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Par Michaëlla Seblin
5 avril 2025 18:48
Il y a de ces effets boomerangs qui forcent à sourire ! À l’exemple de Pravind Jugnauth, devenu une figure régulière des locaux d’une plateforme qu'il avait ardemment contribuée à mettre en place. Quelques semaines après son arrestation dans le cadre de l’affaire des valises d’argent retrouvées, l’ancien Premier ministre est retourné devant les enquêteurs de la FCC ce 2 avril pour un nouvel interrogatoire où il a nié en bloc les accusations de l’homme d’affaires Delawon qui maintient que c’est «l'ex-Premier ministre ki’nn donn mwa sa. Li ti enn kamarad…».
Quand on sait avec quelle force Jugnauth, entouré des membres de son gouvernement, avait défendu le Financial Crimes Commission Bill, quand on se souvient de son discours-fleuve lors du vote de cette législation où il attaquait l’opposition qui boycottait les débats, les traitant de lâches, dénonçant leurs prétendues motivations pour ne pas voter cette loi, qui allait être, selon lui, un rempart contre la fraude et la corruption, il est ironique de le voir aujourd'hui au centre d’une affaire de blanchiment d’argent allégué.
Le retournement de situation est d'autant plus frappant lorsque l'on se rappelle les paroles pleines d'assurance prononcées par Jugnauth à l'issue des débats sur la future FCC, à l’encontre de l’opposition :«They will not be in power soon... (..) We know that the people of this country will send them back to karo kann.» L'amère ironie veut que le sort que Jugnauth prédisait à ses adversaires a fini par s'abattre sur lui et ses alliés, avec une cuisante défaite à la hauteur de 60-0, l’obligeant même, aujourd’hui, à déclarer forfait pour les prochaines municipales, laissant ainsi le champ libre à l’Alliance du Changement et à quelques «petits» partis de l’opposition.
Au-delà des tribulations de l’ancien Premier ministre, le défilé incessant devant la FCC – dont le dernier rebondissement est l’arrestation du directeur de la MIC qui retourne en cellule policière après le rejet de sa motion de remise en liberté – ne fait que provoquer une exaspération compréhensible du public. Les sommes astronomiques évoquées en centaines de millions, voire en milliards, et qui sont soupçonnées de provenir de pratiques frauduleuses, suscitent le trouble tout en alimentant un sentiment d’indignation collective.
Pendant que ceux interpellés ou accusés clament leur innocence, la lenteur des procédures renforce la conviction populaire qu’un voile d’impunité protège ceux issus des hautes sphères du pouvoir. Certes, la nouvelle direction de la FCC n’a pas tardé à se mettre au travail après les élections législatives, mais la déclaration d’un de ses commissaires, Me Rault, cette semaine, illustre la tâche titanesque à accomplir : il y a actuellement 79 postes vacants à pourvoir et 3 000 dossiers sont en attente. Un constat qui ne fera qu'attiser l’impatience d’un public, avide d’actions concrètes et de sanctions exemplaires.
Car si ces interpellations et arrestations répétées sont censées illustrer la perception d’une justice pour tous, elles commencent paradoxalement à lasser une population qui attend des résultats fermes et s’interroge sur le temps que dureront les enquêtes. D’autant que, dans certaines affaires, une même personne fait face à plusieurs accusations distinctes.
C’est notamment le cas de Rakesh Gooljaury, arrêté en février dernier dans le cadre des «toxic loans» impliquant des entrepreneurs proches de l’ancien régime ayant bénéficié de prêts douteux octroyés par l'ex MauritPost & Cooperative Bank (MPCB). Le même Gooljaury fait aujourd’hui l’objet d’une nouvelle arrestation, cette fois pour une accusation d’évasion fiscale portant sur un montant de Rs 65 millions. Tous ces soupçons, liés à des sommes surréalistes, nourrissent la colère des travailleurs honnêtes, qui sont, eux, pourchassés par la MRA au moindre écart dans le paiement de leurs impôts.
C’est dire que l’enjeu ne réside plus dans la multiplication des accusations de certaines personnalités pointées du doigt, mais dans la capacité à traduire les coupables en justice afin de restaurer la confiance du peuple dans ces institutions que l’ancien gouvernement avait mises sous sa coupe ! Ce n’est qu’à ce moment-là qu’on pourra mesurer le changement promis par les nouveaux dirigeants qui ont une chance de prouver que l'État de droit n'est pas une illusion. Et la mise sur pied de cette FCC tant voulue par l’ancien pouvoir pourrait se révéler efficace contre ses instigateurs. Il y a de ces effets boomerangs qui forcent à sourire !
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