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31 mars 2025 11:16
Il a été condamné à 15 ans de prison, en août dernier, pour le meurtre de Vanessa Lagesse, 23 ans après les faits. L’appel de Bernard Maigrot a été entendu devant la Criminal Court of Appeal durant la semaine écoulée. Le full bench de la Cour suprême a mis son jugement en délibéré après trois jours de débats intenses entre Me Matthew Sherratt, King’s Counsel, l’avocat britannique du principal concerné, et Me Rashid Ahmine, Directeur des poursuites publiques (DPP). La cheffe juge Rehana Mungly-Gulbul a présidé les audiences. Elle était épaulée par les juges David Chan et Sarita Bissoonauth.
Le destin de Bernard Maigrot est désormais entre les mains de Rehana Mungly-Gulbul ainsi que celles de David Chan et Sarita Bissoonauth. La cheffe juge a présidé la Criminal Court of Appeal durant la semaine écoulée, était épaulée par les deux autres juges. Ce full bench a ainsi entendu l’appel de l’homme d’affaires qui a été condamné, en août dernier, à 15 ans de prison pour le meurtre de Vanessa Lagesse, 23 ans après les faits. À l’issue de son procès aux Assises, les membres du jury l’ont trouvé coupable à une majorité de sept contre deux alors qu’il avait plaidé non coupable.
Sa legal team avait donné avis d’appel peu après. Les juges Shameen Hamuth-Laulloo et Patrick Kam Sing siégeant en Cour suprême lui ont ainsi accordé la liberté sous caution le 6 décembre dernier, en attendant son procès en appel. Il a fourni deux cautions de Rs 1 million chacune afin de retrouver la liberté conditionnelle. Son procès en appel devant la Criminal Court of Appeal a débuté le mardi 25 mars pour prendre fin le jeudi 27 mars. Ses avocats avaient déjà avancé 33 points pour que sa sentence soit revue. Ils avaient relevé plusieurs manquements dans leur avis d’appel.
Véritable tragedie
Son avocat britannique, Me Matthew Sherratt a, lui, commencé son réquisitoire en précisant que cette affaire est une véritable tragédie où une jeune femme a perdu la vie dans des circonstances atroces. Rappelons que le corps de Vanessa Lagesse, une styliste héritière d’une belle fortune, avait été découvert à moitié nu dans la baignoire de son bungalow à Grand-Baie, le 10 mars 2001. L’autopsie avait révélé que la jeune femme avait été rouée de coups, entraînant une fracture de sa colonne vertébrale. Son amant Bernard Maigrot ne compte plus les séjours en prison depuis sa première arrestation dans cette affaire. Poursuivant son allocution, le King’s Counsel a toutefois tenu à signaler que cette affaire ne doit en aucun cas tourner en une véritable erreur judiciaire. Il a également dénoncé l’absence d’enquête préliminaire avant le procès, ce qui fait que son client n’a pas eu droit à un procès équitable. La défense allait, selon lui, résister aux nouvelles preuves scientifiques mises en avant par la poursuite lors du second procès aux Assises.
Le King’s Counsel confirme la présence de son client chez Vanessa Lagesse. Les tests ADN ont été positifs. Il a toutefois insisté sur un détail important, soit la déposition du Dr Satish Boolell, ancien responsable du département médico-légal de la police. Ce dernier avait précédemment déclaré en cour que plus d’une personne aurait participé à l’agression mortelle de Vanessa Lagesse. Me Sherratt s’est demandé pourquoi la police ne s’est pas penchée davantage là-dessus. L’homme de loi a également évoqué une autre piste, soit le vol d’une montre appartenant à Vanessa Lagesse. Il voulait savoir pourquoi la police n’a jamais exploré cette piste. Il a avancé que son client n’avait aucune intention de commettre cet acte odieux car la victime et lui étaient amants. Maigrot, a-t-il rappelé, s’était rendu chez la jeune femme quelques jours plus tôt et ils avaient eu des relations sexuelles. Ce qui explique la présence de son ADN dans la maison de Vanessa Lagesse. Lors de son réquisitoire, le King’s Counsel a fait ressortir que deux ADN retrouvés dans le bungalow de la jeune femme n’ont toujours pas été identifiés. Il a ensuite évoqué une «disclosure» de certains documents pour le procès à la demande de la défense.
