes sur le même bateau. Ce sont les hommes et les femmes qui font l’histoire et c’est la responsabilité et le devoir de chaque citoyen d’apporter sa contribution afin de construire une société meilleure.»
«Sur le plan du développement économique, nous avons progressé mais nous avons besoin d’un nouveau modèle avec de nouveaux piliers, et il nous faut réaliser l’importance de nos richesses les plus précieuses : notre population et notre capital naturel.»
«Il y a un fait nouveau qui est la quête du bonheur individuel, avec toutefois une grosse interrogation sur le destin collectif. Il existe de nombreuses initiatives citoyennes qui sont de réelles lueurs d’espoir pour construire demain. Des synergies se mettent en place et demandent à être amplifiées à travers un dialogue fondé sur l’écoute et la raison communicative (…). Il faut constamment entretenir la flamme de l’espoir.»
«Il y a une prise de conscience de l’essentiel, de l’importance de la nature et de l’environnement, et du défi du réchauffement climatique, de l’importance d’un développement au service de l’humain. Le tout allant dans un nouveau sens de la vie et de la vie en société. Mais les dynamiques mortifères d’un système au seul service de l’argent diable ont encore le dessus. Actuellement, le défi consiste à trouver des réponses à la montée des forces populistes, voire néofascistes, pour un renouveau politique.»
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