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4 octobre 2025 09:42
Les Malgaches, qui réclament une meilleure condition de vie, ont mené des manifestations dans l’attente d’actions de la part des autorités. Des compatriotes, au cœur du pays qui se retrouve dans la tourmente, nous parlent de ces tristes événements...
Ces images ont fait le tour du monde. Celles d’une forte mobilisation, avec des clichés et des vidéos montrant des scènes de violence, de foule en révolte, de pillages, de tirs de gaz lacrymogènes, d’incendies de domiciles de personnalités politiques et d’affrontements meurtriers... Et un triste bilan humain : au moins une vingtaine de morts et de nombreux blessés... Tout cela, dans un contexte de colère contre le pouvoir. Les conséquences de ces manifestations interpellent aussi : une vision de chaos, des infrastructures ravagées notamment des commerces, des banques, des supérettes, des magasins d’électroménager et une station du téléphérique, symbole du pouvoir, ont été ciblés. En effet, depuis une semaine, cette actualité brûlante qui secoue Madagascar, la Grande île de l’océan Indien, fait la une des médias internationaux.
Mobilisés depuis le jeudi 25 septembre, des milliers de protestataires sollicités via les réseaux sociaux, à travers un mouvement baptisé Gen Z, ont pris d’assaut les rues de la capitale Antananarivo pour faire écho à des revendications qui dépassent le ras-le-bol contre les coupures incessantes d’eau et d’électricité, réclamant également le respect des droits fondamentaux, certains dénonçant la «corruption» ou encore «le manque de transparence des dirigeants». Reprenant à leur compte le drapeau pirate tiré de la série japonaise One Piece et signe de ralliement de mouvements de contestation anti-régime, y compris en Indonésie ou au Népal, les manifestants, qui avaient signifié leur intention de protester pacifiquement, ont vite vu les choses dégénérer, débouchant sur des émeutes, les ripostes des autorités, des couvre-feux, un climat d’insécurité et des images de désolation, les mouvements contestataires s’étant répandus dans d’autres régions.
Depuis une semaine donc, les mobilisations sous le mouvement Gen Z, qui s’est désolidarisé des scènes de pillages généralisés, se poursuivent avec des réclamations pour des conditions de vie meilleures. Pancartes en main avec des slogans tels que «Nous sommes pauvres, en colère et malheureux», «Madagascar est à nous» et «Nos voix brillent plus que la lumière que vous refusez de nous donner», les voix qui s’élèvent veulent que leur réalité de vie change. L’Union africaine a appelé à la retenue, au calme et au dialogue. Malgré des richesses naturelles exceptionnelles, Madagascar reste l’un des pays les plus pauvres de la planète. Près de 75 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté en 2022, d’après la Banque mondiale.
Les protestataires demandent le départ du président Andry Rajoelina. Sous pression, il a annoncé, ce lundi 29 septembre, la dissolution de son gouvernement, mais écartait toute idée, à l’heure où nous mettions sous presse, de démissionner. «Je ne dors ni la nuit ni le jour pour porter vos solutions et améliorer la situation. Vos demandes, on les a écoutées. Et je m’en excuse s’il y a des membres du gouvernement qui n’ont pas fait le travail que le peuple attendait», s’est repenti le président Andry Rajoelina durant une allocution d’un quart d’heure lundi soir, au cours de laquelle il a ainsi limogé son gouvernement. Il a présenté ses excuses à la population au nom du gouvernement, et a admis que plusieurs besoins et attentes n’avaient pas été satisfaits ou suffisamment pris en compte. Celui qui est vivement contesté a aussi annoncé des mesures d’accompagnement en faveur des entreprises victimes des récents pillages. Andry Rajoelina a également promis une gouvernance plus concertée, axée sur une meilleure identification des problèmes et des solutions concrètes.
«Faire face»
L’Organisation des Nations unies a condamné cette répression et a demandé aux autorités de cesser tout usage de la violence. Sur fond d’une crise politique et sociale, de nouvelles manifestations ont agité, durant la semaine écoulée, plusieurs villes de Madagascar, dont Antananarivo. Vivant dans la Grande île, des compatriotes suivent la situation de très près. Le bureau d’Air Mauritius à Antananarivo a été la cible d’actes de vandalisme lors des manifestations dans la capitale malgache. Des équipements informatiques ont été volés et un incendie s’est déclaré au rez-de-chaussée, mais le feu a pu être maîtrisé et les employés d’Air Mauritius, sains et saufs, ont pu quitter les lieux avant les incidents.
Sam Jodhun, directeur d’Harel Mallac Technologies, installé à Madagascar depuis 13 ans, raconte cette ambiance particulière dans son pays d’adoption qui se retrouve dans la tourmente. «Le jeudi 25 septembre, comme tous les jours, j’étais parti au bureau. On savait qu’il allait y avoir une manifestation, mais on ne s’attendait pas à ce que ce soit de cette ampleur. Le but, c’était de manifester calmement pour demander des droits basiques comme avoir l’eau et l’électricité, mais les choses ont dégénéré. La force a été utilisée et, malheureusement, il y a aussi eu des morts et des blessés. Il y a eu pas mal de dégâts et des pillages sur des ATM, entre autres infrastructures», nous confie Sam Jodhun, qui connaît très bien tout le problème qui a provoqué ce soulèvement. «Ce lundi 29 septembre, lorsque j’étais en route pour le bureau, j’ai vu des gens en train de nettoyer, mais on ne sait pas de quoi seront faits les jours à venir. Il y a des couvre-feux la nuit. Les gros supermarchés ont été vandalisés. Le problème ici, c’est qu’il n’y a vraiment pas d’électricité et d’eau. Il y a des coupures toute une journée, parfois jusqu’à 16 heures et même 18 heures. C’est pour dire comment les Malgaches vivent au quotidien et les difficultés auxquelles ils doivent faire face. L’année dernière, j’habitais dans une autre maison et j’ai dû déménager à la fin de décembre. Par semaine, je devais acheter plusieurs litres d’eau et ce n’est pas évident. Pendant un an et demi, c’était tous les jours la même situation. C’était presqu’invivable. J’ai dû donc déménager. Et même concernant l’électricité ; c’est la même histoire. J’ai dû investir dans des panneaux solaires pour pouvoir faire face. C’est malheureux ce qui se passe. Pe bizin improvize...»
