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28 juin 2025 18:24
Entre colère dans la rue, indignation en ligne et perte de confiance visible dans l’opinion, le gouvernement de Navin Ramgoolam affronte, ces derniers jours, une vague de critiques acerbes qui s’est transformée en une grogne généralisée. Une première véritable épreuve depuis son retour au pouvoir.
Basic Retirement Pension : un move «pas très malin» qui risque de coûter cher
La colère gronde, l’indignation explose et la confiance vacille. Elle est ambiante, palpable à chaque coin de rue, dans chaque conversation. Oui, les Mauriciens ne sont pas contents et le font savoir. Huit mois après son retour au pouvoir, l’Alliance du Changement traverse sa première grande zone de turbulences et les secousses fragilisent peu à peu sa crédibilité. Une première tempête déclenchée par la réforme controversée de la Basic Retirement Pension à 65 ans, une mesure vivement contestée qui provoque un profond malaise au sein de la population et qui soulève d’importantes questions sociales et politiques.
Si le Budget a été accueilli avec un sentiment mi-figue mi-raisin par les Mauriciens, le plus gros macadam reste le report de l’âge de la pension universelle de manière progressive. Une pilule amère et difficile à avaler pour les citoyens qui considèrent la pension de vieillesse comme un acquis social, fruit de décennies de luttes et de contributions.
Cette décision unilatérale, perçue comme une remise en cause d’un droit fondamental, a provoqué une onde de choc dans l’opinion publique qui n’était absolument pas préparée à une telle annonce. D’ailleurs, les deux manifestations qui ont eu lieu le samedi 21 juin dans les rues de la capitale et de Rose-Hill témoignent de la fronde sociale et de la perte de confiance des Mauriciens de plus en plus désabusés. Les syndicats, fortement mobilisés, maintiennent la pression et dénoncent avec vigueur cette mesure.
Malgré l’impopularité du moment, Navin Ramgoolam et son équipe défendent bec et ongles cette réforme, la qualifiant d’inévitable pour garantir la viabilité du système. Lors des débats budgétaires cette semaine, Navin Ramgoolam et Paul Bérenger ont affirmé qu’ils n’ont «pas le choix» et qu’ils sont en train de «donner une direction au pays».
Il n’en reste pas moins, affirme Lindsay Rivière, que le manque de dialogue, de consultation et de débat préalable autour d’un dossier aussi épineux est un manquement sévère de la part du gouvernement. «C’est un move pas très malin de leur part. Certes, il faut du courage pour s’attaquer à un héritage budgétaire aussi lourd, mais la stratégie choisie n’est pas la bonne. Le problème, c’est la méthode. En annonçant la mesure après coup, le gouvernement brouille toutes les autres lignes fortes du Budget. C’est un sérieux écart par rapport à la promesse électorale d’une gouvernance plus transparente. Cette manière de procéder nuit à son image et à sa popularité. Ça a été particulièrement désagréable pour la population, car elle a été imposée sans la moindre phase de communication. Un sujet d’une telle importance aurait mérité un large débat national.»
Le gouvernement, lance Faizal Jeeroburkhan, analyste politique, aurait dû préparer l’opinion publique avant de dévoiler une mesure d’une telle ampleur. Au lieu de prendre tout le monde par surprise, le mieux aurait été de procéder par étapes en étalant clairement les raisons de cette décision et en explorant des compromis acceptables. «Cette réforme touche directement la vie – voire la survie – de milliers de travailleurs qui attendent depuis des années ce moment décisif. Le gouvernement a voulu désamorcer une bombe qu’on aurait dû avoir neutralisée depuis des années, mais l’absence de consultation et de négociation en amont avec les syndicats et la société civile a conduit à un levée de boucliers d’ampleur nationale.»
L’observateur politique Parvèz Dookhy abonde dans ce sens. Cette réforme surprise est perçue comme «un coup de poing direct porté au peuple». Résultat ? C’est la crédibilité de l’équipe gouvernementale qui prend un sale coup.* «L’incompréhension est là. Il s’agit d’une mesure qui n’a pas été mise dans le débat. Au contraire, le discours des dirigeants de l’Alliance du Changement c’était de dire qu’ils feraient autant que Pravind Jugnauth, sinon plus, pour les pensionnaires. Traditionnellement, le discours du Budget est une énonciation de cadeaux. Là, tout d’un coup, le peuple s’est rendu compte qu’il a perdu ses acquis sociaux, ses droits fondamentaux, d’où la grogne qui monte en puissance.»*
Et l’impact, ajoute Faizal Jeeroburkhan, risque de faire mal. «Sur le plan social, ce malaise profond menace de creuser un fossé durable entre le gouvernement et la population, affaiblissant la mise en œuvre des réformes économiques, institutionnelles et sociales. L’avenir de l’État-providence pourrait en être sérieusement compromis. Politiquement, le risque d’instabilité est bien réel. Un affrontement direct entre l’exécutif et les forces vives du pays pourrait nuire à l’image internationale de Maurice, compromettre son attractivité économique et touristique, et aggraver encore une situation financière déjà critique – au détriment des générations futures.»
