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Par Yvonne Stephen
4 octobre 2025 18:32
L’île n’oubliera jamais. Le 25 juillet 2020, le MV Wakashio s’échouait sur les récifs de Pointe-d’Esny, presque dans le silence des autorités. Quelques jours plus tard, une catastrophe écologique se produisait : 1 000 tonnes d’huile lourde se déversant dans un merveilleux lagon si longtemps préservé, avec ses sites exceptionnels protégés. La marée noire de colère et d’interrogations qui a suivi a poussé le gouvernement du Mouvement socialiste militant à instituer une cour d’investigation présidée par l’ancien juge Abdurrafeek Hamuth, qui était assisté de deux assesseurs, Jean Mario Geneviève (Marine Engineer) et Johnny Lam Kai Leung (Marine Surveyor). Un peu plus de cinq ans après la tragédie, le rapport de cette Investigation Court – dont vous découvrirez les grands axes plus bas – a été rendu public par le ministère de l’Agro-industrie le jeudi, 2 octobre. Lors de la campagne électorale 2024, l’Alliance du changement avait annoncé qu’elle publierait les conclusions de l’enquête. Navin Ramgoolam a assuré que cela avait été fait dans un souci de «transparence», lors d’une sortie publique, cette semaine. C’est dans ce même esprit, a-t-il expliqué, que le rapport serait publié (voir hors-texte). Pour découvrir l’intégralité du document, cliquez sur le lien suivant : https://shorturl.at/eKCkP
Quelles erreurs ont conduit au drame ? L’enquête conclut que la catastrophe est due à une succession d’imprudences : absence de cartes maritimes à grande échelle, veille défaillante, plan de navigation non respecté et consommation d’alcool sur la passerelle. Mais les responsabilités ne s’arrêtent pas là. La cour pointe également la lenteur et la passivité des autorités locales. Des soupçons de falsification de communications radio et de journaux de bord jettent une ombre sur la fiabilité des dépositions. La perte du Voyage Data Recorder, sorte de boîte noire pour bateau, laisse, pour sa part, des trous dans la reconstitution de la chronologie des événements.
Que s’est-il passé cette nuit-là ? Selon les enquêteurs, les officiers à la passerelle ne se concentraient pas sur la navigation. Le capitaine, sous l’emprise de l’alcool, s’intéressait davantage à la connexion internet qu’à la route maritime. Son chef officier tentait d’accrocher du réseau téléphonique pour joindre sa famille. Pendant ce temps, le navire filait vers les récifs, sans surveillance attentive. Le rapport parle d’un «manquement total aux règles élémentaires de navigation». De son côté, la National Coast Guard (NCG), censée assurer la surveillance des eaux territoriales, n’a pas réagi à temps, selon l’Investigation Court. Quinze minutes avant l’impact, aucune alerte n’avait été déclenchée. Les radars n’avaient pas signalé le danger imminent et les communications avec le navire étaient restées au point mort. La cour a relevé de graves incohérences dans les registres de la NCG, certains documents semblant avoir été modifiés pour masquer une surveillance défaillante. Le bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) a recommandé, en septembre, l’ouverture d’une enquête sur ces dissimulations alléguées.
Quel a été l’impact immédiat sur l’environnement ? Le naufrage du Wakashio a provoqué une marée noire d’une ampleur inédite. Environ 96 km² d’habitats marins ont été détruits, avec des répercussions évaluées à plus de 2,5 milliards de dollars. Le lagon de Blue-Bay, site Ramsar, les mangroves de Pointe-d’Esny et les récifs coralliens ont été gravement contaminés. Les hydrocarbures ont souillé plages, fonds marins et zones de reproduction de nombreuses espèces. Des tortues marines, des poissons et des oiseaux de mer ont vu leurs habitats détruits ou pollués. Les scientifiques estiment que les récifs coralliens mettront plusieurs décennies à se régénérer, si tant est qu’ils y parviennent. Au-delà des impacts visibles, le rapport alerte sur les risques sanitaires : hydrocarbures et métaux lourds ont contaminé la chaîne alimentaire. Les effets à long terme sur les populations locales, exposées à travers la consommation de poisson ou le contact avec l’eau, restent préoccupants.
Quel est l’état des lieux de la faune et de la flore ? Cinq ans après, les traces de la catastrophe sont encore visibles. Certaines zones marines demeurent stériles, la biodiversité ayant été profondément altérée. L’interdiction de pêche est toujours en vigueur dans plusieurs secteurs.
Quelles failles institutionnelles ont été mises en lumière ? La cour d’investigation reconnaît que son mandat était limité. Elle n’a pas pu examiner en détail la réponse des autorités après l’accident. Néanmoins, elle révèle que le Plan national d’urgence en cas de déversement d’hydrocarbures date de 2003 et n’a pas été mis à jour.
Quelles leçons pour l’avenir ? Le rapport insiste : Maurice, située sur une route maritime stratégique, ne peut pas se permettre un «deuxième Wakashio». Il appelle à des réformes profondes : révision du Plan national d’urgence, formation renforcée pour les opérateurs, renouvellement des équipements de surveillance et de remorquage, et meilleure coopération régionale. Surtout, il souligne l’importance d’impliquer les communautés locales dans la gestion des zones côtières. Car lors de la marée noire, ce sont avant tout des milliers de Mauriciens anonymes qui ont fabriqué des barrages de fortune en paille et se sont battus pour sauver leur lagon.
Incidents à la prison de Melrose
La Commission nationale : un usage «injustifié et excessif» de la violence
Un univers impitoyable. Le rapport de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH), rendu public par le bureau du Premier ministre ce vendredi 3 octobre, dessine les contours des incidents survenus à la prison de haute sécurité de Melrose, le 17 juillet. Ce document de 12 pages relève un usage «injustifié et excessif» de la force par les gardiens et les unités spécialisées, là où une stratégie de dialogue aurait dû primer. Tout est parti, selon la CNDH, du refus de se soumettre d’un détenu, mais l’intervention musclée qui a suivi est jugée disproportionnée par la commission : détenus battus à coups de tonfa, fouilles à nu collectives et intimidations, entre autres. Elle dénonce aussi des irrégularités dans les soins médicaux et des contradictions dans certains affidavits. Au-delà de l’incident, le rapport met en lumière des failles systémiques : corruption, contrebande de téléphones et de drogues, retards de promotion qui minent la discipline. La commission alerte sur une «bombe à retardement» si des réformes structurelles ne sont pas engagées. Elle recommande davantage de psychologues, une meilleure formation des gardiens, et surtout, une culture de désescalade et de dialogue.
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