Se disant en sécurité, il est en constante communication avec d’autres Mauriciens installés dans la Grande île. «Il y a pas mal de compatriotes ici et la plupart sont heureusement en sécurité. Il y a beaucoup d’entreprises mauriciennes qui ont subi des dégâts. Je sais qu’il y a des magasins Une Histoire d’Amour qui ont été saccagés. Les bureaux d’Air Mauritius aussi, KFC aussi. Des acteurs économiques ont été touchés. C’est malheureux. Ce groupe qui se fait appeler Gen Z dénonce la réalité de vie difficile des habitants. Ils disent qu'ils en ont marre du quotidien dans leur pays. Ils demandent de l'eau, de l'électricité et veulent avoir une vie décente pour pouvoir aller travailler, aller à l'université, etc. Quand on se lève le matin, il n'y a pas d'eau, pas d'électricité, vous imaginez un peu ce que cela génère ? Madagascar, c'est un beau pays, mais il y a un sentiment de ras-le-bol», poursuit notre compatriote. Ravi Bisasur, un autre Mauricien installé dans la Grande île depuis 18 ans, suit aussi l’évolution des choses. «Pour moi, c’est du déjà-vu. Je suis installé dans la Grande île depuis longtemps. J’ai connu le coup d’État en 2009. La population, qui est frustrée, s’exprime. Depuis un certain temps, la fourniture d’eau et d’électricité est source de problème et la population a voulu faire part de son sentiment de ras-le-bol face à ce qui se passe. Certes, il y a aussi des personnes qui profitent de la situation pour piller et ça a provoqué ce que tout le monde a vu. On est tous scotchés aux sources d’informations. Ce triste jeudi, juste avant que le pire se produise, on a pu permettre que le personnel du bureau soit en sécurité chez lui», nous déclare Ravi Bisasur, qui espère de tout son cœur voir les choses évoluer dans le bon sens. «Quelques jours après l’éclatement de colère du jeudi 25 septembre, c’est encore tendu. Ce lundi 29 septembre, il y a eu encore des manifestations et des tirs. La situation est floue et on reste vigilant. À ce lundi, on travaillait à distance», conclut le Mauricien.
Les autorités mauriciennes continuent également à suivre cette triste actualité en étant très attentives à la sécurité de compatriotes vivant dans la Grande île. L’ONG Droits humains océan Indien (DIS-MOI) s’intéresse aussi de très près à ces manifestations. «DIS-MOI est extrêmement préoccupée par la situation sociale qui prévaut actuellement à Madagascar. DIS-MOI appelle à la désescalade immédiate de la situation et exhorte l’État malgache à adopter une approche des droits dans la politique relative aux manifestations», déclare Lindley Couronne, le directeur général de l’organisme, en parlant des tristes scènes de violence qui, sur fond de réclamation d’une vie meilleure, font le tour de la planète...
Rajen Narsinghen, Junior Minister aux Affaires étrangères : «Les autorités mauriciennes suivent la situation de près»
Le gouvernement et la communauté mauricienne à Madagascar sont en constante communication. C’est le Junior Minister aux Affaires étrangères qui nous l’a assuré. «Depuis le premier jour des émeutes, le ministère a mis en place un protocole. Une hotline a été mise à disposition et notre ambassade est en état d'alerte. On a créé un groupe WhatsApp et la diaspora a aussi créé un groupe WhatsApp. Il y a une bonne coordination entre nos compatriotes là-bas et l’ambassade. La plupart des Mauriciens qui se trouvaient là-bas comme touristes sont retournés. Six personnes nous ont contactés et heureusement qu’Air Austral et Air Mauritius assurent des vols. Les businessmen et les employés mauriciens sont en attente. Ils ne veulent pas prendre une décision à la va-vite. Les autorités mauriciennes suivent la situation de très près», nous confie Rajen Narsinghen. Parmi les compatriotes qui étaient à Antananarivo et qui sont depuis rentrés au pays se trouve Dhanraj Dheeran Garbou. Il travaille dans le domaine informatique et était en voyage d’affaires quand les émeutes ont commencé. Il est arrivé à Madagascar le mercredi 24 septembre et il a depuis regagné Maurice. «J’étais en voyage d’affaires. Je m’y trouvais pour trois jours. C’était très hectic. Je me trouvais à l’hôtel Radisson Blu sur le Tana Waterfront. Quand tout a éclaté le jeudi 25 septembre, ce n’était pas évident. L’hôtel s’est retrouvé en situation de crise. J’ai pu rentrer à Maurice, mais j’ai vraiment vécu une expérience inhabituelle», nous confie Dhanraj Dheeran Garbou.
Malgaches à Maurice : loin des yeux, près du cœur
«Ça me rend vraiment triste quand je vois ce qui se passe dans mon pays natal. Pendant des années, on a vécu toute la souffrance que dénoncent les manifestants : avec le manque d’électricité, l’eau, la corruption, etc. Mais là, c’est devenu encore pire. Je suis de tout cœur avec tous ceux qui vivent des moments difficiles», nous confie Altsa Joanna, qui fait partie de la communauté malgache qui suit la situation de notre île.
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