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Par Elodie Dalloo
23 février 2025 20:13
Encore une tragédie que vit la famille Bégué, originaire de Soupir, à Rodrigues. Seulement un mois après le décès soudain d’Annabelle, 21 ans, victime de complications de santé après avoir accouché d’un mort-né, sa sœur Christine, 16 ans, a été froidement tuée à cause d’une histoire de vol. Son corps démembré a été retrouvé sur les rochers à Anse-aux-Anglais ce mardi 18 février, remuant le couteau dans les plaies encore béantes de leurs proches. Choqués, désemparés, ils racontent l’atroce souffrance.
Grandir dans un environnement aimant et bienveillant est une condition primordiale pour devenir un adulte épanoui. Hélas, tous n’ont pas cette chance. Depuis leur plus jeune âge, Annabelle, 21 ans, et sa sœur Christine, 16 ans, originaires de Soupir à Rodrigues, ont été exposées à tous les fléaux sociaux imaginables : pauvreté, précarité, prostitution, violence, mais aussi viol, entre autres. Elles ont grandi sans un encadrement social adéquat, au sein d’une famille dysfonctionnelle, et ont fini par perdre la vie dans de tristes et tragiques circonstances, sans avoir jamais pu échapper à leur univers toxique. Leur disparition soudaine, à seulement un mois d’intervalle l’une de l’autre, a plongé aussi bien les Rodriguais que les Mauriciens dans l'émoi.
Il y a moins d’un mois, dans notre édition du dimanche 26 janvier, nous relations la triste histoire d’Annabelle. Quelques jours plus tôt, cette jeune femme avait accouché d’un mort-né à l’hôpital de Crève-Cœur, à Rodrigues. «Li ti tarde pou vinn lopital pou gagn swin kan linn koumans fer lafiev ek gagn douler dan so vant», avait souligné une source au niveau du personnel soignant dans l’île. Elle avait dû être transportée d’urgence à Maurice pour des soins plus poussés, son état de santé ne cessant de se détériorer. Malheureusement, elle n’a pu être sauvée et a fini par rendre l’âme, le 20 janvier, à l’unité des soins intensifs de l’hôpital Dr A. G. Jeetoo. Elle a succombé à un multiple organ failure, selon le rapport d’autopsie. La nouvelle a plongé les membres de son entourage dans une extrême souffrance, particulièrement sa tante Cindy, restée à son chevet jusqu’au rapatriement du corps vers son île natale.
Deux jours plus tard, soit le 22 janvier, c’est non sans mal que Cindy s’est envolée pour Rodrigues avec la dépouille de sa nièce pour les funérailles. Ayant vécu loin de sa sœur Noella depuis la séparation de leurs parents, elle n’avait aucune idée de sa situation précaire. La famille a même dû recourir à un appel aux dons pour pouvoir organiser les funérailles de la jeune femme et lui trouver un cercueil. Si Cindy avait d’abord envisagé de passer seulement huit jours aux côtés des siens à Rodrigues après les funérailles, elle a fini par changer ses plans, préférant prolonger son séjour pour soutenir sa sœur, ses trois nièces, notamment Christine, sans compter qu’Annabelle laissait derrière elle un fils âgé de moins d’un an. Elle ne s’était pas imaginée que sa famille était sur le point de vivre un autre drame.
Aux petites heures du matin, le mardi 18 février, une découverte macabre a été faite par un pêcheur sur les rochers de la plage d’Anse-aux-Anglais. Plusieurs parties du corps de Christine étaient dispersées sur le littoral sur plusieurs centaines de mètres. À ce moment-là, sa jambe droite était encore introuvable. D’après nos renseignements, la veille, sa mère Noella avait rapporté sa disparition au poste de police, leur précisant qu’elle souffrait de troubles psychologiques. Elle avait déclaré avoir accompagné l’adolescente à l’hôpital de Crève-Cœur dans la matinée pour son rendez-vous médical, celle-ci étant enceinte de cinq mois, et que l’adolescente lui aurait ensuite dit qu’elle devait s’absenter, sans préciser où elle se rendait. Après cela, elle n’a plus eu de nouvelles. Après un premier examen de la scène, les enquêteurs n’ont pas tardé à comprendre qu’il s’agissait d’un crime. Après avoir glané des informations sur le terrain, les limiers se sont rendus chez Jean Antoine Pasnin, aussi connu sous le nom de Dozé, un pêcheur de 63 ans habitant non loin de l’hôpital de Crève-Cœur. Pressé de questions, il est passé aux aveux pour le meurtre de l’adolescente et a remis ses vêtements aux enquêteurs. Des traces de sang ont également été découvertes sur son deux-roues.
