Publicité
11 mai 2025 11:52
Il y a deux ans, elle a perdu sa mère, qui a été terrassée par la maladie. Confiée à son père depuis, cette adolescente de 16 ans aurait vécu un véritable martyr sous le toit de cet homme avec qui elle n’avait jamais noué de liens. Dans une plainte consignée le mardi 6 mai, elle déclare avoir été torturée, séquestrée et violée à plusieurs reprises par son géniteur, qui est activement recherché. Des examens médicaux ont révélé qu’elle est enceinte de deux mois. Elle se confie.
C’est à travers un appel vidéo, de son lit d’hôpital, qu’elle s’adresse à nous pour la première fois. Le sourire aux lèvres, les yeux qui pétillent, Vanessa (prénom d’emprunt), 16 ans, incarne l’innocence et l’insouciance qu’on associe bien souvent à la jeunesse. Derrière sa bonne humeur apparente se cache cependant une succession de traumatismes, de souffrances, des épreuves épouvantables et inimaginables qui semblent avoir entraîné un blocage émotionnel. Depuis décembre 2024, dit-elle, elle aurait été battue, séquestrée et violée à plusieurs reprises par nul autre que son père, un maçon de 48 ans. Le vendredi 2 mai, elle est parvenue à fuir le toit familial dans le sud pour se réfugier chez sa cousine et sa grand-mère maternelle, dans un village côtier de l’ouest. «Je leur ai raconté ce que j’avais subi et je leur ai dit que je n’avais plus mes règles. Mo kouzinn inn aste enn test pou mo fer, lerla monn trouv de bar. Monn kone mo ansint pou mo papa.» Encouragée par ses proches, elle a consigné une déposition au poste de police ce mardi 6 mai. Son père est activement recherché.
Vanessa n’a pas eu une enfance toujours facile. Peu après sa naissance, ses parents se sont séparés et elle a régulièrement changé d’adresse, basculant d’une maison à l’autre avec sa mère, principalement dans la région port-louisienne. Sa grand-mère maternelle le concède : «So mama pa ti pe reflesi, li pa ti pe gete avek ki kalite zom li ti pe met li.» Il y a environ deux ans, après que sa mère a été terrassée par une maladie du foie, la vie de Vanessa a été complètement chamboulée. La garde a été confiée à son père biologique, un homme qu’elle connaissait à peine et avec lequel elle n’avait jamais noué de liens. Elle a ainsi dû emménager dans sa maison dans le sud de l’île, loin de ceux avec qui elle avait grandi. Privée d’éducation, ses journées, elle les passait à aider sa belle-mère à s’occuper de la maison ainsi que de son demi-frère et sa demi-sœur, plus jeunes qu’elle. Si, au départ, «mo papa ti enn dimounn trankil», bien vite, sa vie à ses côtés aurait pris une tournure cauchemardesque. Après que sa belle-mère, qui aurait été régulièrement victime de violences conjugales, a quitté le toit familial, son père se serait d’autant plus noyé dans l’alcool. «Pli ale, pli linn vinn pir. Sak fwa ki li bwar, li dekontrole», relate l’adolescente.