Cependant, il faut garder en tête, dit-il, les enjeux démographiques et la situation financière accablante : «Les principaux indicateurs macroéconomiques sont au rouge, le contexte économique mondial est défavorable, il y a la stagnation inquiétante de divers piliers de l’économie ainsi que le vieillissement progressif de la population, la chute persistante du taux de natalité, les menaces de Moody’s et l’émigration croissante des jeunes professionnels.»
Tous égaux face aux sacrifices ?
Des voix s’élèvent. Elles dénoncent. Elles crient à l’injustice. Peut-on demander au peuple de se serrer la ceinture quand les dirigeants eux-mêmes ne donnent pas l’exemple ? Ces derniers jours, la question alimente les débats et agite les conversations. En milieu de semaine, la parution dans la presse d’un document officiel émanant du bureau du Premier ministre et faisant mention d’une augmentation du salaire des Advisers – certains pouvant toucher jusqu’à Rs 140 000 par mois – a déclenché une vague d’indignation. Dans un contexte économique particulièrement difficile, où la hausse constante du coût de la vie et les restrictions budgétaires étouffent un peu plus chaque jour les ménages, ce genre de révision salariale, alors même qu’on réclame des sacrifices à tous, ne passe pas. Pour Faizal Jeeroburkhan, l’indignation des Mauriciens repose essentiellement sur des impératifs sociaux, émotionnels et contractuels : «Il y a l’absence de consultation et de négociation préalable, le non-respect des droits acquis, les promesses électorales non tenues, les salaires et privilèges excessifs et injustifiés des parlementaires et autres.» Si la grogne s’intensifie, dit-il, la crédibilité et la marge de manœuvre du pouvoir en place seront sérieusement réduites.
Au Parlement, le 25 juin, le PM a tenté de rectifier le tir en démentant toute hausse des salaires des Junior Ministers ou des conseillers. Il a affirmé qu’il s’agit «d’une mauvaise interprétation» et d’une «campagne de désinformation» orchestrée par l’opposition. La question des pensions accordées aux élus a aussi refait surface. Plusieurs voix dans l’opinion publique appellent désormais les bénéficiaires de pensions parlementaires à y renoncer, en signe de solidarité avec les citoyens. Pour l’Attorney General, Me Gavin Glover, qui a également pris la parole au Parlement, il s’agit d’un faux débat, car un ancien membre du Parlement devient éligible à la pension après deux mandats et, si jamais il est réélu, celle-ci est suspendue et il touche uniquement l’allocation parlementaire. Aujourd’hui, a-t-il précisé, ni le Premier ministre, ni son adjoint, ni le leader de l’opposition ne touchent cette pension. Pour Parvèz Dookhy, le contraste reste saisissant. *«Les élus et ministres, pour beaucoup, sont eux déjà pensionnaires à plusieurs titres et ils ne sont pas partis à la retraite. Alors que l’homme ordinaire doit partir à la retraite pour être pensionnaire.» *
Les deux autres polémiques de cette semaine : le voyage de Patrick Assirvaden du 21 au 23 avril en Turquie, qui a coûté Rs 695 000, lié à des négociations pour la location d’un powership pour pallier la crise énergétique actuelle, et celui de Richard Duval en Afrique du Sud, du 14 au 16 avril, organisé sous forme de roadshow, qui aurait coûté Rs 2,7 millions selon la MTPA, alors que le ministre du Tourisme parle de Rs 259 800 pour ses dépenses personnelles. «Ils disent que la caisse est vide, mais eux s’amusent. Ils entreprennent des voyages qui coûtent énormément, perçoivent des per diem excessifs. Les salaires des conseillers augmentent significativement. L’action du gouvernement n’est pas cohérente. Il fait se serrer la ceinture à ceux au plus bas de l’échelle, mais eux dilapident les paniers de l’État», soutient Parvèz Dookhy.