Une histoire de vol
Questionné sur le motif de ce crime odieux et brutal, Jean Antoine Pasnin a raconté aux enquêteurs qu’il s’en était pris à l’adolescente à cause d’une histoire de vol. Il allègue qu’une semaine plus tôt, la jeune fille se serait introduite chez lui pour dérober de l’argent et que le lundi 17 février, elle aurait à nouveau fait irruption dans sa maison pour commettre un vol lorsqu’il l’avait surpris. Fou de rage, il se serait jeté sur elle et l’aurait étranglée jusqu’à ce qu’elle arrête de respirer. Lorsqu’il s’était rendu compte qu’il l’avait tuée, il avait élaboré un plan pour tenter de masquer le meurtre. À la nuit tombée, il avait découpé le corps de Christine en morceaux à l’aide de ses outils de pêche, puis les avait placés dans un sac. Il avait ensuite enfourché sa moto pour se rendre à la jetée de Pointe-Vénus, où il s’était débarrassé des restes du corps dans l’espoir qu’ils disparaîtraient en mer. Il serait ensuite rentré chez lui pour effacer toutes les traces de sang. Après avoir passé la nuit en détention, il a comparu devant le tribunal de Port-Mathurin pour son inculpation pour meurtre. Il a ensuite participé à un exercice de reconstitution des faits sous forte escorte policière avant d’être reconduit en cellule.
Le Dr Maxwell Monvoisin, médecin légiste de la police, a fait le déplacement à Rodrigues pour une autopsie. Celle-ci a attribué la mort de l’adolescente à une compression of the neck, confirmant que la victime avait bel et bien été étranglée à mort. L’exercice a aussi révélé que Christine était enceinte d’un garçon. Par ailleurs, la jambe droite de Christine a été retrouvée sur les rochers longeant la route côtière de Baie-Malgache dans la matinée de ce jeudi 20 février. Plusieurs unités de la force policière étaient présentes, dont le sergent Roussety, de la Scene of Crime Office (SOCO), et son équipe. Enfin, ce vendredi 21 février, le domicile de Jean Antoine Pasnin a, à nouveau, été passé au crible. Le BlueStar Forensic a ainsi révélé des traces de sang sur une hache et trois couteaux. Ces armes ont été saisies par les enquêteurs, soupçonnées d’avoir été utilisées pour découper le corps de Christine. L’enquête policière suit son cours.
La famille Bégué, encore secouée par le décès d’Annabelle, ne se remet pas de cette nouvelle tragédie. «Nou ankor pe demann nou si se pa enn kosmar seki nou pe viv. Ziska ler nou ankor dan sok», lâche Cindy, complètement désemparée. La voix nouée par l’émotion, elle avance, amère : «Monn rod debatt pou Christine devan lazistis. Monn fer tou pou protez li me mo pann resi.» L’adolescente, apprend-on de sources policières, a souvent eu des démêlés avec la justice, comptant plus d’une dizaine de vols à son actif. Lors de sa dernière comparution devant le tribunal pour une énième infraction, la Child Development Unit avait fait ressortir qu’elle était une adolescente à risque, ayant grandi dans un environnement familial toxique – l’une des sœurs a même été violée à plusieurs reprises par son beau-père. Faute d’un centre correctionnel à Rodrigues, Christine avait dû être relâchée, continuant d’enchaîner les frasques. Sollicité, le chef commissaire Franceau Grandcourt confirme qu’un centre correctionnel pour mineurs verra bientôt le jour dans l’île.
Les funérailles de Christine ont eu lieu ce jeudi 20 février en l’église de Saint-Gabriel, à Rodrigues. Amis, proches et membres du public ont été nombreux à se déplacer pour lui rendre un vibrant hommage.
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