Souffre-douleur
C’est ainsi que Vanessa serait vite devenue le souffre-douleur de son père. «Li ti vinn move, sovaz. Li ti pe tap mwa, koz brit avek mwa, zour mwa.» C’est en décembre dernier cependant qu’il serait allé beaucoup plus loin, bien trop loin, au cours d’une soirée de beuverie. «Li ti donn mwa bwar, lerla mo pa kone kinn arive. Monn perdi konesans. Lelandime, ler monn leve, mo pa ti ena linz lor mwa, mo lame ti atase. Monn fini doute ki linn dormi ar mwa. Monn dir li detass mwa, linn trap mwa linn bate. Letan linn larg mwa, linn dir mwa pa dir personn sinon li pou trap mwa li pou bate ankor.» Traumatisée, l’adolescente s’est murée dans le silence, craignant de subir les foudres de son géniteur. Malgré tout, elle avait voulu croire qu’un acte si abominable ne se reproduirait plus. Trois mois plus tard cependant, il serait à nouveau passé à l’acte. «Sa fwa-la, li pann drog mwa. Linn kriye mwa, linn dir mwa vini. Monn bizin al get li parski mo konn so manier. Mo ti kone ki si mo pa vini li ti pou bat mwa. Linn riss mwa dan lasam, linn teign lalimier, linn pouss mwa lor lili ek linn tir mo linz, linn refer sa ankor. Entre mars et avril, cela s’est produit à trois reprises.» Paralysée par la peur, «mo pann kapav fer nanye, mo pann resi debat», confie-t-elle platement, comme pour ne pas se laisser submerger par ses émotions. Bien que sa demi-sœur de 14 ans vit sous le même toit, «elle ignore tout de ce qui se passait car elle souffre d’un handicap et est malvoyante», dit l’adolescente
Loin des siens, Vanessa ne savait pas vers qui se tourner. D’autant que «mo papa ti pe ferm mwa andan, anpes mwa sorti, pran mo telefonn tansion mo dir dimounn ki linn fer. Li ti mem koup mo seve pou mo pa rod sorti, ti bril kanf dan mo lame, teign sigaret lor mo zenou». Sa seule issue, pensait-elle, aurait été de chercher de l’aide auprès l’une de ses demi-sœurs, qui est âgée de 24 ans et vit également dans le sud, mais «li pann le krwar mwa, linn dir mwa mo pe koz manti. Li ti pe rod bat mwa. Li ena mem mantalite avek mo papa». Il y a un peu plus d’un mois, Vanessa a fait une première fugue pour se réfugier chez sa famille maternelle, mais elle n’avait pas encore trouvé le courage de leur confier son calvaire. Le lendemain, elle a été contrainte de rentrer à la maison après que son père est venu la récupérer. Le vendredi 2 mai, elle a profité d’un moment d’inattention de son père et a à nouveau fui le toit familial pour aller se réfugier chez sa cousine après qu’il l’a rouée de coups. C’est lorsque son père, qui surveillait au grain son cycle menstruel, «inn sonn mwa, inn koumans koz tibaba avek mwa, inn dir mwa pou garde, ki monn koumans poz mwa bann kestion. Mo pa ti pe realize ki li pe dir mwa. Lerla monn bizin koz sa avek mo kouzinn parski mo pa ti pe gagn mo reg». Elle a aussitô t fait un test de grossesse, qui s’est avéré positif. «Kan mo demi-ser inn kone, linn sonn mwa, inn dir mwa retourn lakaz pou nou koz sa me mo pann ekout li. Monn dir li mo pa pou vini parski li pa ti pe krwar mwa. Mo kone si mo ti retourne, mo ti pou gagn bate ankor.»
Le mardi 6 mai, Vanessa a d’abord porté plainte pour viol contre son père en présence de sa cousine. La Brigade pour la protection de la famille a été alertée et a conduit l’adolescente à l’hôpital le même jour pour son admission. Durant son séjour dans l’établissement, elle a été examinée par des médecins de la police qui ont confirmé qu’elle était enceinte de deux mois. «Dokter finn dir li bizin gard zanfan-la sinon li kapav gagn konplikasion, tension so lezo feb», explique sa cousine. Ce samedi 10 mai, Vanessa a pu quitter l’hôpital et s’est installée chez sa grand-mère maternelle. Bien qu’elle ignore à ce stade ce que lui réserve l’avenir, elle se dit «soulagée d’avoir enfin pu me confier. Aster mo inpe pli trankil, mo kontan ki monn resi gagn bann dimounn kinn krwar mwa. Aster mo zis anvi rod enn ti travay, depann lor mwa». À l’heure où nous mettions sous presse, le quadragénaire était toujours recherché.
Les ONG dénoncent et exigent des mesures plus sévères pour renforcer la protection des femmes et des filles face à la violence sexuelle
Le récent drame d’inceste, dénoncé le 6 mai, met une fois de plus en lumière la terrible vulnérabilité des mineures face aux agressions sexuelles, trop souvent perpétrées au sein même du cercle familial. Afin de mieux appréhender les complexités de telles situations et d’envisager des stratégies pour renforcer la protection des femmes et des jeunes filles, nous avons recueilli les témoignages de diverses organisations non gouvernementales (ONG) profondément engagées dans ce combat essentiel, qui partagent leurs perspectives.
