Le cynisme du double discours

Un langage dans l’opposition, un autre au gouvernement ! ll fut un temps où les élus actuels de l’Alliance du Changement – alors dans l’opposition – exigeaient que l’accord entourant Agaléga entre Maurice et l’Inde soit rendu public, au nom de la transparence. Il fut un temps où des voix s’élevaient, au Parlement comme lors des conférences de presse, pour réclamer la divulgation de tous les documents signés entre notre pays et la Grande Péninsule. Il fut un temps où les Agaléens espéraient que les successeurs de l’ancien régime lèveraient enfin le voile sur le vrai «deal» concernant leur île.

Mais Ramgoolam vient de mettre fin à toutes ces illusions ! En répondant à une question du député Quirin à l’Assemblée nationale mardi dernier, le Premier ministre a adopté exactement le même discours que Pravind Jugnauth, évoquant une clause de confidentialité qui empêche la publication des termes de l’accord – une clause que ses alliés et lui dénonçaient pourtant lorsqu’ils étaient dans l’opposition. Voilà de quoi contrarier ceux qui croyaient en un changement à tous les niveaux !

Le chef du gouvernement s’est contenté de rappeler que cet accord concerne la surveillance et le contrôle de la zone économique exclusive, la lutte contre la piraterie, le terrorisme, la prévention du braconnage et la pêche illégale, entre autres. Il a aussi précisé que toutes les infrastructures – piste d’atterrissage, tour de contrôle, hangar pour avion, nouveau quai – ont été financées par le gouvernement indien, tout en assurant que cela ne remet pas en question la souveraineté de Maurice sur Agaléga, qui, répète-t-il, ne sera pas une base militaire, alors même que la presse indienne n’a jamais hésité à qualifier l’île en ces termes.

Du coup, Ramgoolam reprend les mêmes arguments que Jugnauth. Et la délégation ministérielle qui se rendra à Agaléga jeudi prochain n’est pas sans rappeler le voyage de l'ancien Premier ministre qui s'était rendu dans la petite île en mars 2024 et qui n’arrêtait pas, de marteler, tel un mantra, à son retour, qu’Agaléga n’est pas une base militaire. Devrait-on s’attendre au même langage de la part des membres du nouveau gouvernement après leur séjour dans l’île ?

On l’aura compris : une fois au pouvoir, les discours changent, la diplomatie prend le dessus et des considérations géopolitiques dépassant les contours de notre pays imposent leurs règles. La visite de Modi, invité d’honneur du nouveau gouvernement pour la fête de l’Indépendance, et les discussions échangées ont convaincu Ramgoolam de privilégier les enjeux politiques au détriment de l’intérêt public. La transparence tant revendiquée hier laisse place à un réalisme politique qui n’échappe à aucun gouvernement. Ainsi se comportait Jugnauth, ainsi se comporte Ramgoolam !

Or, c’est précisément ce genre de volte-face qui provoque l’amertume des citoyens envers une classe politique où les discours semblent dictés non par des principes, mais par la position occupée à l’Assemblée nationale. Quatre mois après la victoire écrasante de l’«Alliance du Changement» – qui, il est vrai, profite encore de la vague des 60-0 – on assiste déjà à un début de déception pouvant éroder – à long terme – la confiance entre le gouvernement et les citoyens.

Le refus de rendre public les clauses du contrat d’Agaléga n’est pas la première déconvenue. La grogne grandit sur d’autres fronts : la baisse du prix des denrées alimentaires promise n’a toujours pas eu lieu, la gratuité des médicaments pour les personnes âgées se fait attendre, et pire encore, la pénurie de certains médicaments devient inquiétante ! Quand l’on sait que c’est le Pharmacy Board qui réglemente l’approvisionnement des médicaments du public et du privé, et que cette plateforme, dissoute après les législatives, n’a toujours pas été reconstituée, on ne peut que deviner l’irritation citoyenne à venir.

Face à l’impatience d’un public exigeant, le gouvernement a le devoir de rester cohérent. Si le cynisme du double discours persiste, le désenchantement risque de s’intensifier plus tôt que prévu !