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Lutte contre la drogue à Maurice

Les travailleurs sociaux parlent de situation alarmante, d’un système à bout de souffle

29 juin 2025

Ally Lazer, Danny Philippe et Kunal Naik dressent un constat noir de la situation qui prévaut dans le pays actuellement.

Face à une consommation galopante, une accessibilité accrue et des réseaux de trafiquants de plus en plus organisés, des voix s’élèvent pour dénoncer un échec collectif dans la lutte contre la drogue à Maurice. Trois acteurs de terrain tirent la sonnette d’alarme.

Sommes-nous devenus un drug state ? Le débat est lancé depuis plusieurs années. Les récentes grosses saisies de drogue rapportées par la presse n’arrangent pas la situation. Le constat est alarmant selon les acteurs engagés sur le terrain depuis de nombreuses années. «Nous avons atteint une situation de non-retour», lâche sans détour Danny Philippe, chargé de prévention au sein de l’ONG DRIP (Développement, Information, Rassemblement et Prévention). Selon lui, la prolifération des drogues de plus en plus variées et addictives, y compris dans les écoles primaires, laisse entrevoir une réalité dramatique : «Les trafiquants, par exemple, n’hésitent plus à utiliser des enfants pour écouler leur marchandise.»

Le phénomène touche désormais toutes les couches de la société, avec une implication grandissante de jeunes filles et de femmes dans les réseaux de distribution. Les substances de synthèse, très présentes sur le marché mauricien, sont particulièrement pointées du doigt. «Ces produits sont conçus pour être ultra addictifs et les effets sont de courte durée, poussant à une consommation répétée», précise Danny Philippe. Résultat : les cas d’overdose et de suicide liés à ces drogues seraient en nette hausse. Ally Lazer, président de l’Association des travailleurs sociaux de Maurice, partage le même constat appuyé par plus de 40 ans de terrain. Pour lui, l’échec des politiques actuelles est flagrant : «Cela fait des décennies que seuls les petits trafiquants sont arrêtés. Les gros bonnets, eux, continuent à prospérer dans l’impunité la plus totale.»

Ally Lazer dénonce la montée d’une économie parallèle alimentée par la drogue et pointe directement la corruption comme principal frein à une véritable lutte. L’addictologue Kunal Naik, quant à lui, remet en cause l’approche répressive actuelle. «Entre 70 et 75 % des détenus en prison sont des consommateurs. Cela prouve que notre système ne cible pas les vrais responsables.» Pour lui, la stratégie en place aggrave les choses : «Nous faisons plus de mal que de bien. Si on continue sur cette voie, nous perdrons définitivement le combat contre la drogue.» Il plaide pour un changement radical dans l’approche, avec l’accent mis sur le renforcement du système de santé, l’investissement dans la prévention, la réhabilitation, la réduction des risques et la formation de thérapeutes qualifiés. «Il faut mettre l’argent là où il faut. Et surtout, arrêter de criminaliser les victimes.»

Les trois intervenants convergent sur un point : l’urgence d’agir est absolue. Danny Philippe appelle à la mise sur pied immédiate d’une cellule d’urgence nationale, en attendant que la future National Drug Agency soit opérationnelle. «Cela fait plus de six mois que les acteurs engagés dans cette lutte ne se sont pas réunis. On ne peut plus se permettre de rester inactifs.» Espérons que son appel ainsi que celui d’Ally Lazer et de Kunal Naik soient entendus par les membres du nouveau gouvernement.

Délits en hausse : les statistiques sont inquiétantes

En 2024, Maurice a connu une augmentation des infractions liées à la drogue, avec 4 373 cas enregistrés contre 4 205 en 2023, soit une hausse de 4 %. Le taux d’infractions est passé de 3,3 à 3,5 pour 1 000 habitants. Le cannabis reste la drogue la plus couramment saisie (40,9 % des cas), suivi des cannabinoïdes synthétiques (27,6 %), de l’héroïne (15,4 %) et des tranquillisants (1,7 %). Les autres drogues, comme le haschich et la méthadone, représentent 14,4 % des infractions. La valeur totale des saisies est estimée à Rs 1,56 milliard. Malgré les efforts de l’ADSU, les opérations de déracinement de cannabis sont en baisse : 36 221 plants détruits en 2024 contre 54 419 en 2023. Le phénomène reste très présent dans le pays, tant dans les zones urbaines que rurales. Un sondage Afrobarometer de 2024 révèle que les Mauriciens considèrent la drogue comme le deuxième problème national majeur, après le coût de la vie. Dans une tribune, la Mauritius Customs appelle à des actions renforcées face à ce fléau. Le National Drug Observatory rapporte chaque année environ 900 hospitalisations liées à la drogue, avec une prévalence marquée chez les jeunes de 20 à 34 ans. Les principales substances responsables sont l’héroïne et les nouvelles substances psychoactives. Ce phénomène complique la prise en charge médicale. Les femmes représentent 10 à 15 % des usagers de drogue. Face à cette situation, les autorités appellent à une mobilisation accrue de tous les acteurs.

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