Quand le MSM essaie de surfer sur la vague du mécontentement
La présence de Pravind Jugnauth et de plusieurs membres du MSM – malgré un accueil hostile – à la manifestation du samedi 21 juin n’est pas passée inaperçue. Se disant «aux côtés des Mauriciens» dans ce moment difficile, ils ont brandi la carte de la démocratie et de l’injustice. Mais pour Lindsay Rivière, le peuple n’est pas dupe : «La colère reste vive contre le MSM, à qui l’on reproche les largesses qui ont conduit à la situation actuelle.»
Dans un live Facebook en début de semaine, l’ancien ministre des Finances, Renganaden Padayachy, s’en est, lui, vivement pris au gouvernement actuel qui «n’a aucun droit de supprimer cet acquis social» et a imposé une «réforme inhumaine». Tenter de capitaliser sur la colère populaire pour regagner en crédibilité : une stratégie gagnante ?
Pour Parvèz Dookhy, le manque de maturité de l’électorat fait que tout est possible : «Il vote aveuglément et l’histoire va se répéter. Les Mauriciens aiment des figures dynastiques. Donc, Pravind Jugnauth n’a qu’à attendre son heure. Il n’aura qu’à proposer le rétablissement des pensions et leur augmentation.»
Faizal Jeeroburkhan s’oppose catégoriquement à cette idée. Pour lui, les tentatives du MSM de capitaliser sur ce mécontentement sont odieuses et indécentes : «Le MSM n’a pas le droit moral d’agir en donneur de leçons sur un problème qu’il a délibérément soutenu et amplifié pendant une décennie pour sa survie politique, tout en aggravant dangereusement l’état de l’économie. La population, qui l’a condamné sévèrement aux dernières élections, ne se laissera pas embobiner une fois de plus.»
Pour sortir de l’impasse et limiter la casse
Entre acceptation et compromis, le besoin d’une solution consensuelle et durable est nécessaire. Pour Lindsay Rivière, la population doit se rendre à l’évidence : «Le système actuel n’est plus soutenable. D’ici 10 ans, la facture atteindra près de Rs 100 milliards. On en parle depuis 30 ans. Il est donc impératif de le revoir. Personnellement, je suis partisan du ciblage. Ailleurs, la pension n’est pas automatique : si l’on dépasse un certain seuil, on n’y a pas droit, et personne n’y voit rien d’humiliant. »
Faizal Jeeroburkhan estime, lui, que le gouvernement doit aujourd’hui jouer la carte de l’apaisement et de la transparence : «Le gouvernement doit se mettre à table avec les parties concernées pour dégager un consensus et une formule viable à long terme pour sortir de cette impasse, et cela passe par le dialogue, la pédagogie, les compromis et la justice sociale. À travers une campagne d’information nationale, chiffres à l’appui, il doit convaincre la population de l’impraticabilité et de la non-viabilité du système actuel.»
Le gouvernement doit aussi faire des compromis, dit-il : «Il doit rectifier l’échelonnement de l’âge de la retraite par paliers sur plusieurs années et revoir des mécanismes d’exception pour les métiers pénibles et les personnes ayant commencé à travailler très jeunes. Il doit aussi prendre des mesures pour encourager les retraités capables de travailler à prendre de l’emploi sous certaines conditions.»
Pension : où en sommes-nous ?
Les deux comités ministériels mis en place pour examiner les modalités d’application de la réforme des retraites sont à l’œuvre. Le premier, présidé par le Premier ministre, étudie les aides possibles pour les 60-65 ans exerçant des métiers pénibles, ainsi que pour les femmes au foyer.
Le second, dirigé par Ashok Subron, ministre de l’Intégration sociale, s’est penché sur les cas de personnes incapables de travailler pour des raisons de santé et a décidé de maintenir la pension de Rs 15 000 pour environ 3 000 personnes âgées de 60 à 61 ans jusqu’à leurs 65 ans. Environ 15 000 personnes pourraient en bénéficier chaque année. Selon les chiffres, 27 % des 60-65 ans sont encore salariés, avec un pic de 39,6 % chez les 60-61 ans, et une baisse à 15,9 % pour les 64-65 ans.
De l’autre côté, les syndicats maintiennent la pression et réclame l’annulation immédiate de cette mesure. La plateforme syndicale a prévue une nouvelle manifestation le samedi 5 juillet au Plaza, à Rose-Hill.
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