Me Sherratt est d’avis que les droits constitutionnels de son client ont été bafoués. Il a ainsi exprimé de vives critiques contre le délai pour la mise en accusation, en 2022, alors que l’ouverture de l’enquête policière avait eu lieu en 2001. Le lead counsel de Maigrot a aussi dénoncé la façon de faire du juge Luchmyparsad Aujayeb lors du procès aux Assises. Il est d’avis que celui-ci n’aurait pas dû laisser la poursuite qualifier Martine Desmarais de «témoin de complaisance». Cette dernière avait fourni un alibi à Bernard Maigrot.
«Torturé depuis 24 ans»
Lors de sa plaidoirie, l’avocat britannique a également mis en avant le rapport médical de son client qui avait confirmé qu’il avait été torturé pour faire des aveux. «Cet homme est torturé depuis 24 ans», s’est insurgé Me Sherratt. Il se demande aussi pourquoi la police n’a jamais interrogé son client auparavant sur la présence de son ADN chez la victime. Ce n’est qu’en 2011 que les enquêteurs ont prélevé des échantillons sur lui. Selon les dires de l’avocat toujours, «the DNA is so weak in this case». Il s’est ensuite penché sur l’heure du décès en fonction de l’alibi de son client fourni par Martine Desmarais. Lors du procès aux Assises, le Dr Boolell, ancien légiste de la police, avait conclu que la jeune femme était morte après avoir été rouée de coups, entraînant une fracture de sa colonne vertébrale. Elle avait été tuée entre minuit et 1 heure du matin, avait-il dit, tout en précisant que la science de l’estimation de l’heure du décès n’est pas exacte. Me Sherratt s’est alors demandé à quel moment son client a pu commettre cet acte odieux. Ce soir-là, il participait à un dîner en famille avec les Desmarais.
Le DPP lui a donné la réplique le lendemain. Me Rashid Ahmine a commencé son réquisitoire en précisant que le procès de Bernard Maigrot «is a special case» qui a connu plusieurs rebondissements dont un abandon des poursuites en 2008 avant la reprise de l’affaire en 2012, tout en soulignant qu’il n’y a pas eu d’erreur judiciaire. Il a soutenu que le meurtre de Vanessa Lagesse n’était pas lié au vol d’une montre dans son bungalow à Grand-Baie. Il a appuyé ses dires avec la déposition d’un enquêteur qui avait déclaré durant le procès que la victime avait une bague en or au doigt, comprenant une pierre précieuse, quand on a découvert son corps. Il n’y avait pas eu d’effraction chez elle et sa famille n’avait pas signalé la disparition d’objets de valeur dans son bungalow après son agression mortelle. Le DPP a martelé à plusieurs reprises que Maigrot a bénéficié d’un procès équitable lors des audiences aux Assises. Il précise que tous les éléments importants ont été fournis à ses avocats pour assurer sa défense. Il souligne que celle-ci n’a subi aucun préjudice et que tous les documents réclamés leur ont été remis. Me Ahmine avance que Maigrot est le seul responsable du délai pour l’instruction de son procès aux Assises.