Jenssy Sabapathee, fondatrice de la plateforme Facebook Respecter Nous : «Plaidoyer pour des lois plus sévères et une plus grande sensibilisation»
«Je suis profondément révoltée et emplie de tristesse. Un père est censé être le protecteur de son enfant. Dans ce cas précis, l’individu en question ne mérite même plus l’appellation de Papa, car pour moi, il s’agit d’un violeur et d’un pédophile. Trop fréquemment, on expose l’image de la victime, tandis que celle de l’accusé reste cachée, sous prétexte de le protéger d’une éventuelle vindicte populaire. Il est grand temps que les autorités compétentes appliquent des lois beaucoup plus sévères afin de garantir une meilleure protection à ces victimes. Pour cela, il faut multiplier les campagnes de sensibilisation et introduire des cours d’éducation sexuelle à l’école. La création de groupes de soutien est essentielle pour leur offrir des conseils et un accompagnement adéquat. Il est important qu’elles reconnaissent leur statut de victimes face à leurs agresseurs. C’est dans cette optique que la plateforme Respecter Nous joue un rôle fondamental en offrant aux victimes un soutien concret : en les guidant à travers les démarches administratives et judiciaires, mais surtout, en les aidant à reconstruire leur vie.»
Prisheela Mottee, fondatrice de Raise Brave Girls : «L’introduction de l’éducation sexuelle dans les écoles…»
«Il est essentiel que les ONG poursuivent inlassablement leur travail de soutien auprès de ces victimes. Parallèlement, l’introduction de l’éducation sexuelle dans toutes les écoles est une nécessité. De plus, il faudrait mettre en place des ressources humaines compétentes, capables de détecter le moindre signe de détresse chez un enfant et de signaler rapidement toute affaire suspecte. Au niveau sociétal, une campagne nationale s’impose pour enseigner aux enfants la distinction entre les bons et les mauvais contacts. Sur le plan législatif, bien que des lois existent déjà, il est impératif d’adopter des mesures encore plus sévères pour éradiquer ces actes de violence sexuelle. Nous reconnaissons le travail important accompli par le ministère de l’Égalité des genres et du bien-être de la famille, mais il est essentiel que ces efforts se poursuivent et s’intensifient à travers de multiples campagnes de sensibilisation. D’ailleurs, l’ONG Raise Brave Girls avait déjà soumis aux autorités un projet visant à ce que chaque élève dispose d’un dossier médical, une initiative qui pourrait s’avérer précieuse dans la détection précoce de certaines situations préoccupantes.»
Virginie Bissessur, présidente de Pedostop : «La pédocriminalité, une menace insidieuse au cœur des familles»
«Chez Pedostop, nous sommes confrontés quotidiennement à ce genre de cas déchirants. Un chiffre glaçant révèle que 94 % des agresseurs sont des personnes proches des victimes. Il est important de prendre conscience que l’inceste et les violences sexuelles envers les enfants sont une réalité insidieuse, tapie au sein de nombreux foyers. Nos recherches de l’année dernière ont mis en lumière des statistiques alar-mantes : 6 % des Mauriciens ont été victimes de viol et 42 % ont subi une forme d’agression sexuelle au cours de leur vie. Ce n’est pas une question d’éducation ou de condition sociale, mais plutôt le reflet de la perversité de certains individus, exacerbée par le tabou persistant autour de la sexualité dans notre société. Pour protéger efficacement ces jeunes filles, une refonte du système de protection de l’enfance s’impose. Des mesures de prévention systématiques doivent être mises en place et l’éducation sexuelle doit être intégrée au cursus scolaire. De plus, le processus de signalement actuel est déplorable. L’absence de traces physiques sur l’enfant conduit trop souvent au «bénéfice du doute», permettant au prédateur de s’en sortir impunément. Il est impératif que les policiers soient formés aux techniques d’interrogation adaptées aux enfants. Nous devons créer des lieux d’accueil spécifiques où l’enfant se sentira en sécurité pour parler et désigner, à l’aide d’une poupée par exemple, les zones de son corps touchées par l’agresseur. Chez Pedostop, l’écoute est primordiale. Nous nous efforçons ensuite d’identifier les besoins de la victime, qu’il s’agisse de thérapie ou de démarches juridiques.»
Publicité
Publicité
Publicité