Preuves scientifiques
Il a alors présenté un volumineux document contenant tous les rulings prononcés jusqu’ici dans cette affaire après les nombreuses motions des avocats du principal concerné. Me Ahmine est ensuite revenu à la charge avec les fameuses preuves scientifiques que conteste la défense. Il a confirmé que des ADN masculins et féminins ont été relevés chez la victime. Il a concédé que certains sont toujours inconnus à ce jour. Le DPP a toutefois tenu à faire ressortir que l’ADN de Maigrot avait été retrouvé sur le canapé de la victime, sur deux tapis du lit et aussi dans la salle de bain. Me Ahmine a précisé que Bureau du DPP avait logé une troisième accusation contre lui après avoir analysé le rapport des tests ADN effectués par le Professeur Doutremepuich du Laboratoire d’hématologie médico-légale de France. Le principal concerné déclare qu’il avait rendu visite à sa maîtresse le 6 mars 2001, soit trois jours avant le meurtre qui avait été perpétré dans la soirée du 9 mars, visite qui expliquerait la présence de son ADN. Me Sherratt avait formulé des réserves à ce sujet car le Professeur Doutremepuich n’a pu dire dans son rapport ni quand ni comment cet ADN s’est retrouvé là exactement.
Le King’s Counsel est d’avis que cette attitude a potentiellement conduit le jury à une conclusion erronée. Le DPP lui a lancé un véritable pic en disant que la loi n’exige pas cette mention d’un expert, sans oublier le fait que le juge Lutchmyparsad Aujayeb, qui avait présidé le procès de Bernard Maigrot aux Assises, avait bien expliqué ce point aux membres du jury. Me Ahmine est également d’avis que Maigrot aurait dû demander une contre-expertise des résultats des tests ADN depuis le début. Il a aussi expliqué que l’ADN du suspect a été relevé à neuf reprises chez la victime. Me Ahmine a remonté un autre élément important. Maigrot avait déclaré qu’il avait déjà rompu avec la victime avant son agression mortelle. L’homme d’affaires avait confié que sa maîtresse et lui se voyaient dans des hôtels ou à l’étranger lorsqu’il était en voyage. Le DPP se demande pourquoi la victime et lui se sont échangés plusieurs appels avant le drame s’ils avaient déjà rompu. C’est ce que le relevé de leurs appels téléphoniques respectifs indique. Maigrot avait déclaré que la victime et elle avaient eu des relations sexuelles dans la soirée du 6 mars. «There is a burden of proof», insiste Me Ahmine.
«Abuse of process»
Le DPP est aussi revenu sur le fait que le jury a rejeté l’alibi fourni par Martine Desmarais car il y a eu «direct evidence». Me Sherratt n’est pas resté insensible à cet élément. Dans son réquisitoire final, le King’s Counsel a avancé que la source de l’ADN de son client est «complexe et confuse». Il a précisé que les pièces à conviction sont «fragiles» et a affirmé que le «disclosure of scientific evidences was crucial for the defense». Il a souligné qu’il y a eu «abuse of process due to delay» avant de revenir à la charge avec les «unknown DNA». Il a ensuite surpris tout le monde en lançant «pa kone». Il a terminé avec des mots forts. «Deux familles sont dans la tourmente depuis 24 ans. Justice should not be delayed. It is too long», a affirmé Me Sherratt. Le DPP lui a donné la réplique. Il réclame le maintien de la condamnation même si la défense a mis en avant plusieurs manquements. Me Ahmine a mentionné une section du Criminal Appeals Act, connue comme Proviso, stipulant que la cour peut maintenir une condamnation si elle considère que le suspect est coupable. Le DPP a demandé au full bench de maintenir la condamnation de Maigrot.
La cheffe juge Mungly-Gulbul et les deux juges Chan et Bissoonauth ont mis leur jugement en délibéré. Anne Rogers, la sœur de Vanessa Lagesse, était présente en cour durant les trois jours. Elle est restée très discrète comme à l’accoutumée. L’entourage de Maigrot n’a pas souhaité faire de grand commentaire non plus. «Ne faisons aucun pronostic. Laissons le State Law Office continuer à défendre l’indéfendable. Mon soutien reste indéfectible pour cette famille broyée par la machine infernale de l’État. Ce scandale dure depuis 24 ans. Il nous ronge à petit feu», lâche un ami des Maigrot.
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